Si vous lisez attentivement les Carnets des Studio, vous avez forcément repéré le logo Séances Jeunes qui accompagne l’annonce de séances uniques proposées le samedi après-midi. Organisées et animées par trois salariées des Studio, elles ont vocation à attirer un public jeune qui n’a pas ou plus l’habitude de venir voir des films au cinéma, a fortiori lorsqu’ils sont estampillés Art et Essai. Rencontre avec Manon Lory et Chloé Gouzerh qui ne manquent ni de bonnes idées, ni d’enthousiasme (communicatif) quand il s’agit de partager leur amour du cinéma.

En quoi consistent les Séances Jeunes ?

Manon : Les Séances Jeunes proposent des films, en version originale sous-titrée, tous les samedis en fin d’après-midi avec, deux fois par mois, une deuxième séance à 19 h. Comme le nom l’indique nous ciblons un public jeune que nous abordons, au niveau de la programmation, selon deux tranches d’âges, 14/17 ans et 18/26 ans, mais les séances sont évidemment ouvertes à tous. À l’origine du projet, qui s’appelait alors Rétro-ciné, il y avait une envie de partager des films qui nous avaient plu et fait aimer le cinéma, et qui nous semblaient représentatifs d’une génération. Nous avons commencé avec des films comme Mon voisin Totoro, Roger Rabbit ou Le Cercle des poètes disparus. Ça a pris assez vite, mais le Covid a cassé la dynamique qui commençait à se mettre en place et à la sortie des confinements nous avions perdu beaucoup de spectateurs. En plus de tenter de faire venir les jeunes qui n’avaient pas l’habitude de fréquenter les cinémas, il fallait donc faire revenir ceux qui s’étaient tournés vers les plateformes de streaming ou de vidéo à la demande.

Chloé : à cette période il y a eu plusieurs initiatives du CNC, avec la mise en place du “fonds pour le développement de la cinéphilie du public jeune“, ou de la DRAC, dans le cadre de l’opération l’Été culturel. Nous avons répondu à des appels d’offres et avons pu obtenir des subventions qui rémunèrent les heures de travail que nous consacrons à ce projet et couvrent les frais de location des films. Ça nous a permis de relancer ce que nous avions commencé à organiser.

Manon : Les Studio fonctionnant sur la base de commissions qui prennent en charge différentes activités (la programmation, les carnets, la nuit des Studio, etc.), nous nous sommes dit que nous allions créer une commission Jeunes 15/25 ans. Ce n’est pas encore fait mais ça ne nous empêche pas d’organiser les séances. Nous sommes trois salariées détachées sur les Séances Jeunes et un bénévole, Romain, qui nous accompagne activement.

Quels types de films proposez-vous ?

Manon : Nous ne programmons pas que de l’art et essai mais ouvrons à tous types de films, quel qu’en soit le format, le sujet ou le ton. Nous avons ainsi présenté des courts-métrages, des documentaires, des classiques ou des films plus “grand public“ – les deux ne sont pas incompatibles d’ailleurs – et même une série télévisée. Ce qui nous intéresse ce n’est pas seulement d’attirer un nouveau public aux Studio, de dépoussiérer l’image des salles art et essai qui seraient réservées, pour caricaturer, à des intellectuels vieillissants, mais avant tout de donner l’occasion à un certain public de voir des films dont ils pourraient penser qu’ils ne sont pas faits pour eux. Il s’agit vraiment de lever des a priori qui n’ont pas lieu d’être même si on peut comprendre d’où ils viennent, et qui existent de part et d’autre.

Chloé : Et à chaque fois que c’est possible, nous essayons de compléter la séance avec une animation qui peut être un débat, un goûter, un jeu ou un atelier, dans le but de créer un moment de rencontre autour du film lui-même. Soit nous l’organisons nous-même, soit nous faisons appel à des intervenants extérieurs, ce qui nous permet de développer un réseau culturel local mais aussi de tester des choses qui ne se font pas habituellement aux Studio. Ce qui ne nous empêche pas de nous associer également à des évènements organisés par ou au sein de la structure, comme Viva il Cinema !, Arrière-cuisine, Désir... Désirs ou encore les Mycéliades, un festival de science-fiction dont la première édition aura lieu en février prochain.

Manon : Nous sommes vraiment dans une démarche d’ouverture la plus large possible, avec un objectif prioritaire : partager le plaisir du cinéma.

Comment se fait la programmation ?

Manon : Chaque mois, nous listons nos idées de films et d’animations. Chloé s’occupe plutôt des séances Ciné-club qui concernent le public 14/17 ans, moi de celles des 18/26 ans. Ensuite, nous consultons les distributeurs pour savoir ce qui est disponible et à quelles conditions.

Chloé : Nous avons aussi, et de plus en plus, des propositions d’associations ou de structures comme Ciclic qui viendra animer la séance du 7 janvier autour du film Fake investigation, ou l’ESCAT dont les étudiants présenteront le même jour le film qu’ils ont réalisé. La semaine suivante, nous programmerons Woman at war, un film islandais de Benedikt Erlingsson, lors d’une séance que nous avons préparée avec la Mission locale de Touraine et le Conseil Municipal des Jeunes. C’est le prolongement d’un travail entrepris l’année dernière avec une jeune fille qui faisait un service civique à la Mairie. Ce genre de collaboration à long terme est vraiment intéressant parce qu’il nous permet de construire des évènements riches, ici sur le thème de l’écologie et des émissions carbone, avec un film, un débat et un jeu.

Manon : Nous avons également des demandes qui viennent du milieu universitaire ou scolaire. Depuis l’année dernière, par exemple, le Master de droit de la faculté de Tours nous sollicite pour organiser un ciné-débat. Nous leur proposons différents films en rapport avec la thématique qu’ils ont choisie et ils se chargent de l’animation du débat. De la même manière, La Bobine, le ciné-club de la faculté de médecine, viendra en mars présenter un film aux Studio. En 2021, la nouvelle directrice de Jazz à Tours nous a contactées après avoir répondu à l’appel d’offres du CNC. Nous avons créé ensemble un Ciné-club Musique. Les élèves de l’école qui y participent choisissent des films en rapport avec la musique, que ce soit sur le fond ou dans la forme, et les présentent lors de séances organisées le vendredi soir tous les deux mois. Ce que nous voulons, c’est que les jeunes prennent part à la programmation, qu’ils ne soient pas juste spectateurs.

C’est aussi le but du Ciné-club des Studio.

Chloé : Exactement. L’activité du Ciné-club, qui regroupe des jeunes de 14 à 17 ans, a débuté juste après les Séances Jeunes. Actuellement, ils sont 23 pour organiser une séance tous les mois. Concrètement, ils proposent un thème à partir duquel je recherche cinq ou six films qui pourraient correspondre et ils en choisissent un dont ils préparent la présentation et l’animation associée. C’est très varié, la dernière fois c’était La Famille Tenenbaum de Wes Anderson, pendant Désir... Désirs ce sera Quand on a 17 ans d’André Téchiné. En octobre, ils avaient même choisi Une Femme disparaît d’Alfred Hitchcock, un film anglais, en noir et blanc, de 1939. Il y a une vraie curiosité de leur part et surtout un grand plaisir à être dans une logique d’action et pas seulement de consommation.

Manon : De toute façon, lorsqu’on accompagne le public jeune dans la découverte des films de patrimoine, on constate que les réticences ne sont pas si fortes que ça, qu’elles tombent facilement. Dans le cadre des séances Lycéens au cinéma, le film retenu pour le premier trimestre était Certains l’aiment chaud. Quand j’ai annoncé que c’était un film en noir et blanc, réalisé il y a soixante ans et le tout en version originale, il pouvait y avoir une certaine appréhension. Pourtant, deux heures après ils sont tous ressortis ravis, alors que d’eux-mêmes ils ne seraient pas forcément allés chercher le film puisqu’ils ne connaissent ni Billy Wilder, ni Marilyn Monroe pour certains.

Qu’est-ce que ça donne en termes de fréquentation ?

Chloé : Comme nous tentons beaucoup de choses différentes et essayons de développer toutes sortes de partenariats, nous ne savons pas forcément ce qui va prendre ou non. Cet été, nous avons organisé un marathon Harry Potter qui reprenait les huit films sur trois jours, avec une animation par jour en collaboration avec la boutique Le Chaudron magique qui a proposé un atelier de fabrication de potions et avec la cafétéria AIR qui avait prévu un menu spécial. Le premier week-end des vacances, c’était risqué et pourtant le succès a été énorme. Nous avons vendu 180 pass, auxquels s’ajoutent les places vendues à la séance, et surtout il y avait une ambiance formidable. Sur ce genre d’opération, nous sommes vraiment au cœur de notre projet qui est de faire venir les jeunes au cinéma et leur montrer qu’ils ont toute leur place dans une structure art et essai.

Manon : Et vice versa. Parce que l’accueil de ce nouveau public peut aussi faire souffler un vent de jeunesse salutaire sur les Studio. Par exemple, en novembre 2021 nous avons organisé avec l’association Goat Cheese une rencontre entre François Bégaudeau et le duo électro-minimaliste Trotski nautique, une alternance de chansons et de débats sur des questions politiques. Ce n’est pas forcément le genre de choses qu’on s’attend à trouver aux Studio, un dimanche matin, et nous avons eu plus de 80 personnes. Un peu comme l’horreur, qui est typiquement un genre qu’on n’associe pas à l’art et essai. Pourtant la soirée de l’horreur qui existe depuis quelques années et qui est, pour le coup, une initiative des salariés des Studios, rencontre un très grand succès. Un cinéma est bien sûr un lieu de découverte culturelle mais aussi et surtout de lien social, de rencontre.

Chloé : PasserelleCiné est pleinement dans cette démarche-là. Nous avons collaboré avec eux et l’Espace Loisirs Jeunes sur un atelier radio auquel ont participé des jeunes de 13 à 15 ans de quartiers sensibles de Tours Nord. Aucun n’avait jamais mis les pieds aux Studio. Ils ont choisi quatre films dans la programmation et les ont chroniqués sur Radio Béton. Même s’ils n’ont pas forcément aimé certains films qu’ils ont vus, ils ont adoré participer.

Manon : Là, il y a tout : la culture, le social et le partage.

Chloé : Pour revenir à la question de la fréquentation, nous sommes sur une moyenne de 30 personnes par séance. Ce qui est plutôt bien compte tenu du contexte général. Globalement la fréquentation des salles a tendance à augmenter, tout en restant inférieure d’environ 20 % à ce que nous avons pu connaître avant le Covid. Pour les Séances Jeunes, même si c’est inégal, parce qu’il y a plein de facteurs qui entrent en ligne de compte, y compris et surtout les choix que nous faisons, nous sentons une dynamique vraiment encourageante. De toute façon, c’est un projet qui s’inscrit dans la durée.

Comment voyez-vous l’évolution du projet justement ?

Manon : L’idée est de rallier la programmation Jeunes avec la programmation générale. Pour l’instant, nous attirons les jeunes avec des séances spéciales, pour leur donner envie de venir au cinéma, en espérant que ça leur donnera envie de revenir pour les autres films.

Chloé : Nous avons déjà des demandes de séance sur des films d’actualité d’ailleurs. Par exemple, l’ordre des Sages-femmes nous a sollicitées pour un ciné-débat autour du film Annie Colère de Blandine Lenoir, qui aborde la question de l’avortement dans les années 70, et nous avons rallié La Bobine dessus.

L’inévitable question à laquelle vous n’échapperez pas : avez-vous un conseil ou un coup de cœur à partager ?

Manon : 90’s de Jonah Hill. C’est un film à la fois touchant et drôle qui dépeint parfaitement la vie d’un gamin de douze ans dans une banlieue défavorisée de Los Angeles au milieu des années 90, sur fond de sports de glisse et de hip-hop. J’aime beaucoup ce film et quand nous avons débuté les Séances Jeunes j’ai vraiment tenu à le programmer. Récemment, j’ai découvert lors d’une projection de l’AFCAE, Les Rascals, un film de Jimmy Laporal-Trésor qui sortira mi-janvier. L’action du film se situe au milieu des années 80 en banlieue parisienne et suit une bande de jeunes issus de l’immigration qui sont confrontés à certaines réalités sociales à travers la confrontation avec des bandes de fachos. Nous ne l’aurons pas dans la programmation générale mais j’aimerais vraiment le présenter en Séance Jeunes.

Chloé : C’est difficile de faire un choix. Là, spontanément, je pense à des films comme Leto de Kirill Serebrennikov, qui ressemble presque à un cliché de film art et essai mais qui est très rock’n’roll, ou Persepolis de Marjane Satrapi. Non pas que j’aie une prédilection pour les films en noir et blanc, mais ce qui me plaît dans ces deux films c’est le côté rebelle des personnages. C’est pour ça que je conseille aussi Woman at war, un très bon film sur la lutte d’une femme seule contre une industrie polluante avec une histoire d’adoption qui va remettre en question son rapport au militantisme. Je vous encourage vraiment à venir le voir. Comme tous les films des Séances Jeunes d’ailleurs.

Entretien réalisé par Olivier Pion

Cinéfil n°69 - Janvier 2023