Valerio Zurlini est un réalisateur dont l'oeuvre puissante et riche, mais somme toute assez brève compte tenu de sa mort précoce intervenue en 1982, n'a pas été jusqu'alors reconnue à sa juste valeur. Cette année, pour sa 4ème édition, Viva il cinema ! va lui rendre hommage par la projection de quelques uns de ses films et une conférence animée par Jean Gili, l'occasion pour nous de réparer cette injustice. Revenons sur sa filmographie.

Valerio Zurlini naît à Bologne en 1926 et après des études de droit, il réalise un certain nombre de courts métrages qui se distinguent déjà par cette richesse narrative et cette profondeur psychologique des personnages, qui caractérisent toute son œuvre à venir.

1954 : Les Jeunes Filles de San Frediano (Le ragazze di San Frediano)

Avec ce premier long métrage d'après le roman de Vasco Pratolini, se dessine chez Valerio Zurlini son penchant pour les adaptations d'oeuvres littéraires. Ce film raconte les frasques d'un jeune ouvrier florentin qui entretient simultanément des relations amoureuses avec cinq jeunes filles. Ce portrait d'un don Juan de quartier populaire de Florence est celui d'une jeunesse qui veut oublier l'expérience de la guerre, retrouver une joie de vivre, mordre la vie à pleines dents. Les rues de ce quartier ne sont plus le théâtre de bombardements ou de révoltes populaires mais le cadre de simples aventures humaines où l'amour retrouve toute sa place. La sobriété de sa mise en scène, le dépouillement de ses cadrages et la discrétion d'une caméra qui sait se faire oublier, permettent à Valerio Zurlini de rendre au mieux l'extrême rigueur du texte de Vasco Pratolini. De cette expérience va naître une amitié indéfectible entre les deux hommes et une collaboration fructueuse.

1959 : L'Eté violent (Estate violenta)

Valerio Zurlini revient, avec ce film, sur les événements tragiques que l'Italie a connu en juillet 1943 lorsque le débarquement des Alliés en Sicile provoque la chute du fascisme et le chaos dans lequel sombre tout le pays. Jean-Louis Trintignant incarne un fils de dirigeant fasciste qui tombe amoureux de la veuve d'un soldat. Les événements tragiques qu'il va vivre alors, le font mûrir. Entre sensualité et réalisme Valerio Zurlini dépeint sur le mode dramatique une société qui perd pied, incapable de comprendre ce qui lui arrive.

1960 : La fille à la valise (La ragazza con la valigia)

Valerio Zurlini nous livre un récit tout en retenue où la douleur et l'amertume se mêlent à la tendresse et à la douceur d'un mélodrame aux accents verdiens. Aida, une jeune fille délurée, interprétée par Claudia Cardinale, est abusée par un coureur de jupons. Le jeune frère de ce dernier, Lorenzo, auquel le jeune Jacques Perrin prête ses traits tombe amoureux d'elle. Victime de son esprit romantique et de son ingénuité, ce jeune garçon croit pouvoir vivre une histoire d'amour avec Aida bien décidée à s'en sortir à n'importe quel prix. Tout ce film se construit sur des correspondances entre les espaces parcourus par les protagonistes et les émotions qui les traversent. Les personnages se meuvent dans des allers et retours incessants comme si chacune de leurs actions les plongeait encore plus dans l'incertitude, l'instabilité de leur existence, à l'image de la mer, symbole de cette liberté inatteignable à laquelle aspirent tous les personnages chez Zurlini.

1962 : Journal intime (Cronaca familiare)

Valerio Zurlini choisit d'adapter à nouveau un roman autobiographique de Vasco Pratolini. Enrico, un journaliste interprété par Marcello Mastroianni apprend le décès de son frère Dino incarné par Jacques Perrin. Dans un récit tout en flash-back, il va revivre les péripéties de leurs rapports difficiles depuis, la mort de leur mère, quand Dino fut adopté par le majordome d'un noble qui changea son prénom en Lorenzo parce que plus aristocratique, jusqu'à leurs retrouvailles. Toute la force de ce drame émouvant et poignant tient à l'interprétation magistrale des deux protagonistes mais aussi à la mise en scène de Zurlini qui privilégie les silences et les espaces vides pour mieux traduire cette incommunicabilité entre les êtres que l'on retrouvait dans bon nombre de films de cette époque à commencer par ceux d'Antonioni. Si ce récit intimiste ne verse jamais dans le sentimentalisme, on le doit à la délicatesse des sentiments, à la poésie des images et à l'intensité dramatique de l'histoire que Valerio Zurlini a su conjuguer dans cette œuvre magistrale.

1966 : Des Filles pour l'armée (Le Soldatesse)

Valerio Zurlini revient sur un épisode peu glorieux de la dernière guerre mondiale à partir du récit autobiographique de son scénariste Ugo Pirro. Pendant la guerre, en Grèce, un lieutenant italien est chargé d'escorter six jeunes femmes vers un bordel militaire. Ce film est certainement le premier film italien à reconnaître la responsabilité des soldats italiens dans les exactions commises pendant ce conflit mondial sans chercher à aucun moment à rejeter la faute sur Mussolini ou les Allemands. Pour autant Valerio Zurlini ne renonce pas à traiter cette histoire sur le mode intimiste en insistant sur les relations qu'entretiennent les personnages entre eux pendant toute la durée du voyage. Devant les dangers que la troupe doit affronter, le jeune officier est progressivement amené à reconnaître ces prostituées comme de véritables soldats de son bataillon d'où le titre italien du film.

1967 : Seduto alla sua destra

Bien que porté vers les sujets plus intimistes, Valerio Zurlini s'inscrit en 1967 dans ce climat politique qui caractérise le cinéma italien de cette époque en choisissant de nous raconter la lutte d'un leader africain pour l'indépendance de son pays. En s'inspirant de l'histoire de Patrice Lumumba, Valerio Zurlini reprend les thèmes de la non violence et de la tolérance que les tiers-mondistes de l'époque promouvaient. Véritable pamphlet contre la violence, ce film mêle références politiques et significations religieuses comme son titre le suggère et comme son auteur l'affirme dans un entretien qu'il a accordé à Jean Gili. S'il parle de Seduta sulla destra comme d' un film sur la grâce, c'est parce que Valerio Zurlini s'est toujours revendiqué à la fois du christianisme et du communisme qui à ses yeux ne font qu'un.

1972 : Le professeur (La prima notte di quiete)

Ce film aurait dû être le troisième épisode d'une histoire qui aurait retracé le destin d'une famille italienne sur plusieurs générations, une famille qui va chercher fortune en Afrique, au temps des premières guerres coloniales, à la fin du XIXème siècle et dont le dernier héritier décide de rentrer en Italie dans les années 70. De cette histoire seul le troisième épisode a été réalisé avec Alain Delon dans le rôle d'un professeur qui aurait enseigné à Mogadiscio et qui, revenu en Italie tombe amoureux d'une de ses élèves. Mais l'ombre de la mort plane sur tout le film et ce dès le titre emprunté à Goethe : « la mort, la première nuit de quiétude ». L'histoire se déroule dans une station balnéaire de la côte adriatique, en hiver, désertée par les touristes et envahie par le vide de l'existence. Ce professeur ressemble beaucoup à Zurlini lui-même en rupture avec son passé et son présent, déchiré par une crise existentielle qui cherche vainement à cacher cette présence de la mort sous l'apparence d'un amour pour une jeune élève. « Une façon comme une autre d'attendre sa propre fin comme une libération » avoue-t-il, en guise de conclusion, à Jean Gili au sujet de ce film.

1976 : Le désert des Tartares (il deserto dei tartari)

Pour son dernier film, Valerio Zurlini revient à l'adaptation du roman de Dino Buzzati que bien des réalisateurs ont vainement tenté de porter à l'écran. Dans tous ses films, Zurlini a toujours préféré vider l'espace au lieu de le remplir. Cette esthétique de la rigueur trouve dans le motif du désert son espace privilégié qui lui permet, plus qu'ailleurs, de montrer une réalité dépouillée qu'il construit par soustraction. C'est dans cette atmosphère aride, que Valerio Zurlini transpose l'attente angoissante du lieutenant Drogo : envoyé dans une forteresse perdue au milieu de nulle part, sur une frontière imaginaire, il attend pendant toute sa vie un ennemi qui finit par arriver trop tard.

Valerio Zurlini met fin à ses jours en 1982 par overdose d'alcool.

Louis D'Orazio

Cinefil N° 51 - Janvier 2017