Elles nous accueillent sept jours sur sept, nous conseillent sur le choix d’un film, écoutent patiemment nos doléances et nos remarques, veillent à réguler au mieux le flux des spectateurs pressés ou nonchalants et assument plein d’autres tâches encore dont nous n’avons pas toujours conscience pour que nous puissions profiter dans les meilleures conditions de notre cinéma préféré. Elles, ce sont les premières personnes que nous croisons en arrivant aux Studio, fidèles au poste derrière les caisses. Nous avons rencontré trois d’entre elles, Manu, Pauline et Paula, qui nous ont parlé de leurs parcours, de leur travail, du cinéma qu’elles aiment, des Studio et de ceux qui les fréquentent.

Depuis quand travaillez-vous aux Studio et qu’y faites-vous ?

Manu : J’ai commencé à travailler aux Studio il y a 18 ans. Une femme de ménage partait à la retraite et je cherchais du travail. J’ai fait ça pendant deux ans, jusqu’à ce qu’un poste de caissière se libère. Ce qui est bien aux Studio, c’est qu’il y a cette possibilité d’évolution, si tu as les compétences et que l’occasion se présente, tu peux facilement changer de poste.

Pauline : Ma première activité, c’est le chant mais à un moment il a fallu que je trouve un travail en parallèle. Je cherchais plutôt dans le domaine culturel et, en janvier 2015, une de mes amies qui travaille dans une agence d’interim m’a signalé que les Studio cherchait à pourvoir un poste ponctuel en caisse. Je me suis présentée et finalement j’ai enchainé les missions.

Paula : Pour ma part, je suis là depuis 1999. J’avais fait des petits boulots étudiants avant mais ça a été mon premier vrai travail. Pendant mes études de Communication d’entreprises, il a fallu que j’effectue un stage. J’ai envoyé des demandes dans tous les lieux culturels de Tours et les Studio ont accepté de m’accueillir pour trois mois. Ça s’est si bien passé qu’à l’issue, ils m’ont proposé un emploi jeune comme agent d’accueil et je me suis empressée d’accepter. Ensuite l’emploi jeune a continué en CDI et depuis 25 ans je n’ai plus quitté les Studio.

Manu : En tant que caissière, nous assurons l’accueil et nous faisons aussi un peu de comptabilité. Et je réalise aussi les plaques qui annoncent les titres de films à l’entrée des salles.

Paula : Et il y a aussi le fichier des abonnés.

Manu : Oui, il y a pas mal de petites choses comme ça. Mais ma mission première, c’est l’accueil des spectateurs et la vente des billets.

Pauline : En janvier dernier, j’ai signé un CDD pour un poste administratif en soutien à la direction, en plus de mon travail en caisse.

Paula : Mon poste aussi est assez polyvalent car je m’occupe des correspondants et je fais partie de la commission Communication qui est essentiellement composée de bénévoles. Comme je suis la seule salariée, je fais un peu le lien entre eux et mes collègues.

Vous qui êtes bien placées pour l’observer, comment décririez-vous le public des Studio ?

Manu : Ce qui est sûr c’est que les gens ne viennent pas aux Studio par hasard. Beaucoup sont très attachés au lieu, à l’esprit des Studio. Après, il y a toutes sortes de personnalités. Pour moi, les débuts ont été un peu compliqués parce que je n’avais pas forcément l’expérience de l’accueil et, en plus, aux Studio il y a le règlement mais à côté il faut savoir s’adapter, avoir une certaine souplesse, que je n'avais pas forcément.

Tu dirais que ton travail en caisse t’a permis de gagner en souplesse ?

Manu : Oui.

Paula : Et en patience.

Manu : ça, ce n'est pas encore acquis.

Paula : Quand même, par rapport à il y a 18 ans…

Manu : Oui bien sûr. C'est-à-dire que je n'avais pas d’expérience de la relation clients même si j’avais déjà travaillé comme ouvreuse au Pathé-Caméo dans les années 80. Mais la caisse, je n'avais pas du tout la notion de ce que ça pouvait être. 99% de spectateurs sont super gentils, mais il y a forcément quelques rares exceptions. Ça fait partie du travail. Nous en rigolons entre nous. Et puis avec le temps, nous connaissons les spectateurs.

Paula : Au moins les plus fidèles.

Manu : Sinon, pour ce qui est du profil, je dirais que nous continuons à avoir un gros noyau d’enseignants. L’ancrage des Studio dans l’éducation nationale est certain, d’ailleurs la moitié des membres actifs bénévoles sont des profs en retraite.

Paula : Au niveau des correspondants, c’est un peu la même chose. Il y en a dans les entreprises ou les associations, mais la plupart sont dans des établissements scolaires.

Manu : Ça va un peu à l’encontre de ce que voulait l’abbé Fontaine qui a créée les Studio dans une démarche de culture populaire, pour rendre la culture accessible à tous, y compris et surtout au public populaire.

Pauline : C’est vrai qu’il vient encore trop rarement. Nous aimerions que ça change, que le public soit plus diversifié. C’est l’objectif d’une association comme Passerelle Ciné ou des séances jeunes organisées par Manon et Chloé : essayer de faire venir un public qui n’en a pas l’habitude. Et ça fonctionne. Nous nous rendons compte que beaucoup de non abonnés viennent parce qu’il y a des évènements ou des animations. Après, il est un peu tôt pour savoir si nous arriverons à les fidéliser.

Manu : Il y a une image de “cinéma intellectuel“ qui, personnellement, m’agace parce qu’elle ne correspond pas à la réalité. Ce n’est pas parce que nous sommes classés Art et essai et que nous passons des films en VO que nous sommes élitistes.

Pauline : Il y a clairement une différence entre ce que nous proposons et ce qui se fait dans les autres salles, en termes de programmation mais aussi d’ambiance, d’accueil, mais ça reste accessible à tout le monde.

Paula : Cela tient beaucoup à des a priori installés depuis longtemps. Par exemple, lorsque mes beaux-parents étaient encore en activité, ils allaient peu au cinéma, par manque de temps, et toujours au CGR, même s’ils connaissaient les Studio et savaient que j’y travaillais. Quand ils ont pris leur retraite, je leur ai offert la carte d’abonnement et leur ai conseillé des films à voir, en tenant compte du fait qu’ils n’étaient pas du tout familiarisés avec la version originale. Au bout de six mois, ils étaient complètement conquis et à présent ils ne fréquentent plus que les Studio.

Manu : Il faut juste accompagner les gens et leur conseiller le bon film qui va les accrocher.

Est-ce que d’eux-mêmes les spectateurs sollicitent souvent vos conseils ?

Paula : Oui, lorsqu’ils hésitent entre plusieurs films.

Pauline : Quand tu connais les spectateurs, tu arrives à savoir quels films sont susceptibles de les intéresser.

Manu : Après les avoir conseillés, je leur demande de revenir me voir pour me dire si ça leur a plu. Et franchement, nous ne nous trompons pas souvent. Un jour, j’ai conseillé un film à une dame et quelques temps après elle est revenue me dire qu’elle était ravie. Depuis, elle passe systématiquement à ma caisse.

Pauline : Par contre, si tu ne connais pas du tout les personnes, il est forcément plus compliqué de les orienter.

Manu : Par exemple, il y a des personnes qui ont eu des tickets par leur comité d’entreprise mais qui ne connaissent pas les Studio, ni la programmation et qui nous demandent ce qu’elles pourraient aller voir.

Pauline : Il y a aussi les personnes qui viennent dans le cadre des Cultures du cœur, un dispositif national qui offre des places de cinéma à des associations. Généralement, elles ne fréquentent pas les cinémas et la difficulté supplémentaire, quand il faut les conseiller, c’est que certaines ne parlent pas français. C’est encore plus difficile de trouver le film qui va pouvoir les intéresser. Mais nous essayons quand même. C’est un aspect important de notre mission d’accueil.

Cela suppose que vous connaissiez les films programmés.

Manu : Avec Jean-François, qui fait partie de la commission Programmation, nous nous réunissons une fois par mois et il nous donne des informations sur les films ou sur ce qui peut être conseillé à tel ou tel public. Nous voyons certains films programmés mais pas tous, nous n’en avons pas le temps. Et j’avoue que je n’ai pas toujours la possibilité ni l’envie de revenir voir des films en dehors de mes heures de travail.

Paula : Il faudrait que nous puissions organiser des séances le matin, sur les heures de travail. Nous pourrions choisir chacune un film différent et en parler ensemble. Nous avons aussi les retours des collègues ou des spectateurs eux-mêmes.

Est-ce que le fait de travailler aux Studio a modifié votre rapport au cinéma ?

Manu : Quand j’avais dix-huit ans, je venais voir des films aux Studio de temps en temps, sans m’être jamais abonnée. Sinon au Caméo où je travaillais, ils ne proposaient pas vraiment le même type de programmation. C’était plus commercial, plutôt les Charlots ou ce genre de chose mais je n’étais pas très cinéphile de toute façon. C’est vraiment à la télévision que j’ai découvert le cinéma de patrimoine en VO, avec le Ciné-Club et le Cinéma de minuit. J’ai habité pendant plusieurs années à la campagne où il n’y avait pas de salle de cinéma mais quand je suis revenue à Tours j’ai recommencé à venir aux Studio. Cela dit, je ne vois pas autant de films que je voudrais, par manque de temps principalement.

Pauline : C’est un peu pareil pour moi. Chaque début de mois, en voyant la programmation, je me dis que j’ai envie de voir tel et tel film et je n’en vois pas la moitié.

Manu : Ce qui est compliqué, comme nous le disions tout à l’heure, c’est que lorsque tu viens voir un film aux Studio après avoir fait ta journée de travail, tu as l’impression d’être encore au boulot. Les gens te reconnaissent en plus. Quelques fois il m’arrive de rencontrer des gens dans la rue qui me posent des questions sur la programmation, sur le film imprévu. Il n’y a pas longtemps, j’ai fait un covoiturage avec une dame qui me dit avoir l’impression de me connaître, me demande si je ne travaille pas dans une administration ou quelque chose comme ça. Je ne dis rien. Une autre passagère arrive et dit : « Mais je vous reconnais, vous travaillez aux Studio ». Et donc pendant une bonne partie du voyage la conversation a tourné autour de ça. Et deux semaines plus tard, je contrôle le ticket d’une spectatrice qui me dit que ses voisins m’ont pris en covoiturage.

C’est la rançon de la gloire.

Manu : Du coup, je me demande si je ne vais pas arrêter le covoiturage.

Pauline : Pour moi, le fait de travailler aux Studio m’a permis de découvrir un cinéma que je ne connaissais pas du tout. Et il me reste du chemin à faire. Il m’arrive d’être un peu complexée par rapport à des collègues qui sont vraiment passionnés. Et même au niveau de l’ambiance, ce n’est pas la même chose que dans les salles que j’avais l’occasion de fréquenter. Il y a une sorte de calme, de concentration, tu sens que les spectateurs sont vraiment là pour partager quelque chose. C’est un peu le même genre d’osmose que dans un concert.

Paula : Contrairement à mes collègues, j'ai commencé à venir aux Studio très jeune, je devais avoir une dizaine d’années, et j’y suis restée fidèle. Ce que j'aime, c'est explorer d'autres mondes, voyager, et les films que nous présentons permettent de découvrir des pays, des cultures. Et puis j’aime aussi suivre un réalisateur, voir comment évolue sa façon de filmer et les thèmes qu’il aborde. Je vis avec un réalisateur donc c'est plus facile pour moi d'aller au cinéma parce que nous nous entrainons l’un l’autre. En plus, en tant que salariés, nous avons la chance de ne pas payer nos places et même de pouvoir inviter une personne. Ce qui est aussi très important pour moi, c’est le partage, le fait de voir un film collectivement. Il m’est arrivé de revoir à la télé un film que j’avais découvert en salle et d’être très déçue parce que ça n’avait plus aucun rapport. L’immersion n’est pas du tout la même. Pauline a raison quand elle parle de l’ambiance des concerts. L‘interaction avec les autres spectateurs est primordiale. Particulièrement, quand tu vas voir une comédie.

Pauline : Quand nous sommes allés voir Annie Colère avec mon compagnon, nous étions les plus jeunes de la salle. Les autres spectateurs, principalement des femmes, avaient connu la période des années 60 évoquée dans le film. Après la séance, nous avons discuté avec elles et nous avons senti qu’elles étaient très émues, que ça les renvoyait à leurs souvenirs. C’était vraiment touchant d’échanger avec elles, d’autant que le film nous avait remué. C’est le genre d’expérience qu’on ne peut pas avoir devant sa télé.

Est-ce que vous avez un film fétiche ou un conseil à nous donner ?

Manu : Immédiatement, je dirais Thelma et Louise. Et Sur la route de Madison. Ça c’est mon côté midinette. Ce sont des films que je connais par cœur mais dès que j’ai l’occasion de les revoir, je ne la rate pas.

Paula : Requiem for a Dream m'a beaucoup impressionnée. Au niveau du traitement de l’image, je trouve que c’était très novateur et très fort. Et Black Swan, du même réalisateur. Plus récemment, j’ai beaucoup aimé Babylon, la façon dont le film aborde l’histoire du cinéma et le rythme du film, ça m’a vraiment emmené.

Pauline : Il y a beaucoup de films qui m'ont marqué, mais je crois que je retiens surtout les expériences qui vont avec. J’ai assisté à une séance jeune public, un ciné-concert autour d’un film d’animation japonais, qui m’a bouleversée. Sans doute que le film a ravivé quelque chose de ma propre enfance, surtout au milieu d’enfants dont les réactions sont beaucoup plus spontanées que celles d’un public adulte. J’avais adoré aussi Dounia et la princesse d’Alep. Là encore, les réactions des enfants, mêlées à celles des adultes, créaient une ambiance très forte.

Manu : C’est compliqué de retenir un film parmi tous ceux que tu as vu. Ça tient au film lui-même mais aussi à l’époque à laquelle tu l’as découvert, au contexte.

Nous n’avons pas pris le temps de parler de tes prestations d’actrice dans les bandes annonces des soirées de l’horreur. C'est peut-être le début d'une nouvelle carrière ?

Pauline : Oui, c’est ce que tout le monde lui dit.

Manu : Je ne crois pas que ce sera le cas.

Entretien réalisé par Olivier Pion

Cinéfil n°70 - mai 2023