Après les origines et la mise en place des codes du genre (voir Cinéfil n°60), les années d’après-guerre. Ou, comment l’engagement des Etats-Unis dans le conflit mondial a influé sur la représentation de la société américaine dans le western, entraînant progressivement un plus grand réalisme et offrant, en particulier, aux Indiens une place plus juste et moins caricaturale.

Tout change à partir de 1947-1948, lorsque, dans le prolongement de la guerre mondiale, les producteurs d’Hollywood furent contraints de se positionner. Il leur fallut, tout d’abord rendre compte de leur attitude pendant la guerre, celle en Europe bien sûr (la majorité des patrons de studios étaient juifs) et celle du Pacifique (beaucoup d’acteurs et de réalisateurs avaient participé, à des titres divers, aux opérations de guerre) et justifier les comptes envers leurs banquiers. Une certaine naïveté du public avait disparu et les soldats revenus des différents fronts ne se reconnaissaient plus dans les caricatures que proposaient jusqu’alors le western (et pas seulement le western !). Il fallut aussi considérer les lndiens comme des citoyens à part entière du fait de leur comportement au combat - c’était d’ailleurs une recommandation dictée par le gouvernement lui-même - et retrouver des fondements humains à ce qui appartenait désormais à l’histoire avec un grand H, les horreurs de la guerre du Pacifique ayant marqué les esprits. Ils comprirent très vite que la génération d’après-guerre, nourrie de feuilletons et de violence, ne pouvait plus se contenter d’images stéréotypées dans lesquelles les bons pionniers britanniques, irlandais, allemands, hollandais, italiens, construisaient une nation à leur image sans se soucier ni des anciens occupants du pays, ni des anciens esclaves, ni de toutes les autres populations incrémentées, d’origine espagnole, mexicaine ou française. Les mouvements de la Beat Generation (à partir des années 56) remettaient en cause les valeurs fondamentales qu’acceptaient tant bien que mal leurs parents. La guerre était trop proche pour que ses blessures n’entament pas la confiance des jeunes envers un passé si tumultueux. En 1961, l’engagement des États-Unis au Vietnam conduira implacablement à une révision générale des valeurs culturelles traditionnelles et rapprochera les boys américains des victimes de toutes les conquêtes sanglantes, y compris bien sûr, celle de leur pays.

Le western, genre né du cinéma lui-même, va tout à la fois perdre son statut de miroir magique embellissant les années Far West puis, à partir des années 50 s’efforcer d’atteindre une vraisemblance et une crédibilité que les cinéastes chercheront en expurgeant la légende, de ses tares hollywoodiennes, en approfondissant la psychologie des personnages, en tentant, avec plus ou moins de justesse de reconstituer des images proches de la réalité des personnages, réels ou fictifs, en tentant plus ou moins bien, avec plus ou moins de justesse, de reconstituer les images de la véritable histoire de l’unification des États-Unis.

Les temps des récits s’élargissent jusqu’aux frontières des grandes découvertes, et l’espace de temps béant entre le conflit avec les Mohicans (La dernière version du Dernier des Mohicans est celle Daniel Mann en 1992) et la remontée du Mississippi est enfin exploité, par exemple en retraçant, avec le plus de réalisme possible les épopées de Daniel Boone (Daniel Boone l’invincible de Albert C. Gannaway en 1957) qui, en 1769, ouvrit la Wilderness Road menant au ‘’pays de l’herbe et des forêts silencieuses’’ où s’établirent les premiers pionniers venus de Nouvelle Angleterre (Le Vent de la plaine de John Huston - 1960). On plonge dans les premiers temps de la colonisation (Le Géant du Grand Nord, Gordon Douglas – 1959 ; Le Nouveau monde, Terrence Malick - 2005) et on touche au XXème siècle (La Horde sauvage, Sam Peckinpah - 1969 ou Butch Cassidy et le Kid, George Roy Hill - 1969).

La guerre d’indépendance sera évoquée dans Le Patriote (Roland Emmerich - 2000) ainsi que celle du Mexique, en toile de fond dans Vera Cruz (Robert Aldrich - 1954) et, sans les vrais motifs de la guerre, dans Alamo (John Wayne - 1960).

Le western va en premier lieu élargir ses frontières temporelles et revisiter des événements se déroulant avant et après les années ‘’cow-boys’’ d’avant-guerre (1840-1900). Les reconstitutions des villes ou des villages indiens s’effectueront à l’aide de décors visant le plus souvent une sorte de réalisme, les héros gagneront en complexité, la femme prendra une importance sociale accrue, et le sang deviendra visible. L’assouplissement de la censure générera aussi une recrudescence de la violence et laissera transparaître assez clairement les motivations sexuelles des protagonistes. Cette volonté de réalisme s’appliquera à toutes les sources d’inspiration où l’on retrouvera, certes, un certain nombre de thèmes traditionnels mais revisités par un regard nouveau. Si les cow-boys d’opérette ont quasiment disparu (sauf sous une forme parodique : La Diablesse en collant rose de George Cukor en 1959, ou dans la comédie musicale : Les Sept femmes de Barberousse de Stanley Donen en 1954), les grands réalisateurs savent toujours s’adapter et les grandes épopées deviennent enfin à peu près crédibles. C’est, dans le genre, l’expédition de Lewis et Clark dans Au-delà du Missouri (William Wellman – 1951) et dans La Captive aux yeux clairs (Howard Hawks – 1952) ; la grande épopée des Mormons dans Le Convoi des braves (John Ford – 1950) et La Route de l’Ouest (Andrew McLaglen – 1967) ; la lutte des éleveurs contre les fermiers dans L’Homme qui n’a pas d’étoile (King Vidor – 1955) ; le duel de Wyatt Earp et Doc Holliday contre la famille Clanton dans Règlement de compte à O.K. Corral (John Sturges – 1957) ou Tombstone (George Pan Cosmatos – 1993) ; la lutte des éleveurs de bovins contre les éleveurs de moutons dans La Vallée de la poudre (George Marshall – 1958) ; la ruée vers l’or du Nevada et du Colorado de 1859 servira de décors à Coup de feu dans la Sierra (Sam Peckinpah – 1961).

Curieusement aucun grand film n’a eu pour thème principal la guerre de Sécession ni avant ni après 1950, Pour cela, il faudra attendre la télévision pour laquelle plusieurs séries seront réalisées à partir de 1977 (Racines, Les bleus et les gris, Nord et Sud, etc.) Par contre, elle servira de contexte et de toile de fond à de multiples films de cinéma, à commencer, évidemment, par Le Mécano de la Générale (Buster Keaton - 1927) ou Autant en emporte le vent (Victor Fleming – 1939). Après-guerre Raoul Walsh tournera L’Esclave libre (1957), John Ford Les Cavaliers (1959), Sam Peckinpah Major Dundee (1965), Don Siegel Les Proies (1971), Clint Eastwood Josey Wales, hors-la-loi (1976), Ronald F. Maxwell Gettysburg, la dernière bataille (1994), Ang Lee Chevauchée avec le diable (2002), etc.

L’un des composants majeurs de cette nouvelle approche du western est naturellement la réhabilitation du Peau-Rouge. L’Indien ‘’non civilisé’’, dans son rôle de protagoniste des films sur l’ouest, mais aussi et surtout dans son statut ethnographique, devient le représentant d’une culture panthéiste qui va s’avérer porteuse de valeurs écologiques dans laquelle une partie de la jeune génération états-unienne va puiser un certain nombre de modèles (Summer of Love des Hippies, mélange de naturisme et d’évasion dans les paradis psychédéliques sur fond d’écologie). Cette découverte va apporter aux Américains un éclairage nouveau sur l’histoire de leur pays (regard violemment combattu par les sphères conservatrices et religieuses) qui fera naître en eux un profond sentiment de culpabilité, ce qui jouera un rôle primordial dans la perception et l’évolution de la guerre du Vietnam.

Les historiens du cinéma font remonter le premier film pro-indien à La Flèche brisée (Delmer Daves – 1950), mais c’est oublier que quelques réalisateurs tentèrent auparavant de modifier l’image du Peau-rouge en lui restituant une civilisation et une culture. Ce fut le cas de Braveheat (Alan Hale – 1925), de Les Tambours du désert (John Water – 1929) ou de Massacre (Alan Crosland – 1934) mais ils n’eurent ni échos ni suite. Par contre, en 1949, Anthony Mann réalisa son premier western, La Porte du diable, remarquable portrait d’un chef indien revenu de la guerre de sécession, qui se voyait spolier de tous ces droits. Le regard d’Anthony Mann était clairement pro-indien.

Les Indiens ne seront plus jamais représentés à l’écran comme des sauvages sans culture ni morale, uniquement préoccupés de massacrer les malheureux pionniers. S’ils se livrent à des exactions, ce sera désormais par esprit de rébellion envers la société colonisatrice ou suite à des injustices et des mauvaises actions commises par des ‘’visages pâles’’ cupides et cruels.

Cochise, Geronimo, Sitting Bull vont trouver leur place dans l’histoire et nombreux seront les chefs indiens à représenter la dignité et la loyauté (même si certains seront aussi alcooliques – par la faute des trafiquants). Ce sera donc La Captive aux yeux clairs (Howard Hawks - 1952), Bronco Apache (Robert Aldrich - 1954), Au-delà du Missouri (William Wellman - 1951), L’Aigle solitaire (Delmer Daves - 1954), La Rivière de nos amours (André De Toth - 1956), La Dernière caravane (Delmer Daves - 1956), Le Jugement des flèches (Samuel Fuller - 1956), Les Deux cavaliers (John Ford - 1961), Les Cheyennes (John Ford - 1964), Hombre (Martin Ritt - 1967), L’Homme sauvage (Robert Mulligan - 1968), Willie Boy (Abraham Polonski - 1969), Little Big Man (Arthur Penn - 1970), Le Convoi sauvage (Richard C. Sarafian - 1971), etc.

Tous ces films contribueront à apporter une vision ‘’régénérescence ’’ du mode de vie et de l’organisation sociale et politique des premiers habitant du pays.

Cette recherche de réalisme se traduira aussi par des représentations nouvelles de l’habitat, des mœurs et des véritables enjeux économiques de l’époque. Les rues des villages vont devenir boueuses et les saloons se transformeront en bordels. Le cow-boy sera replacé dans son contexte social d’où il apparaîtra plutôt comme un travailleur agricole pauvre et illettré plutôt que comme le ‘’gun man’’ sentimental des décennies précédentes. Le fier ‘’mustang’’ qui lui permettait de chevaucher hardiment à travers déserts et montagnes s’effacera au profit du gros cheval de trait et des mules qui permirent réellement la conquête des terres de l’ouest. Les grands convois de chariots bâchés seront plus volontiers tirés par des bœufs.

Notons aussi l’apparition du sang à l’écran, le genre, comme le reste du cinéma américain, se laissant gagner par les effets ‘’gore’’ ! Jusqu’alors les balles, les flèches ou les tomahawks tuaient immanquablement mais laissaient peu de traces. La victime s’écroulait dans la dignité et passait l’arme à gauche dans un pathétique repentir ou pour permettre un dénouement moral. La volonté de s’approcher du ‘’vrai’’ va faire jaillir le sang des blessures, les plaies seront béantes (Les Proies, Don Siegel - 1970) et la mort deviendra douloureuse et souvent inutile, quelques fois avec une exagération spectaculaire et gratuite (La Horde sauvage, Sam Peckinpah - 1969). Cela est dans l’air du temps !

(à suivre)

Alain Jacques Bonnet

Cinéfil n°61 – Mars 2020