Le giallo, c’est le renouveau du thriller italien au cinéma, dans les années soixante et soixante-dix, genre où se mélange intrigue policière, érotisme et violence.

Dans les années vingt, en Italie, le giallo était un genre littéraire, des romans de gare aux intrigues policières où le but était de démasquer le tueur, son identité était révélée dans les dernières pages. Cette appellation « giallo » signifie « jaune », c’était la couleur qui recouvrait les couvertures de ces romans.

C’est au début des années soixante, que l’on transpose les bases du giallo au cinéma, avec deux films réalisés par Mario Bava, le pionnier du genre.

D’une part, avec La Fille qui en savait trop (1963), film pastiche, qui renvoie à L’Homme qui en savait trop, de Hitchcock, et d’autre part avec Six femmes pour l’assassin (1964), film qui sera projeté le lundi 9 mars aux Studio.

Ces deux films établissent les codes et intrigues du giallo au cinéma. Il suit un schéma très simple : un personnage, souvent étranger, se retrouve témoin, malgré lui, d’un meurtre commit à l’arme blanche, un meurtre brutal et sanglant où l’on érotise la mort.

Le meurtre est commis par un assassin mystérieux, vêtu d’un imperméable noir, d’un chapeau et de gants en cuir noir, il peut opérer en toute discrétion.

Souvent, le personnage, se retrouve contraint de résoudre cette énigme seul et mène sa propre enquête, petit à petit ce meurtre l’obsède, et c’est dans les dernières minutes du film qu’il finit par démasquer l’assassin.

Certes, Six femmes pour l’assassin, ne suit pas exactement ce schéma narratif, l’action se déroule dans une maison de haute couture italienne où les mannequins sont sauvagement assassinées les unes après les autres, par un assassin masqué, l’enquête est menée par un inspecteur, qui reste secondaire au récit, et rapidement les hommes de la maison sont soupçonnés.

Une vraie partie de cluedo où les personnages sont tous de potentiels suspects, le film joue beaucoup sur les faux-semblants et le trompe œil.

Néanmoins, c’est ce film qui pose tout l’esthétisme du giallo et marque l’aboutissement du travail de Bava sur la couleur, amorcé avec Les trois visages de la peur et Le Corps et le fouet (1963).

Ce film est une explosion de couleurs vives et envoûtante, du violet, du vert, du bleu et du rouge, le sang, celui des victimes.

On y délaisse la narration pour proposer une expérience sensorielle et onirique, où le rêve se mêle à la réalité.

Cependant, Mario Bava reste un réalisateur polyvalent qui s’est essayé à différents genres, le fantastique, le western ou encore le slasher, contrairement à son disciple qui est resté fidèle au genre.

C’est en 1969, après avoir écrit le scénario de Il était une fois dans l’ouest, aux côtés de Sergio Leone et de Bernardo Bertolucci, que Dario Argento se découvre une passion pour le cinéma.

Et, c’est en 1970 qu’il passe derrière la caméra pour réaliser son premier film, L’oiseau au plumage de cristal, premier opus de sa trilogie animale. La bande originale est signée Ennio Morricone, rencontré lors de l’écriture du film de Sergio Leone. Il compose un thème mémorable, qui hante.

Dans ce film, Sam Dalmas, écrivain américain, de passage à Rome assiste à une agression au couteau dans une galerie d’art. Seul témoin, il est contraint de rester pour aider la police à identifier l’assassin.

Chez Argento, les meurtres sont particulièrement sanglants, il y a des gros plans sur les corps des victimes se prenant des coups de couteau ou de rasoir, ces meurtres sont souvent érotiques avec des victimes féminines et dénudées.

De plus, l’assassin est un être sadique, déviant, qui tue pour soulager ses pulsions perverses.

Argento a souvent recours à la caméra subjective, pour montrer la détermination du tueur ou alors pour que le spectateur se mette dans sa peau.

Avec L’Oiseau au plumage de cristal, Argento fait appel à la mémoire. Sam Dalmas a vu quelque chose le soir de l’agression, un élément important qui lui échappe, il se repasse la scène plusieurs fois afin de comprendre ce qui cloche, ce qu’il lui manque pour reconstruire le puzzle. C’est un thème récurrent chez le réalisateur, qu’il explore dans beaucoup de ses films, notamment dans Les Frissons de l’angoisse (1975). Un pianiste interprété par David Hemmings, est témoin du meurtre d’une médium dans son appartement, il devient obnubilé par cette scène et mène sa propre enquête afin de l’élucider.

Ce film est la quintessence du giallo, reprenant tous les codes du genre, avec une intrigue alambiquée et bien ficelée, il dialogue avec différent films dont Le Secret derrière la porte, (1947) de Fritz Lang et surtout avec Blow up (1966) de Michelangelo Antonioni, tous deux traitant de la fascination de l’image.

Les Frissons de l’angoisse, c’est aussi deux rencontres. Celle de Daria Nicolodi, muse du réalisateur, qui rayonne dans ce film en tant que journaliste pleine d’assurance et de détermination. Et la première collaboration d’Argento avec Goblin, groupe de rock progressif italien, qui signe des compositions expérimentales, agressives et inoubliables. La musique chez Argento donne toute une dimension à son cinéma, alors que chez Bava, elle reste illustrative.

Puis, en 1977, Argento s’éloigne du giallo pour le fantastique lorsqu’il réalise Suspiria, avec lequel il crée sa propre mythologie, la Trilogie des Trois Mères, triade de trois sorcières qui sont sur terre depuis des siècles et qui ont pour but de plonger le monde dans les ténèbres.

Ce film est une expérience sensorielle. Comme pour Six femmes pour l’assassin, les couleurs sont flamboyantes, l’esthétique est implacable, la bande originale des Goblin donne une atmosphère terrifiante et cauchemardesque au film.

Puis, l’arrivée des années quatre-vingts annonce la fin de l’âge d’or du giallo, le genre est de moins, en moins populaire, les films se ressemblent, ils n’inventent rien de neuf.

En 1982, Dario Argento sort son dernier grand succès, Ténèbres, son chant du cygne.

Dario Argento et Mario Bava, réalisateurs avant-gardistes, ont inspiré toute une génération de réalisateurs de David Lynch à Brian De Palma, en passant par Tim Burton ou encore Quentin Tarantino.

Ilona Goudou

Cinéfil n°61 – Mars 2020