1929 – 1934. Au cours de ces quelques années post Dépression furent réalisés aux États-Unis plusieurs dizaines de films répertoriés aujourd’hui au titre de productions « Pré Code ».
Des films ayant en partie échappé aux foudres des serviteurs du code de censure et de morale établi en 1930 par le sénateur William Hays mais réellement mis en œuvre quatre ans plus tard.  À partir de 1934 en effet, Joseph Ignatius Breen dirigera durant vingt ans la Production Code Administration, en charge de l’application de ce code Hays. Joseph Ignatius Breen, antisémite notoire, sera gratifié d’un Oscar d’honneur en fin de carrière, probablement en sa qualité de grand manitou du ciseau censeur pendant deux décennies.

 

L’époque Pré Code est parfois surnommée « époque pré Breen ».  Durant les premières années du parlant (1929) jusqu’environ 1934, une partie de la production cinématographique américaine, souffrant des effets de la crise, imagine de jouer avec les règles de la censure afin d’attirer un public soucieux d’oublier la crise économique. Ce sont ces évitements et premiers contournements du code Hays naissant, ces stratégies, qui rendent pour le spectateur d’aujourd’hui certains de ces films réellement savoureux. L’occasion aujourd’hui de dénicher ou de redécouvrir quelques pépites. La liberté de ton que l’on pourra trouver « moderne » est souvent étonnante pour évoquer ou plus directement aborder les relations amoureuses par exemple. Amours triangulaires, érotisme, homosexualité et accrocs aux « bonnes mœurs » ou à la loi (scènes alcoolisées en pleine prohibition) étaient suggérés ou tout-à-fait explicites.

C’est l’époque des « films de gangsters » de la Warner d’une violence toute « tarentinesque » sans le second (ou le troisième) degré. La MGM propose des comédies glamour qui n’oseront que rarement titiller les censeurs. Paramount enfile les perles créées par Josef Von Sternberg ou Ernst Lubitsch. Les réalisations de Jack Conway, Alfred Green, Edgar Ulmer, John Francis Dillon côtoient celles de Franck Capra, Victor Fleming, George Cukor. L’incurie de la classe politique américaine de ces années de crise est raillée dans Gabriel au-dessus de la Maison Blanche de Gregory La Cava ou par les frères Marx dans La soupe aux canards de Leo McCarey. On croise Dorothy Arzner, l’une des premières réalisatrices de l’époque, notamment auteure de Working Girls (1931), résolument féministe, dénonçant le statut social des femmes.  Une lutte permanente entre impératifs commerciaux, respect de la morale et travail d’auteur en ces premières années du parlant où le cinéma américain s’inventait une nouvelle dimension. Comédies de boudoir, films de gangsters (Scarface d’Howard Hawks), films d’horreur (Dr. Jekyll and Mr. Hyde de Rouben Mamoulian), d’angoisse (Freaks de Tod Browning), film musicaux (Chercheuses d’or de 1933 de Melvyn Leroy et Busby Berkeley), comédies légères gentiment licencieuses, étonnants portraits, au plus près, d’une Amérique en crise, torturée.

L’attrait pour la découverte ou la redécouverte de la période pré Hays a produit toute une littérature, la rediffusion de films rares, la création de sites spécialisés célébrant les productions de cette époque. Certains studios puisent dans leurs archives pour ressortir des titres oubliés et répondre à cette nouvelle demande.
Un détail qui ne trompe pas : Amazon a flairé le filon…

Le Festival Louis Lumière de Lyon vient récemment d’y consacrer une petite rétrospective intitulée « Forbidden Hollywood ».
Rendez-vous dans les archives du Pré Code en compagnie de Paul Muni, James Cagney, Barbara Stanwyck, Clara Bow, Jean Harlow, en compagnie de La Femme aux cheveux rouges ou du Chat noir.

Ces itinéraires nostalgiques, artistiques et humains, ne vous décevront pas.

Philippe Lafleure

Cinéfil N° 59 - Décembre 2019