Totò reste l’une des icônes de la Naples de 2019.

Aux côtés des piments porte-bonheur et des posters à la gloire de l’inusable Maradona trônent  dans tous les quartiers de la capitale de Campanie, des chapelles, statuettes et effigies en l’honneur de l’acteur Antonio Griffo Focas Flavio Angelo Ducas Comneno Porfirogenito Gagliardi De Curtis di Bisanzio  alias Antonio de Curtis dit  « Totò ».

Totò avec un accent grave sur le deuxième « o » pour celui dont le visage avait pourtant l’allure d’un accent aigu avec sa mâchoire déformée, séquelle d’un accident de jeunesse.

Le visage de cet acteur, fils illégitime d’un premier aristocrate, légalement adopté par un deuxième aristocrate à l’âge de trente-cinq ans, devenu borgne à quarante ans, était un masque à lui tout seul. Celui de Keaton, de Stan Laurel, celui de Fernandel. C’était selon.

Les débuts cinématographiques de Totò interviennent en 1937 (il ressemblait alors à un jeune Pierre Etaix) après plus de quinze années de pratiques théâtrales en qualité d’improvisateur, imitateur, meneur de revues.  Héritier de la commedia dell’arte, d’une grande richesse expressive dès ses premiers films, il occupe l’espace, investit l’écran, concentre l’attention et remporte souvent la mise. Acteur au verbe haut, doté d’une voix pleine et chaude, il s’avère également capable de créer   un langage corporel comique inscrit dans la tradition burlesque.

Durant trente années de carrière cinématographique il apparaitra dans une centaine de films. Des films « très grand public » et puis aussi Mario Monicelli (Le Pigeon), Vittorio De Sica (L’Or de Naples), Roberto Rossellini (Où est la liberté). Et plusieurs collaborations avec Pier Paolo Pasolini (dont Des oiseaux, petits et gros). Pasolini qui appréciait son authenticité populaire et son talent poétique.

Au fur et à mesure de ses interprétations, il imposera des personnages du peuple en proie aux difficultés économiques, frondeurs, combinards et astucieux. Mais également tendres et lunaires. Les Italiens et singulièrement les Napolitains, dont il maniait avec virtuosité le dialecte, s’y reconnaîtront.Totò deviendra le roi de Naples.

Une plaque commémorative située à proximité du musée archéologique national rappelle la gratitude éternelle d’une cité pour celui qui aura su par son art apporter un peu de joie à chacun.  Ses films sont encore diffusés dans certains restaurants durant l’heure des repas. Le quartier très populaire de la Sanità aux pieds de Capodimonte se souvient que Totò naquit ici via Santa Maria Antesaecula à la fin du 19ème siècle. Sa maison natale, très modeste, est plus qu’une curiosité touristique locale, elle est pour les Napolitains le lieu d’un l’hommage éternel. 

Philippe Lafleure

Cinéfil n°58 - Septembre 2019