Q : Donatien Mazany, pouvez- vous présenter ? Qui êtes-vous ? Que faites-vous ? On vous croise souvent à la Cinémathèque et c'est l'occasion de vous faire connaître auprès des lecteurs de Cinéfil.

Donatien Mazany : Je suis historien de profession, professeur de lettres-histoire à mi-temps par choix personnel, et l'autre mi-temps, je suis archiviste privé avec une activité libérale dans les archives privées, pour les entreprises ou les particuliers. Ainsi donc je trie, range et classe les archives. Enfin, j'ai une troisième activité contractuelle auprès du « CETHIS », le Centre d'Études Tourangeau d'Histoire des Sources, le laboratoire de recherche où je travaille sur un projet intitulé le Fonds Martinien qui est l'inventaire de tout le mobilier martinien en Région Centre.

Q : On commence à deviner la réponse à la question des origines de ce projet entre l'histoire et les archives. Comment est né ce projet d'écriture d'un livre sur le Festival du court-métrage de Tours ?

D.M. : Ce projet d'écriture est né durant mon année de master 2 : J'ai obtenu deux masters, un en histoire et un en lettres. Il a vu le jour au cours de mon master 2 de lettres. C'est Agnès Torrens, la directrice de la Cinémathèque, qui en a eu l'idée et elle a contacté Valérie Vignault qui est professeur d'histoire du cinéma à l'Université François Rabelais de Tours. Au départ, je voulais travailler sur la propagande. Valérie Vignault étant spécialisée dans l'histoire de l'image et du cinéma, j'avais demandé à ce qu'elle soit ma directrice de mémoire en lettres. Elle avait accepté, mais les projets que je lui soumettais n'étaient pas finalisés, je n'arrivais pas à me décider et à choisir. Un jour Valérie Vignault arrive avec ce projet que lui avait soumis Agnès Torrens sur Le Festival du court-métrage de Tours, et elle m'a demandé si je voulais faire ce travail qui serait mon sujet de master 2, et par là-même me ferait travailler avec la Cinémathèque. À l'époque j'étais un peu spectateur de la Cinémathèque, je venais de temps en temps, pas tout le temps, quand je le pouvais et quand les films m'intéressaient. J'ai accepté et c'est comme ça que le projet est né.

Q : Comment s'est faite l'articulation entre le projet de mémoire et le projet de livre ?

D.M. : Comment dire ? C'est très long. D'abord ça a été la recherche d'archives. Dépouiller toutes les archives. J'ai fait un seul travail d'écriture, qui a donné lieu à mon mémoire, et après je l'ai remanié pour en faire le livre. Entre 2009 et 2010 j'ai rédigé le mémoire et entre 2010 et 2011, je l'ai remanié en vue d'un ouvrage publiable. Mais le premier travail c'était de faire le recollement de toutes les archives possibles et imaginables, de trouver tout ce qui se trouvait à Tours mais pas seulement. Je suis allé chercher des archives ailleurs, j'en ai fait venir, je suis allé aux archives à Bruxelles, j'ai fait le recollement de toutes les archives qui existaient sur le Festival du court-métrage, ensuite j'ai réalisé mon mémoire, et une fois qu'il a été soutenu, j'ai pu le refondre pour en faire un livre publiable. Il faut bien avouer que le mémoire était quelque chose de très universitaire, pas forcément agréable à la lecture, j'avais choisi un plan « universitaire », et l'idée du livre c'était plutôt de comprendre pourquoi le festival était arrivé, ce qui s'y est déroulé, et pourquoi cela s'est arrêté.

Q : Entre difficulté et facilité, comment s'est organisé votre travail ?

D.M. : La difficulté a d'abord été de retrouver des archives. Il y a un fonds d'archives aux Archives Départementales d'Indre-et-Loire, ce sont les archives de la Préfecture mais ce n'était pas suffisant. Il fallait en trouver d'autres ainsi que d'autres points de vue que le regard purement tourangeau. Cela a été de rechercher des archives en Belgique, à Berlin et en Roumanie. C'était le travail le plus difficile. Autre travail, retrouver des témoins. Contacter aussi des personnes professionnelles qui ont vécu le festival. J'ai pu rencontrer Pierre Barbin décédé en octobre dernier, qui était le directeur et le créateur du festival. Ce fut une difficulté mais c'est le quotidien d'un historien ; si les archives étaient faciles à trouver, ce ne serait même pas marrant. Ensuite, c'est comme une tapisserie, y a plein de fils qui pendent de partout, on a plein d'axes mais par où faut-il commencer? Il faut choisir un axe d'accroche sachant que pour le mémoire c'était différent du livre. Dès qu'on choisit un fil, tout se déroule alors d'un seul coup.

Q : Y a t-il un axe précis que vous avez essayé de suivre pour ce livre ?

D.M. : Comprendre pourquoi il est arrivé à Tours, ce qui s'y est déroulé et pourquoi il en est parti, mais aussi ce qu'il est devenu, s'il existe encore. Ça, c'est vraiment dans la conclusion. Mais l'idée c'est un peu une chronologie : les personnalités qui sont venues, les grands cinéastes qui sont nés artistiquement dans ce festival, celles qui sont venues alors qu'elles ne présentaient pas de film, par exemple Jacques Tati venu au festival comme spectateur.

Q : Quelle a été votre intention, qu'avez-vous voulu faire partager aux lecteurs dans cet ouvrage que vous avez réalisé ?

D.M. : Je suis tourangeau de naissance, et cinéphile mais pas de naissance. Je suis né en 1985, ce festival a disparu, ou quitté Tours en 1971, donc quatorze ans avant ma naissance. Je n'avais jamais entendu parler de ce festival et pourtant je suis un tourangeau quasi-chauvin dans ma manière d'être, j'adore ma ville, j'adore son histoire, j'adore le cinéma et je n'avais jamais entendu parler de ce festival. Ce que j'ai voulu faire partager, c'est « voilà, on dit toujours qu'à Tours il ne se passe rien, eh bien regardez ce qui s'est passé. François Truffaut a montré son premier film à Tours. Regardez Roman Polanski, s'il n'y avait pas eu Tours, il n'aurait pas fait de cinéma ensuite. Il s'apprêtait à arrêter sa carrière, il a montré son film Les Mammifères en « dernier coup » avant de s'en aller si ça ne marchait pas, il a remporté le grand prix et c'est comme ça qu'il a pu continuer sa carrière et faire des films majeurs ; montrer que le couple Jacques Demy–Agnès Varda s'est formé à Tours ; montrer que des films comme Nuit et brouillard ont été projetés l'une des premières fois à Tours. Ensuite j'aime beaucoup la forme du court-métrage, comme j'aime bien la forme de la nouvelle en littérature. Je sais pas pourquoi. Le cinéaste doit dire quelque chose de très court, mais il doit faire passer son intention, ses sentiments et montrer ce qu'il sait faire en neuf, dix minutes. J'aime bien ce défi, j'aime bien les cinéastes qui prennent ce risque, en sachant qu'aujourd'hui il y a moins de courts-métrages et qu'il y a des grands cinéastes qui continuent à en faire. Manoel de Oliveira a continué à en faire toute sa vie, alors qu'il était passé au long métrage depuis très longtemps. J'ai envie de faire découvrir au public le court-métrage qui est un format méconnu auquel on n'a plus beaucoup accès aujourd'hui. Il y a des soirées dédiées aux cinémas Studio deux ou trois fois par an, sinon il faut attendre minuit et demie sur Arte, ou sur France 2, et France 3 à trois heures du matin. Mais c'est un format que moi-même je connaissais mal, je parle de moi maintenant à 29 ans, mais à 23 ans, les courts-métrages j'en connaissais très peu sauf quelques uns comme Nuit et brouillard que j'ai vu au lycée et que je montre maintenant à mes élèves. J'ai découvert des films formidables dans ce format, en me disant qu'il y a des cinéastes qui vont dire en trois heures quelque chose qu'un grand cinéaste va réussir à dire en dix minutes et c'est suffisant pour certains films. Le public a été ravi du film La Chasse de Manoel de Oliveira ; pas besoin qu'il dure trois heures, en dix minutes il a dit tout ce qu'il avait à dire : c'est magique et magnifique. Voilà, c'est faire partager la découverte que j'ai faite : il y a eu un festival à Tours, des « grands noms » sont venus, Tours était connu internationalement par ce festival.

Q : Vous avez présenté votre livre lors d'une soirée organisée par la Cinémathèque de Tours, et là vous avez eu l'occasion de rencontrer le public. Comment s'est faite cette rencontre avec le public ? Qu'en avez vous tiré ? Qu'avez-vous ressenti et que vous a-t-on exprimé ?

D.M. : Il y a une chose que je retiens de la soirée : ça s'est passé à la toute fin, je dédicaçais des ouvrages et un couple d'octogénaires est venu, ils étaient les derniers. Ils avaient déjà commencé à lire le début du livre, et ils m'ont expliqué qu'ils avaient fait partie du public du Festival du court-métrage et ils m'ont remercié. C'était important pour ces gens. Parmi le public de cette soirée, il y avait des gens qui avaient connu le festival comme Pierre Favre qui a rédigé l'avant-propos du livre et qui a pu apporter son témoignage. Il y avait des gens qui, comme moi il y a six ans, n'avaient jamais entendu parler du festival et qui sont venus parce qu'ils étaient intrigués, et puis il y avait ces personnes qui avaient connu le festival et qui étaient très émues de revivre ces films qu'ils avaient vu il y a cinquante, soixante ans. Ce couple, qui n'est pas familier des séances de la Cinémathèque est venu spécialement parce qu'il y avait cette soirée, et il m'a remercié. J'en étais très ému. C'était aussi dans mes intentions, je voulais rendre ça aux gens qui ont vécu le festival et qui sont encore en vie aujourd'hui, aussi bien les témoins que tous ceux qui ne se sont pas manifestés, ou qui n'ont pas su que je cherchais des témoins.

Q : Par rapport au fait que vous dites avec fierté et raison que vous êtes tourangeau, que vous aimez cette ville et le cinéma, tout ce travail que vous avez mené ne pourrait-il pas être mis en perspective, c'est-à-dire finalement, est-ce qu'il ne pourrait pas susciter une sorte de prolongement ?

D.M. : J'espère qu'il suscitera des vocations pour que les festivals à Tours durent un petit peu. J'ai connu les festivals « Cinéma et politique », « De l'encre à l'écran » qui n'ont pas eu une durée de vie très longue mais qui sont intéressants. Les historiens pourront dans quelques années travailler sur ces festivals et les raisons de leur échec. Au-delà d'un festival à Tours, il peut être intéressant de retrouver cette vocation internationale car il y avait quand même deux cents journalistes du monde entier accrédités dans ce festival. J'ai retrouvé des articles argentins, brésiliens, japonais, qui chaque année parlaient du Festival du court-métrage. C'était il y a à peine cinquante ans. On pourrait utiliser cet exemple pour pérenniser des festivals qui connaîtraient un succès international et feraient découvrir de nouveaux cinéastes.

Q : Qu'est-ce qui a fait le succès de ce festival ?

D.M. : C'est la qualité des films, le public était en attente. Les deux premières éditions ont été des essais puis le festival a vécu de lui-même. On l'a bien vu lors de la séance où on été projetés quatre courts-métrages de grande qualité : c'est la qualité des films qui a d'abord fait le succès du festival, puis ensuite le public qui d'une année sur l'autre l'attendait en faisant une confiance quasiment aveugle aux organisateurs pour la programmation sans se soucier de la nationalité et s'il y a une histoire dedans ou pas. Ce qui comptait c'était la qualité. Pierre Barbin m'avait clairement affirmé cette recherche de qualité des films. Par ailleurs toute la ville de Tours était engagée dans ce festival et il n'y avait pas que les deux ou trois cinémas où le festival se déroulait. Chaque Tourangeau se sentait un peu propriétaire de ce festival. L'analyse que je fais maintenant, c'est aussi que les premiers lauréats du Grand Prix ont connu le succès quasiment immédiatement. Peut-être aussi les gens étaient-ils fiers de pouvoir dire: « Regardez ! Il est né à Tours et maintenant il fait une carrière ». Prenons l'exemple de Chris Marker qui a été un des premiers lauréats du Grand Prix. La billetterie était ouverte quelques semaines avant le début du festival et les billets étaient écoulés en très peu de jours voire très peu d'heures. Tous les billets étaient vendus très rapidement. Il n'y avait pas assez de place pour tous les gens qui voulaient assister aux projections. De plus, les scandales, les palmarès qui ne plaisaient pas au public ont participé au succès du festival mais c'est habituel dans tous les festivals je pense. Il y a aussi les films qui ont réellement provoqué des scandales parce que pour l'époque ils étaient jugés scandaleux, ou alors parce que le public voulait du court-métrage et dès qu'un film dépassait les quarante minutes, le public estimait que ce n'était pas un court-métrage donc il n'avait rien à faire dans ce festival. Le public s'appropriait le festival.

Q : Ce festival se déroulait dans plusieurs salles de cinéma ?

D.M. : Oui. D'abord à l'ABC et à l'Olympia que je n'ai pas connu car cette salle a fermé lorsque j'avais cinq ans. Elle accueille aujourd'hui le théâtre du Nouvel Olympia. Puis ensuite au Rex qui était rue Nationale, et les deux dernières années au cinéma Studio qui venait juste d'ouvrir. Mais c'était principalement à l'Olympia. Je crois que la couverture du livre montre le Rex.

Q : Est-ce que vous avez pu avoir accès à des documents montrant la réaction des gens par rapport à des films ? Vous citiez par exemple Chris Marker qui faisait vraiment un nouveau type de cinéma. Comment les films étaient-ils reçus par le public?

D.M. : Je n'ai pas de documents filmés où on voit la réaction du public, les quelques documents que j'ai vus sont des films muets où l'on voit surtout le lauréat et très peu le public. Des différents articles de journaux qui relatent une réaction du public sont les témoignages, un monsieur que j'ai rencontré cinquante ans après, était encore outré qu'un certain film ait remporté le Grand Prix. Le film de Chris Marker a été plutôt bien accueilli à l'époque. Je pense plutôt au film Nous, ceux de Lambeth qui a provoqué un tollé lorsqu'il a remporté le prix remis par Jules Romains, et ça, tous les journaux, tous les articles que j'ai pu lire aussi bien dans la presse tourangelle que nationale (la NR, le Monde, le Figaro, Libération) et même internationale (des journaux francophones, anglophones, hispanophones, germanophones) relatent tous le tollé qu'a provoqué la réception du Grand Prix pour ce film, avec des gens qui estimaient d'abord le format trop long, plus de quarante minutes, et puis la forme, c'est le free cinema anglais des années soixante. Le public n'avait pas encore l'habitude de ce genre de documentaire, de forme très libre. Je ne pense pas qu'il ait été choqué par la liberté de la caméra mais le film a provoqué un tollé monumental. Il y a des films qui ont été acclamés lorsqu'ils ont reçu le Grand Prix. Roman Polanski a été acclamé lorsqu'il a reçu le Grand Prix. Le film La Joconde d'Henri Gruel qui a remporté le Grand Prix en 1957 a été aussi applaudi lorsque l'annonce a été faite et pourtant c'est un film psychédélique selon moi. C'est un film qui n'est pas du tout dans le format traditionnel et classique d'un film comme on l'imaginerait avec des acteurs et une mise en scène plutôt banale.

Q : Vous avez pu voir beaucoup de ces films ?

D.M. : Oui, j'en ai vu quelques uns mais c'est difficile de trouver et de pouvoir voir les courts-métrages. Il faut qu'ils soient conservés en bon état or il y en a beaucoup qui sont inaccessibles ou alors il fallait payer pour les voir et je n'en avais pas les moyens. J'ai pu voir ceux, peu nombreux, qui sont conservés en accès libre à la BNF et ceux édités en DVD, par exemple Les Mistons de Truffaut, que l'on trouve assez facilement ainsi que ceux de Polanski. Pour les cinéastes qui n'ont pas connu de carrière derrière, j'ai pu voir quelques films conservés dans des archives privées, des gens qui avaient une copie chez eux, et la majeure partie des films j'ai pu les voir sur YouTube, DailyMotion, ou sur d'autres sites de vidéo en ligne. Je pense à un autre film que je conseillerais : Nous deux. C'est un couple, un violoniste et une sourde russes qui tombent amoureux car ils sont voisins mais elle ne peut pas entendre ce qu'il lui joue. C'est le synopsis du film qui dure cinq, six minutes. Quand j'ai lu le résumé du film ça m'avait vraiment attiré, en faisant une recherche avec le titre en cyrillique sur la base Google, je l'ai trouvé sur un site de partage de vidéos en ligne russe, et un copain russophone m'a traduit le film en simultané. C'est un exemple de difficulté que de pouvoir retrouver ce film parce qu'il n'avait pas eu de prix mais avait néanmoins remporté un grand succès auprès du public. Je peux conseiller des films qu'il faut absolument voir, je pense par exemple au film de Robert Enrico La Rivière du hibou qui a remporté le Grand Prix en 1961.

Q : J'ai envie de vous renvoyer au petit mot que le Directeur de la Cinémathèque française, Serge Toubiana a envoyé à Agnès Torrens à propos du livre que vous avez écrit. Il y dit : « Ce livre manquait, j'apprends beaucoup de choses sur ce festival ». Comment avez-vous reçu ces mots de Toubiana ?

D.M. : Avec beaucoup d'émotion car c'est quelqu'un qui compte et sa parole est importante. C'est quelqu'un que j'admire et recevoir ce genre de mot de quelqu'un que j'admire, c'est émouvant. Quand j'ai ouvert la pièce jointe du courriel d'Agnès et que j'ai lu ça, j'en ai pleuré d'émotion et de joie. C'est quand même six ans de travail, le livre est une consécration très forte, et en plus avoir un mot comme celui-ci, c'est très simple comme mot, très court, mais tout est dit. Je me dis que je n'ai pas raté ce que j'ai fait.

Louis D'Orazio, Philippe Fauconnier