Suite et fin de notre article sur l’histoire du western. Après la recherche de réalisme, vient le temps de la démythification et de l'épure, jusqu’à ce que les années 80 sonnent le glas d’un genre qui, témoin de l’évolution simultanée d’un système de production et d’une société, reste malgré tout pour nombre de cinéphiles « le cinéma américain par excellence ».

L’armement utilisé dans la plupart des westerns fut souvent largement fantaisiste. Avant 1950, les revolvers tiraient sans discontinuer et chaque individu en portait une paire à la ceinture. Curieusement, c’est un des détails qui ne sera pratiquement pas modifié dans les films d’après-guerre, ce jusqu’aux années 1970, et l’on continuera à doter les cow-boys de Colt ‘’Frontier’’ appelés aussi Colt 45 (calibre) alors qu’il ne fut commercialisé qu’en 1878. Il coûtait alors entre 16 et 17 dollars sans compter le ceinturon et le Holster fabriqué le plus souvent sur mesure. Parfois on lui substituait avec plus de vraisemblance le Colt ‘’Walker’’ (Cent dollars pour un shérif, Henry Hatthaway - 1969) commercialisé en 1847, d’un calibre 44 avec barillet à 6 chambres mais qui pesait 2 kg et mesurait 22,9 cm. Il était quasi impossible de le porter à la ceinture. En réalité les revolvers les plus répandus entre 1840 et 1890 étaient les anciennes ‘’poivrières’’ dotées de plusieurs canons tournant manuellement autour d’un axe et qui dataient des années 1820. De nombreux modèles circulaient (Rio Lobo, Howard Hawks - 1970). On trouvait aussi à ces époques des Forsyth (La Vallée de la poudre, Georges Marshall - 1958), le Stingy Gun (El Perdido, Robert Aldrich - 1961) ou le Derringer ne tirant qu’un coup. Mais il s’agissait d’objets de luxe réservés aux forces de l’ordre ou aux bandits. Le fusil était en fait beaucoup plus répandu car il était avant tout une arme de chasse. Les premiers modèles présents au cinéma sont des antiques ‘’Kentucky’’, ‘’Enfield ‘’ou des ‘’Herper Ferry’’ qui se chargeaient par la culasse et possédaient une amorce en silex (La Vallée des massacres, Wallace Fox - 1953). Mais, dès lors que l’on rejoint le territoire mythique du cow-boy, on le dote de la Winchester, modèle 66 ou 94, capable de tirer 10 cartouches sans barillet, de calibre 44 mais ils ne furent commercialisés, pour le premier qu'en 1866 et pour le second en 1894 (Winchester 73, Anthony Mann - 1950). Quelques autres modèles apparaissent dans les films d’après 1950 : le ‘’Walker’’ (Jeremiah Johnson, Sydney Pollack - 1972), le ‘’Springfield’’ (La Mission du Commandant Lex, André de Toth - 1952), le ‘’Spencer’’ (Impitoyable, Clint Eastwood - 1992).

Une volonté de démythification

Les archétypes utilisés depuis les débuts du genre sont toujours présents. Mais ils seront filmés avec davantage de précision comme des éléments de base d’un folklore revendiqué. Comme le reste, ils prendront petit à petit une épaisseur et une authenticité qui rendra les personnages parfois pathétiques, les instruments indispensables, les situations crédibles. On retrouve pèle -mêle : le joueur (tricheur ?) qui hante les bateaux à aubes sur le Mississippi (Le Gentilhomme de la Louisiane, Rudolph Maté - 1953 et L’Ange des maudits, Fritz Lang - 1952) ; le bétail qui reste le signe de la réussite (Je suis un aventurier, Anthony Mann - 1953) ; le bison qui est en voie d’extinction par la faute des chasseurs blancs (La Dernière chasse, Richard Brooks - 1956) ; le bureau du shérif qui est le lieu de passage et de refuge (Le Désert de la peur, Raoul Walsh – 1951 ou Rio Bravo, Howard Hawks - 1959) ; la prostituée au grand cœur (Duel dans la boue, Richard Fleischer – 1958 ou L’Homme aux colt d’or, Edward Dmytryk - 1959) ; la gare, toujours annonciatrice de dangers (Le Train sifflera trois fois, Fred Zinnemann - 1952) ; le train, vecteur d’aventures (3H10 pour Yuma, Delmer Daves - 1958 ou Le Dernier train de Gun Hill, John Sturges - 1959) ; la loi du lynch, toujours appliquée par les éleveurs (Quatre étranges cavaliers, Allan Dwan - 1954). Le café reste la boisson du cow-boy en déplacement et le whisky celle du saloon, dans pratiquement tous les westerns. La volonté de démythification est manifeste chez Sam Peckinpah bien sûr (dans tous ses westerns) mais aussi chez William Wellman (Convoi de femmes - 1950), chez Richard Brooks (La Dernière chasse - 1955), Anthony Mann (Du sang dans le désert - 1957), Arthur Penn (Le Gaucher - 1958), Delmer Daves (La Colline des potences - 1959), John Huston (Le Vent de la plaine - 1960), John Ford (L’Homme qui tua Liberty Valance - 1961), Gordon Douglas (Rio Conchos - 1964), Robert Altman (John McCabe - 1971) ou Budd Boetticher (Qui tire le premier - 1971).

Un néo-western qui tend vers l’épure

Ces années 1950-1960 vont nantir le western d’une nouvelle respectabilité, basée, cette fois, non sur un imaginaire plus ou moins mercantile, mais sur la recherche indéniable de racines communes et de valeurs réelles. Son cadre et ses personnages ont désormais acquis une valeur picturale et reconnaissable, transposable dans le monde moderne et suffisamment ancrée dans les esprits pour constituer une sorte de scène de théâtre universelle capable d’abriter des drames, des conflits et des préoccupations intemporelles. Certains réalisateurs vont se servir de ce cadre pour en faire le terrain stylisé de tragédies individuelles, épiques ou minimalistes, une représentation de la dramaturgie humaine débarrassée des contraintes géographiques ou historiques, comme une façon de retrouver les ressorts de la tragédie classique. Sans avoir recours aux auréoles douteuses des héros traditionnels et historiques, ce néo-western va tendre vers l’épure, se rapprochant parfois de la tragédie antique, devenant un moyen d’expression moderne, qui sera servi très souvent par des mises en scènes d’une rigueur et d’une rectitude digne du plus grand cinéma de série A. La plupart de ces films sont devenus des classiques, du western bien sûr mais surtout du cinéma tout court. Rappelons-nous Rio Bravo (Howard Hawks - 1958) qui joue de la règle des trois unités ; Coups de feu dans la Sierra (Sam Peckinpah - 1962), crépuscule d’une règle d’honneur ; Sept hommes à abattre, La Chevauchée de la vengeance, Comanche Station (tous trois réalisés par Budd Boetticher, en 1956, 1959 et 1960) où, avec les moyens les plus simples, uniquement par l’image, apparaissent des motivations humaines universelles ; L’Appât et L’Homme de l’Ouest (Anthony Mann - 1953 et 1960) et la linéarité des parcours dramatiques, Le Bandit (Edgar G. Ulmer - 1954), épure presque parfaite d’un destin inexorable ; La Prisonnière du désert et Les Deux cavaliers (John Ford - 1956 et 1961) peintures amères d’une société sans repentance ; Johnny Guitar (Nicolas Ray – 1954) à la poésie sulfureuse ; 3H10 pour Yuma (Delmer Daves - 1957) qui modélise un sens de l’honneur individuel ; L’Ange des maudits (Fritz Lang - 1952), qui structure l’univers des hors-la-loi, et tant d’autres encore… Ce sont des leçons de cinéma qui donnent au genre ses lettres de noblesse et tissent la toile d’une véritable culture propre aux États-Unis.

La fin d’un idéal originel

Mais cette évolution, cette approche objective de l’histoire, cette révision des fondements mêmes du pays, devenu première puissance mondiale, allaient sonner le glas du genre qui, pourtant le représentait si bien. Les années 80 vont marquer la fin du western malgré quelques tentatives sporadiques pour le ressusciter (ce sera aussi le cas d’autres genres cinématographiques comme le film noir, le policier traditionnel ou la comédie musicale). Le western italien, avec sa désinvolture, a sans doute contribué à faire basculer la représentation de l’histoire de la nation états-unienne vers des territoires obscurs et malsains mais dans le cinéma américain lui-même, le fait d’avoir déchiré le voile du rêve, d’avoir cherché à élargir les frontières temporelles et psychologiques des valeurs communes chassait les mythes, en tant que représentations d’un imaginaire social civilisateur, sans leur redonner une valeur nouvelle. Les westerns dits ’’modernes’’ malgré leurs indéniables qualités cinématographiques, ont cessé de représenter la naïveté et la pureté de l’idéal originel. Et peut-être faut-il également prendre en compte la surenchère mercantile de la violence et du sexe qu’un cinéaste comme Sergio Leone allait initier et que les différentes productions s’efforceront de surpasser pour, soi-disant, plaire au public. L’exagération – certains diront la stylisation - qui amena à cette ‘’re’’vision du temps de la colonisation d’un pays (un temps si proche en fait car le monde des cow-boys n’a cessé d’exister qu’il y a peu, à peine 60 ans), dépeint cynique, cruel, cupide (Remarquez que dans Il était une fois dans l’ouest par exemple, tous les personnages ne sont animés que par l’argent), fit que le spectateur le trouva tout aussi factice que celui du beau Far West idyllique d’avant-guerre ! Dès lors, il ne suscitait plus aucune envie d’y être mêlé, ni de près – par le vecteur de l’écran – ni de loin – pour y retrouver des racines.

NB : La liste des films cités comme exemples n’est, bien sûr, pas exhaustive, car il eût alors fallu nommer la quasi-totalité des western réalisés depuis 1903. Chacun pourra la compléter avec ses souvenirs personnels.

Alain Jacques Bonnet

Cinéfil n°62 - Octobre 2020