Faut-il croire aux signes ?

Agnès Varda est décédée un 29 mars.

Comme Paul Grimault, dont le dernier long métrage La Table tournante, qui réunissait la plupart de ses courts-métrages d’animation, avait été réalisé avec Jacques Demy. Comme Maurice Jarre, qui composa en 1957 la musique du Bel indifférent, l’un des premiers courts-métrages de Jacques Demy.

Faut-il croire aux signes ?

Agnès Varda était née un 30 mai.

Le 30 mai, journée nationale péruvienne de la pomme de terre, tubercule qu’elle avait célébré dans Les Glaneurs et la glaneuse puis érigé au rang d’œuvre d’art en présentant son installation Patatutopia, grand tryptique photographique à la gloire du légume, lors de la Biennale de Venise en 2003, enfilant pour l’occasion un costume de patate en résine. Et récolté depuis le surnom de Dame Patate. De Noirmoutier ou de Raspail.

Artiste visuelle (plasticienne ne lui plaisait pas) qui «prophétisa la Nouvelle Vague» (Georges Sadoul), ornée d’une magnifique coupole capillaire bicolore depuis une vingtaine d’années, elle parcourait le monde tel un condottiere bienveillant au seul service de son art. Cette toison qui offrait à voir la marque du temps et rappelait un parcours professionnel unique, finalement césarisé, palmé, oscarisé, représentait aussi la jeunesse incarnée et une flamme créatrice intacte, brillante comme un diamant.

Jean-Luc Godard couvrait pour les Cahiers du Cinéma le festival du court métrage de Tours en 1958. Agnès Varda qui présentait Du côté de la Côte y rencontrera Jacques Demy venu avec Le Bel Indifférent. Godard, bel absent et si présent de Visages Villages écrivit :

«…dans l’industrie cinématographique française, les courts métrages d’Agnès Varda brillent comme de vrais petits joyaux…».

Agnès aux mille facettes, dont les œuvres faisaient subtilement cohabiter légèreté et densité, gravité et humour, lucidité et distance, mais toujours soin et goût des autres. On s’était habitué à ses apparitions à l’écran, iconique et discrète. Son talent particulier, sa façon de faire, son regard, transformaient ses dernières œuvres, compositions mosaïques, en des autobiographies principalement et très logiquement consacrées aux autres. Logiquement puisqu’elle a toujours été une artiste des autres. Les filmant dans la vie à l’improviste. Pour en montrer l’humanité. Pour nous parler de nous.

Après avoir fini le magnifique et éclairant Varda par Agnès, d’après ses "causeries", après avoir accompagné une dernière fois Michel Legrand à Paris, après avoir présenté Trois pièces sur cour à Chaumont-sur-Loire, la belle Agnès a su, et l’a dit, qu’il était temps pour elle de rejoindre l’arbre et le banc, à Montparnasse, et d’y retrouver Jacques de Nantes.

Philippe Lafleure

Cinefil N° 57 - Mai 2019