Niché au cœur d’une Postdamer Platz sans âme, voici le beau Musée du Film et de la Télévision de Berlin. Plus riche et complet que son petit voisin de Postdam consacré lui aux métiers du cinéma et à l’histoire des studios Babelsberg, le musée de Berlin propose une très attachante exposition permanente présentant les riches heures du cinéma allemand.

Tout commence au 19ème siècle avec le Bioscop des frères Skaladanowsky, rapidement supplanté par le Cinématographe Lumière présenté au public… moins de deux mois plus tard, en décembre 1895 (on sent tout de même une petite pointe d’amertume…)Le cinéma devient industrie et la société de production Deutschen Bioscop fait construire un grand studio à Neubabelsberg au sud de Berlin. Une innovation en Europe. Vient le temps des premiers mythes. Des premières stars, plus précisément des premières stars féminines, allemandes ou non : Henny Porten, Fern Andra, Asta Nielsen.

Durant la première guerre mondiale est créé, en 1917, un bureau de propagande et, quelques mois plus tard, la société de production et de distribution Universum Film Aktiengesellschaft (UFA) soutenue par le milieu bancaire. L’Allemagne prépare l’après-guerre. La République de Weimar représentera un âge d’or pour le cinéma allemand. Le Cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene 1920), Nosferatu le vampire (Friedrich Wilhelm Murnau 1922), Métropolis (Fritz Lang 1927), et à l’arrivée du parlant L’Ange bleu (Josef von Sternberg 1930), M le Maudit (Fritz Lang 1931), Le Congrès s’amuse (Erik Charell 1931).

De nombreux documents, des maquettes, des affiches et des photographies, rappellent les années d’innovations stylistiques, les heures de gloire de la UFA, mais également l’audace de producteurs indépendants.

Marlène Dietrich est centrale dans ce musée. L’icône absolue. Entre l’Allemagne et les Etats-Unis. Bousculant les conventions et jouant avec les stéréotypes de genre. Ses héritiers ont tout transmis à la Cinémathèque allemande : costumes, photographies, objets personnels (une scie musicale avec laquelle elle se produisit en 1944-1945 devant les troupes américaines en Europe, des courriers très privés de Douglas Fairbanks Jr ou de Jean Gabin).« Que suis-je vraiment sans toi » lui écrira Josef von Sternberg. « Il me tenait en laisse. C’est lui qui a lâché la laisse. Pas moi » dira-t-elle de lui. Malgré ses demandes réitérées, Marlène Dietrich ne verra jamais les rushes du casting qui lui permettra de décrocher son rôle de L'Ange Bleu. Elle y chantait « tu es la crème dans mon café ».

Les Jeux de 1936. Leni Riefenstahl et Olympia. Mais aussi les premières retransmissions télévisées, media n’intéressant pas particulièrement les nazis qui considèrent le format de l’image trop inadapté aux prestations d’Hitler.

L’une des pièces du musée est la reproduction glaçante d’une salle d’archives dont le visiteur est invité à ouvrir les tiroirs métalliques pour découvrir les productions calibrées et les censures de l’époque. Plus loin apparaissent les visages des gens de cinéma liquidés par le régime. En 1940,   Le Juif Süss explosera le box-office avec ses 20 millions d’entrée. Les salles allemandes ne désempliront pas jusqu’en 1944. 

Beaucoup d’auteurs, acteurs, réalisateurs, on le sait, se sont exilés, notamment aux Etats-Unis. Des relais locaux seront précieux, tel Paul Kohner, producteur ayant lui-même quitté l’Allemagne où il représentait les studios Universal. Kohner fonda le Fonds du Film Européen en 1938, sous le patronage d’Ernst Lubitsch, pour soutenir les cinéastes partis d’Europe.

Parmi les nombreux objets du musée, un petit bouddha rouge et radieux, baptisé « dieu de la chance », a été donné en 1941 à Fritz Lang par Bertolt Brecht en remerciement des fonds collectés par le réalisateur de Métropolis pour permettre l’exil de Brecht aux Etats-Unis. Ce « dieu de la chance » ne permettra pas ensuite la concrétisation d’un projet de collaboration Lang / Brecht pour un film inspiré de l’assassinat d’Heydrich à Prague en 1942.

Une intéressante iconographie présente quelques exemples de la filmographie allemande de l’immédiate après-guerre tel Irgendwo in Berlin de Gerhard Lamprecht (1946) tourné avec des bandes de gamins dans les ruines de la capitale. 

De 1950 à 1961, plusieurs « cinéma frontaliers » dont La Caméra ou L’Aladdin, situés à proximité du secteur soviétique, programmeront des films américains à l’attention du public berlinois, véritables fenêtres sur l’Ouest. La compétition des systèmes est à l’œuvre avec ce cinéma de « première ligne » mais bien évidemment – le musée le montre - les aspirations des jeunes de l’Est et de l’Ouest sont les mêmes. 

En 1962, sous l’influence de la Nouvelle Vague française, 26 jeunes réalisateurs signent le manifeste d’Oberhausen, fondateur du nouveau cinéma allemand. Viendront Margarethe von Trotta, Werner Herzog, Wim Wenders, Rainer Werner Fassbinder, Werner Schroeter, auxquels le musée rend individuellement hommage.  Le reste de l’histoire se réalise aujourd’hui. 

Il faut visiter – parmi d’autres – ce musée du Film de Berlin, capitale ancrée dans l’histoire du vingtième siècle. Le premier siècle de l’histoire du cinéma.

Philippe Lafleure

Cinéfil n°58 - Septembre 2019