Dans le cadre du cinq-centième anniversaire de la réforme luthérienne, la Cinémathèque a programmé le 10 décembre 2018 le film Luther d'Eric Till (2001). Une réflexion sur l'influence du protestantisme dans le cinéma fait suite à cet événement.

Je ferai une distinction entre les films qui mettent en scène des protestants et les films réalisés par des cinéastes de culture protestante.

Le cinéma français compte trois films représentant trois temps de l'histoire protestante en France, trois temps symboliquement très forts, mêlant politique et religion.

La Reine Margot de Patrice Chéreau (1994) met en scène la violence des guerres de religion au XVIe siècle.

Les Camisards de René Allio (1970) relate la violence de la guerre des Camisards en Cévennes au XVIIIe siècle.

La Colline aux mille enfants de Jean-louis Lorenzi (1994) dénonce la violence de l'occupation nazie et du régime de Vichy. Face à cette violence, un village entier conduit par un pasteur, va entrer en résistance en accueillant des enfants juifs de toute l'Europe. Nous sommes au XXe siècle.

Dans ces trois films, les Protestants sont représentés comme des victimes mais aussi comme des résistants.

L'influence du protestantisme dans le cinéma se révèle essentiellement chez les cinéastes du nord de l'Europe.

Carl Dreyer et Ingmar Bergman en sont les deux figures marquantes.

Carl Dreyer (Danemark, 1889 – 1968) affirme clairement le but recherché dans la réalisation de ses films : « Nous désirons que le cinéma nous ouvre une porte sur le monde de l'inexplicable. » Tous les films de Dreyer ont un contenu religieux. Son œuvre est consacrée à l'expression de sa foi. Ordet (1955) aborde le thème de la résurrection, la puissance de la foi qui peut vaincre la mort. Ses films traitent en permanence des forces du mal et de l 'amour qui est l'arme contre elles, et la lutte contre l'idolâtrie et l'intolérance, de l'affrontement entre foi et religion.

Ingmar Bergman (Suède, 1918 – 2007) dont le père était pasteur luthérien, reste profondément marqué par son éducation. Ses films sont le reflet de son questionnement métaphysique, questionnent sur l'existence de Dieu et la foi, la conscience et le sens de la vie, avec les thèmes récurrents de la solitude, l'absence de dieu et la peur de la mort. Les films de Bergman se répondent et s'enrichissent ou se nient. Ils sont le reflet de son questionnement permanent. Dans le film autobiographique Fanny et Alexandre, il met en scène un beau-père pasteur particulièrement rigide, voire pervers, qui donne une image très négative de la figure pastorale. Contrairement à Dreyer qui magnifie la foi, Bergman livre son angoisse existentielle tout au long de sa filmographie, ce qui le conduit en finale au rejet de la religion.

Outre les sujets traités, clairement marqués par le protestantisme, ce qui caractérise le cinéma de Dreyer et Bergman, c'est la rigueur de la mise en scène. Rigueur caractéristique héritée du protestantisme.

À côté de ces deux grandes figures emblématiques du nord de l'Europe, se situe un cinéma français influencé par le protestantisme.

Alain Resnais d'origine catholique devenu agnostique est attiré par la théorie protestante. L'Amour à mort (1984) met en scène un couple dont la femme est pasteure (Fanny Ardant). Ce film nous met face à une interrogation sur la vie après la mort.

Olivier Assayas dont la mère était calviniste, a adapté Destinées sentimentales un roman de Jacques Chardonne, protestant convaincu. Ce film réalisé en 2000 a une valeur quasi documentaire, mettant en scène la bourgeoisie protestante calviniste.

Jean-Louis Lorenzi se définit comme protestant culturel et non pas cultuel. Dans La Colline aux mille enfants, il donne du pasteur une image humaniste.

Ces réalisateurs traitent davantage le protestantisme avec bienveillance, ce qui est loin d'être le cas parmi d'autres réalisateurs davantage marqués par la culture protestante, qui en donnent une image très austère, voire inquiétante, au travers de comportements de pasteurs ou de communautés.

Lars von Trier, danois protestant converti au catholicisme, fait un portrait virulent dans Breaking the Waves (1996) d'une communauté protestante avec des scènes au temple ayant peu à voir avec la réalité, mais qui reflète, sans doute, la violence de son rejet par rapport à cette religion.

Michael Hanecke, autrichien, fils d'un acteur protestant et d'une actrice catholique, dans Le Ruban blanc (2009) met en scène un père pasteur rigide et sévère à la limite de la perversité, qui n'est pas sans rappeler le beau-père de Fanny et Alexandre.

Avec Gabriel Axel (Danemark, 1918 – 2004) nous changeons de registre. Le Festin de Babeth (1987) nous donne à voir une communauté luthérienne très austère. Des convives "coincés", méfiants et ignorants, qui se laissent conquérir peu à peu par le plaisir gustatif et repartent plus heureux qu'à leur arrivée. Clin d'œil espiègle du réalisateur.

Rigueur, austérité, sens de la justice, recherche de la vérité, sont des thèmes récurrents traités dans ce cinéma influencé de quelque manière que ce soit par le protestantisme.

Au travers de tous ces exemples, nous constatons que le protestantisme a été largement traité au cinéma, et par les plus grands. D'un point de vue historique, philosophique, personnel, dénonçant les excès d'une rigueur puritaine, et même humoristique, quand on assiste à la réconciliation de l'austérité et du plaisir.

Jacqueline Mahler

Cinefil N° 57 - Mai 2019