De retour du festival de cinéma italien de Voiron (Isère) dont on fêtait cette année le 30ème anniversaire, je me permets, avec l'autorisation de son auteur, de vous communiquer la lettre que Ivan Cotroneo, le réalisateur de Un baiser et de La Kryptonite dans le sac a adressée aux spectateurs qu'il devait rencontrer le soir du 1er avril 2017, un problème de santé l'ayant immobilisé à Rome.

Au mois de mars, lors de la quatrième édition de Viva il cinema ! ces deux films étaient programmés. Ivan Cotroneo, bien que souffrant, avait fait le déplacement et nous avions eu le bonheur de l'accueillir à Tours. Chaque spectateur avait pu apprécier la qualité de ses films et mesurer l'importance des thèmes qu'ils abordent, des thèmes d'une actualité si brûlante que le gouvernement italien a décidé de montrer Un baiser dans les lycées.

Pour ceux qui n'ont pas pu le voir, rappelons en quelques mots l'histoire que nous raconte Un baiser : trois adolescents de 16 ans, Lorenzo, Blu et Antonio, fréquentent la même classe au lycée dans une petite ville du nord-est de l'Italie. Ils appartiennent chacun à une famille qui les aime, et tous les trois, pour des motifs différents, sont rejetés par leurs camarades du même âge. Leur amitié sera leur refuge et leur moyen de défense. Un baiser est un film sur l'adolescence, sur les premières fois, sur la recherche du bonheur. Mais également sur la violence contre les plus faibles, sur l'homophobie, sur le harcèlement, sur les modèles et les schémas qui nous empêchent, et qui empêchent surtout les adolescents, de trouver leur propre voie vers le bonheur, dans toute sa singularité.

En s'adressant aux spectateurs de Voiron, Ivan Cotroneo nous éclaire sur sa démarche de cinéaste engagé dans une lutte contre tous les maux qu'il dénonce dans ses deux films et qui affectent si dangereusement les adolescents et d’autres personnes également. Ivan Cotroneo conçoit bien le cinéma non pas comme un divertissement mais comme un art de la représentation, c'est-à-dire un art qui agit sur le spectateur, qui l'amène à prendre conscience de lui-même et de la réalité dans laquelle il vit. Tout film est alors pour lui l'expression d'un témoignage d'où ce besoin qu'il ressent de rencontrer le public auquel il s'adresse.

Cette lettre aurait pu nous être adressée. Alors que ce film que nous avions programmé en avant-première au mois de mars, s'apprête à être distribué en France, espérons qu'une salle de Tours permettra à tous ceux qui ne l'ont pas encore vu de le découvrir et d'apprécier la portée de son message.

Louis d’Orazio

 

Chers amis de Voiron,

Je vous écris ces quelques lignes pour vous dire combien je regrette de ne pas être avec vous. Malheureusement, j’ai subi une intervention à l’œil et la convalescence m’impose de ne pas voyager et de me reposer. Donc, je suis obligé de renoncer à ce qui pour moi est une partie très importante de mon travail : ma rencontre avec vous, avec le public de mon film, avec les amis de Voiron, avec mon ami Jean Gili que je connais depuis l’époque de La Kryptonite nella borsa, mon premier film qui remporta le grand prix d’Annecy en 2012 comme meilleur film et aussi le prix d’interprétation pour Valeria Golino. Je sais qu’aujourd’hui le film a été projeté à Voiron et de cela aussi je vous remercie.

Maintenant, vous êtes sur le point de voir mon second film, Un bacio. Le film a été pensé, écrit et réalisé en partant vraiment de cela : en partant de mon désir de rencontrer des gens, des jeunes et des adultes, après la projection, et parler pas seulement de ce que raconte le film, de Lorenzo, de Blu et d’Antonio et de leur destin, mais des thèmes du film : la discrimination, le harcèlement, l’homophobie, le sexisme, ce que signifie avoir seize ans et découvrir pour la première fois le monde et ses cruautés.

J’espère que vous accueillerez les trois personnages du film comme vos amis, vos camarades d’école, vos frères, vos enfants. J’espère que ce film vous transmettra toute la passion et l’urgence qui l’ont fait naître. J’espère par dessus tout que vous parviendra le cœur du film, même si je ne suis pas là avec vous. Et le cœur du film réside dans l’invitation à ne pas avoir peur, à réagir, à combattre les injustices et les discriminations, à accepter les différences comme une richesse de notre expérience humaine. Nous vivons dans un monde qui discrimine et qui discrimine violemment. Mais ce ne devra pas être, par force, toujours comme ça. Le futur est entre nos mains. Dans vos mains. Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir peur.

Je vous embrasse et j’espère pouvoir vous rencontrer bientôt.

Ivan (Rome, 1er avril 2017)

Cinefil N° 53 - Mai-Juin 2017