Depuis plus de quarante ans, l’Atelier Super 8 accompagne « tous ceux qui souhaitent apprendre et s’approprier les techniques photographiques et cinématographiques liées au support argentique. » Il nous a ouvert ses portes pour nous raconter son histoire et nous expliquer son mode de fonctionnement.

D’une utilisation aisée et d’un coût modique, la pellicule super 8, commercialisée par Kodak à partir de 1965, a été pendant quelques décennies le support favori des cinéastes amateurs. Avec leurs images tremblotantes et leurs couleurs désaturées, ces films sont souvent, dans l’imaginaire collectif, considérés comme des objets désuets (d’aucun dirait « vintage ») qui font surgir le souvenir de Jackie Kennedy en tailleur rose rampant sur le capot d’une Cadillac ou celui de Tatie Suzanne en maillot psychédélique bronzant sur la plage de La Baule. Certains pourraient être tentés de penser que tout ça appartient à un autre temps et n’est plus bon qu’à être relégué dans des vitrines poussiéreuses surveillées par d’indécrottables nostalgiques. Il suffit de pousser la porte de l’Atelier Super 8 pour que cet a priori stupide (comme tous les a priori) soit instantanément balayé par les mines avenantes d’Aurélie et Charles, investis dans l’association depuis respectivement 16 et 7 ans, qui vous accueillent dans une salle dont le joyeux désordre donne l’immédiate impression d’arriver chez des copains. Avant même de découvrir les deux laboratoires où trônent d’impressionnants agrandisseurs photographiques, on devine que l’endroit est, à l’opposé d’un sanctuaire ou d’un musée, un lieu de travail, d’échange et de partage. Impression confirmée par l’enthousiasme communicatif de Charles qui, guide improvisé, vous fait découvrir, avec force détails et précisions nourries, les différents équipements et matériels. Le clou de la visite est sans conteste la salle de projection aménagée dans la dernière pièce du local. Non pas une reconstitution façon home-cinéma, mais une vraie salle de cinéma avec son grand écran et ses rangées de fauteuils, capable d’accueillir dix-neuf spectateurs.

Un outil à la portée de tous

L’aventure de l’Atelier Super 8 commence en 1979 lorsqu’un trio d’enseignants crée, au sein de l’Université de Tours, avec du matériel donné par l’INA, une association, proposant à qui le souhaite de réaliser des films.

Aurélie : A l’époque, c’était estampillé ‘’éducation populaire’’, agrément octroyé par le Ministère de la Jeunesse et des Sports. Le super 8 était un outil à la portée de tous et l’objectif était d’accompagner ceux qui voulaient s’en emparer. L’idée n’était pas d’imposer un savoir théorique ni d’enseigner une syntaxe cinématographique, mais d’explorer les possibilités offertes par l’outil et de composer, pratiquement, avec les contraintes techniques pour arriver à construire l’image que l’on a pensé. Parce que l’image, ça se pense. La grande idée de Jean, c’était ça : une idée, un plan.

Jean, c’est Jean Riant, professeur de mathématiques, engagé, pendant des années, dans le développement de l’association qui voit passer nombre d’aspirants cinéastes dont certains, par la suite, poursuivront leur activité cinématographique, chez Sans Canal Fixe ou ailleurs. A cette époque, l’achat d’une pellicule super 8 intègre son développement dans un laboratoire spécialisé. L’activité de l’Atelier Super 8 est donc essentiellement tournée vers la préparation et le tournage proprement dit, puis le montage et la projection des films réalisés. Lorsqu’au début des années 2000, l’Atelier Super 8 est contraint de quitter l’Université pour venir s’installer dans ses locaux actuels, il doit aussi faire face au développement du marché des camescopes numériques. Les pratiques cinématographiques familiales ont changé progressivement entraînant une diminution de la demande en super 8 qui s’accompagne évidemment d’une réduction de l’offre non seulement en matériel mais surtout en service. Au fur et à mesure de la fermeture des laboratoires, les films qui étaient développés en Suisse (pour la couleur) ou en Allemagne (pour le noir et blanc), doivent être envoyés aux Etats-Unis, ce qui implique une augmentation des coûts mais aussi des délais de traitement.

Charles : Nous n’avons jamais eu de mal à trouver de la pellicule. Il y avait du stock disponible. Mais les laboratoires ne développaient plus. De toutes façons, avant cela, il y avait déjà un problème avec le développement parce que le protocole était très industriel. Tous les films étaient développés de la même manière ce qui conduisait à des résultats parfois décevants.

Face à ces difficultés techniques, l’association, qui risquait de disparaître, aurait pu se tourner vers le numérique. Elle a préféré faire de cette nouvelle contrainte un moyen de conforter et renforcer ses principes de fonctionnement en poussant plus loin encore sa démarche.

Aurélie : Nous nous sommes dit qu’il fallait devenir autonome au niveau du développement. La volonté était de tout maîtriser, d’accompagner l’image jusqu’au bout. Ça correspond à un mouvement qui se développe dès les années 90, avec des structures comme Metamkine à Grenoble, un laboratoire cinématographique indépendant qui a racheté du matériel professionnel. Rapidement, de plus en plus de gens les sollicitent et ils acceptent de transmettre leur savoir technique afin d’encourager l’ouverture d’autres laboratoires. Le but est d’offrir des alternatives au circuit industriel. Et ça fonctionne. En France, dans les années qui suivent, une dizaine de labos se monte. Certains ont fermés depuis mais d’autres existent encore ou continuent à ouvrir. Nous, nous avons appris à développer avec l’association Mire, à Nantes.

Transmettre les gestes et échanger les regards

L’activité de l’Atelier Super 8 est également relancée par l’arrivée de Charles, en 2013, qui amène avec lui la photographie. Si la partie photo se développe rapidement (l’association organise aujourd’hui trois à quatre stages par an, organisés sur un week-end pour des groupes de six personnes), l’activité super 8, moins importante qu’à l’origine, n’a pas pour autant disparu, et connaît même un regain d’intérêt depuis quelques années, auprès d’un public extrêmement diversifié, âgé de 14 à 70 ans.

Charles : Pour l’instant, nous proposons des stages d’une journée pendant lesquels on apprend à développer. Les participants apportent leur pellicule déjà filmée mais, si besoin, nous pouvons aussi leur prêter une caméra. Il n’y a pas de date fixée, les stages sont organisés en fonction de la demande et se font toujours à deux, pour qu’il y ait un échange entre les participants. On travaille toujours à deux, ici.

Aurélie : Le principe, c’est que les stagiaires fassent par eux-mêmes. Nous leur transmettons un savoir technique, nous les accompagnons, mais ce sont eux qui font. Nous ne sommes surtout pas dans une prestation de service.

On l’aura compris, la démarche de l’Atelier Super 8 est politique, au sens premier du mot dont il n’est jamais inutile de rappeler l’étymologie : (du grec πολιτικός) science des affaires de la cité. Autrement dit : outil de réflexion visant à définir un mode d’organisation sociale, une manière de vivre (le mieux possible) ensemble.

Aurélie : L’Atelier Super 8 est un outil collectif, et nous faisons en sorte qu’il le reste, qu’il n’y ait pas un individu qui se l’approprie. Mutualiser l’outil, ça passe par la nécessité de transmettre les gestes et d’échanger les regards. Avec l’objectif, dès que les stagiaires sont suffisamment autonomes, qu’ils puissent occuper les lieux et ouvrir ainsi des permanences pour ceux qui le sont moins.

Dans ce même souci de préserver l’indépendance et la liberté de tous et de chacun, l’association a fait le choix de ne fonctionner qu’avec des bénévoles. Aurélie est institutrice, Charles, projectionniste chez Ciné-Off.

Aurélie : Nous avons pris le parti d’exclure la question du salariat, ce qui n’a pas toujours été le cas. A un moment des gens pouvaient avoir quelques heures d’intermittence en travaillant ici. Maintenant, tout est bénévole et on devient adhérent à partir du moment où on fait un stage.

Comme un atelier de bricolage

Par conviction plus encore que par principe, l’Atelier Super 8 défend des positions. L’une d’elles passe par un attachement forcené au support argentique.

Charles : Quand on filme avec de la pellicule, l’enjeu n’est pas le même qu’avec le numérique. L’image numérique est instantanée mais virtuelle. L’argentique impose un autre rapport au temps, parce qu’il faut manipuler la matière. C’est pour ça que l’association s’appelle l’Atelier Super 8. Dans l’idée d’atelier, il y a quelque chose de manuel. C’est comme un atelier de bricolage.

Aurélie : Il y a aussi une question politique à ce sujet. L’idée est de continuer à transmettre les gestes liés à l’argentique pour que le savoir perdure et pour résister à un certain totalitarisme du numérique qui a été imposé pour des raisons essentiellement commerciales. En particulier au niveau de la diffusion*. Je vais voir des films projetés en numérique quand ils ont été tournés ainsi. Ce qui me paraît aberrant c’est de projeter, en salle, en format numérique un film qui a été pensé et conçu en pellicule. Ce serait comme présenter la projection numérique d’une toile, dans un musée. Les spectateurs ne se souviennent plus forcément de la différence. Il faudrait presque organiser une projection pédagogique pendant laquelle le même film serait présenté sur les deux supports.

Ceci fera peut-être l’objet de l’une des soirées que la Cinémathèque propose, depuis quelques années, à l’Atelier Super 8 d’organiser et qui sont toujours l’occasion de découvrir des films rares ou inattendus.

Aurélie : Nous ne cherchons pas l’étiquette ‘’cinéma expérimental’’. La seule cohérence dans notre programmation, c’est que les films soient projetés à partir d’une copie pellicule et qu’ils puissent faire écho aux partis pris de l’association. Et puis, bien sûr, il faut que ça permette d’apporter quelques éléments théoriques de réflexion.

Charles : Dracula [le film choisi cette année] est particulièrement intéressant par rapport à notre activité parce qu’il a été tourné en super 8 et en 16mm, et qu’il va être projeté en 35mm. Je l’ai vu quand il est sorti en salle et j’avais été fasciné par le travail de Guy Madin qui a tourné son film en noir et blanc, et muet. Selon lui, lorsque le cinéma est devenu parlant, il n’avait pas encore expérimenté toutes les possibilités d’expressions qu’offrait le muet. Alors il a voulu creuser dans ce sens. C’est un cinéaste qui a commencé en utilisant le super 8 parce que c’était le support le plus accessible, mais ensuite il a tourné en 16 mm, en 35 mm, en couleurs et a aussi réalisé des films parlants. Il a tout exploré. »

Explorer. Le mot résume parfaitement le programme que semble s’être fixé l’Atelier Super 8.

Atelier Super 8    1 rue Victor Grossein    37000 Tours   -   02 47 38 15 09 / http://ateliersuper8.com/

* voir à ce sujet l’entretien avec le président des Studio dans les N° 11 & 12 du Cinéfil

Olivier Pion

Cinéfil n°61 – Mars 2020