Lorsque j’étais enfant, à la télévision, qui ne comptait alors que trois chaines, étaient régulièrement programmées des émissions consacrées au cinéma.

De La séquence du spectateur qui proposait des extraits de films présentés en voix off par la speakerine Catherine Langeais, j’ai surtout gardé en mémoire la musique du générique, un chachacha très entraînant dont j’apprendrai des années plus qu’il s’intitulait On The Desert Road et était interprété par un certain Juan Montego and The Kingston Orchestra.

Monsieur Cinéma était animé par un présentateur à la tête toute ronde appelé Pierre Tchernia qui était également réalisateur de films comme Le Viager, Les Gaspards ou, beaucoup plus tard, Bonjour l’Angoisse !

Mais mon émission préférée était Cinéma cinémas dans laquelle il était possible de voir des sujets sur des cinéastes au travail, des stars d’Hollywood vieillissantes, de jeunes acteurs français et plein d’autres choses encore. Je me souviens de John Cassavetes dirigeant sa femme Gena Rowlands dans une scène de Love Streams. Je me souviens de Jean-Luc Godard se disputant avec son chef opérateur sur le tournage de Détective pendant que Johnny Hallyday, embarrassé, attendait que ça se passe en regardant par la fenêtre tandis que le réalisateur concluait l’échange d’un saisissant : « ce n’est pas la peine de faire la gueule, il y a suffisamment de gens au chômage ». Je me souviens d’Orson Welles révélant à un aréopage de journalistes avec lesquels il déjeunait dans une brasserie parisienne qu’il avait envisagé de se présenter dans les années 40 aux élections présidentielles américaines. Je me souviens de Jane Russell répondant à un journaliste qui lui demandait si elle savait pourquoi la marque Playtex lui avait proposé de présenter ses modèles de soutien-gorges : « vous plaisantez ou quoi ? ».Je me souviens des longs plans séquences sur les décors déserts et abandonnés de Beggars of life, le film de William Wellman, accompagnés en voix-off d’une lecture des mémoires de Louise Brooks qui en était l’actrice principale. Je me souviens de Janet Leigh racontant avec moult détails le tournage de la scène de la douche dans Psychose et précisant d’un air à la fois amusé et navré qu’au moment où elle devait se tenir immobile sur le sol de la salle de bains pendant que la caméra reculait lentement de son visage, elle voyait les cintres se remplir de techniciens qui venaient se rincer l’œil. Je me souviens d’André S. Labarthe pesant le livre Godard par Godard que les éditions des Cahiers du cinéma venaient de publier et déclarant que, sur la base du prix de vente de l’ouvrage : « Jean-Luc Godard se vend aujourd’hui 150 francs le kilo. » Je me souviens de Bernard Blier donnant une interview chez son tailleur où il était venu se faire faire un costume pour son prochain film. Je me souviens de Pascale Ogier répondant à des questions écrites sur des morceaux de papier que lui tendait un journaliste hors-champ mais qu’elle ne lisait pas à haute voix ce qui obligeait le téléspectateur à déduire leur contenu à partir des réponses qu’elle donnait. Je me souviens qu’elle était morte quelques semaines plus tard alors qu’elle n’avait pas trente ans. Je me souviens des noms des trois personnes qui réalisaient l’émission : Anne Andreu, Michel Boujut et Claude Ventura. Je me souviens que le générique de Cinéma Cinémas était composé d’un montage d’extraits de dialogues de films auxquels était ajouté la musique de Une place au soleil, le film de George Stevens, et qu’à la fin on entendait Rosalie Bannister, le personnage interprété par Rita Hayworth dans La Dame de Shangaï  d’Orson Welles, crier : « I don’t wanna die ! I don’t wanna die ! »

Emily Fauvette

Cinéfil n°70 - mai 2023