1 : Qui était HENRI LANGLOIS

    On l'a appelé le " Premier citoyen du cinéma ". En réalité, comme disait Akira Kurosawa : « Il est toujours vivant au fond de moi ».

    Il était né à Smyrne en Turquie le 13 novembre 1914. Il devait mourir un 13 janvier de l'année 1977 en créant avec moi "Les Premières Rencontres Internationales du Cinéma du Film de Fin d'Etudes" à Tours. Le jury prestigieux qu'il avait invité descendit d'avion à Paris pour assister à la cérémonie religieuse de ses obsèques. Il y avait là un géant de Hollywood Tay Garnett (le réalisateur de " Son Homme ", de la première version du "Facteur sonne toujours deux fois ", Richard Leacock - maître du cinéma direct américain - Sally Blumenthal (directrice du festival de New-York) où encore Mme Kawakita (productrice de Kurosawa à la Toho et directrice de la Cinémathèque de Tokyo) et bien d'autres. Avant d'exercer leur fonction de jury ces personnalités me firent toutes l'honneur de passer à la Cinémathèque pour parler de leur métier lors d'une soirée mémorable.

    La vie d'Henri Langlois est indissociable de celle de la Cinémathèque Française. Telle qu'il l'avait conçue et réalisée, elle était son oeuvre personnelle et unique, sa chair et son sang, son enfant, sa famille.

    Enfant à Smyrne il vit ses premiers films et comprit très vite l'essence même du cinéma : « Le cinéma a été pour moi le révélateur du Temps-Espace ». Il débarqua en France avec ses parents en 1922. Ceux-ci offrirent à cet enfant fantasque et rêveur un " Pathé Baby " petit appareil de cinéma de salon et quelques films. C'est ainsi qu'il découvrit " L'assassinat du Duc de Guise ".Mais ce petit appareil ne lui fit pas oublier pour autant les vraies salles obscures de Paris. Dès l'âge de 12 ans il les fréquenta assidûment. À 13 ans il transforma sa chambre en premier et minuscule musée du cinéma, répartissant sur les murs les images de ses stars favorites : Brigitte Helm, Greta Garbo, Catherine Hessling et Musidora.

    Henri Langlois avait toutes les chances d'être reçu à un bac littéraire. Mais voilà il décida de remettre une copie blanche et de passer la journée au cinéma où il va notamment revoir "Nosferatu le vampire " du grand Murnau. Ulcéré, son père prit une décision : « Puisqu'il a raté son bachot, il ira travailler dans une imprimerie ». C'est là qu'il rencontra Georges Franju en quête d'emploi. Les deux hommes ne vont pas se séparer pendant une dizaine d'années.

    Franju dira : « Lui créait le désordre et moi je remettais de l'ordre. Cette association qui justifiait notre présence à l'imprimerie a duré jusqu'à ce que l'on crée en 1935 le Cercle du Cinéma ».

    À vingt ans Henri Langlois est devenu un prodigieux spécialiste du cinéma et possède dans ce domaine une connaissance véritablement encyclopédique. « Entre moi et le cinéma muet, il y a par dessus tout un grand amour ».

    C'est dans un petit lieu des Champs-Elysée que le ciné-club de Langlois et de Franju voit le jour. Les premières séances sont une réussite totale. C'est le 2 septembre 1936 que les statuts d'une association à but non lucratif sont créés. La Cinémathèque Française est officiellement existante. Paul-Auguste Harlé en est le premier Président, Henri Langlois et Georges Franju les secrétaires généraux et Jean Mitry l'archiviste.

    1936 va être l'année de l'envol. Harlé ouvre un crédit de 10.000 francs au Cercle du Cinéma pour acheter des films. Langlois court chaque jour les revendeurs, les maisons de production, les marchés aux puces et les fêtes foraines. Il part sur les traces de courts et de longs métrages réalisés entre 1896 et 1930.Il a en tête une liste qu'il faut à tout prix réunir. Car les grandes maisons de production Pathé, Gaumont, Universal, RKO se débarrassent des films anciens pour faire place net au nouveau cinéma sonore. Aux États Unis c'est l'holocauste ; on préfère détruire les films et la RKO a jeté des centaines de films dans l'East River. Des industriels sont déjà spécialisés dans la récupération des négatifs et des copies. Ils les achètent au poids pour tirer bénéfices de leurs résidus.

    Les films trouvés par Langlois arrivent d'abord à l'appartement familial. Les boîtes sont d'abord entreposées dans une grande baignoire de la famille où elles seront grattées et nettoyées avant de rejoindre la cave.

    Langlois retrouve ainsi Georges Méliès, Germaine Dulac, puis Epstein, Jean Renoir ... et la collection grossit.

    Ces films doivent être montrés et circuler. Sa rencontre avec l'américaine Iris Barry directrice de la " Film Library " va précipiter grâce à ces échanges de films la création de la Fédération Internationale des Archives du film. L'annonce officielle de cette naissance est faite le 15 juillet 1938 par un article de Franju. Elle réunit au départ cinq pays : les États-Unis, la Grande Bretagne, la France, l'Allemagne et l'Italie. Belle victoire pour Langlois : son siège est fixé à Paris. Georges Franju en est le premier secrétaire exécutif.

    La première vraie salle de projection est située dans les étages d'un immeuble : 44, avenue des Champs Elysées. À partir de 1941 c'est là que vont se poursuivre les séances clandestines. En 1943 Louis-Emile Galey directeur général du cinéma lui offre deux pièces de l'avenue de Messine pour y installer les bureaux de la Cinémathèque. Les projections se font dans une minuscule salle de rez-de-chaussée.

    C'est en 1939 qu'Henri Langlois fit la rencontre de son égérie. Ce fut Alberto Cavalcanti le talentueux cinéaste qui présenta lors d'une soirée la jeune veuve du grand décorateur Lazare Meerson, Mary, à Langlois. Le coup de foudre ! Ils vont former le couple parfois explosif qui va tenir les rênes de la Cinémathèque Française. Après la mort d'Henri, Mary jusqu'à l'extrême limite de ses forces résistera aux pressions de toutes parts, vivant jour et nuit à Chaillot pour ne pas se faire déposséder des trésors amassés par Langlois dans un travail surhumain qui devait l'emporter à 63 ans.

    Vous l'avez compris l'histoire de Langlois c'est l'histoire d'une passion dévorante et inassouvie jusqu'au bout.

    L'espace d'un moment Henri Langlois deviendra lui même créateur. Sa collaboration avec Nicole Védres aboutira à la réalisation d'un film de montage "Paris 1900 ". Il fait revivre celle que l'on a appelé " La Belle Epoque ". Il est et restera un chef-d'œuvre.

Lionel Tardif (à suivre)