Depuis 1973, le festival de La Rochelle réunit, dix jours durant, nombre de cinéphiles, professionnels, étudiants ou simples amateurs de cinéma autour d’un objectif unique : partager le plaisir des films, quels que soient leurs genres, époques ou origines. Retour sur l’édition 2021 à travers les impressions d’un fidèle de la manifestation.

Succédant à l’année blanche 2020, où le festival avait été annulé in situ, la session 2021 devait être celle du redémarrage d’après crise. Il s’est plutôt agi d’un lent et demi-redémarrage tant les circonstances de la crise ont malheureusement continué de peser. De fait le public s’est trouvé cette année assez limité par rapport aux fastes années et paradoxalement (?) plutôt vieillissant… mais sans doute déjà vacciné. Face aux incertitudes et aux restrictions qui ont pesé durant toute l’année scolaire les lycées possédant des sections de Cinéma (qui se sont beaucoup développés depuis une dizaine d’année) n’ont sans doute pas pu organiser en amont la venue de leurs élèves : d’où ce déficit d’un public jeune. Tout ceci explique l’ambiance parfois tristounette de ce festival.

Cette année 2021 fut néanmoins l’occasion de voir ou de revoir de beaux films dans des genres forts différents. L’éclectisme reste en effet un marqueur fort de la programmation du festival de La Rochelle permettant à la fois de voir ou revoir des classiques grâce à des rétrospectives ou des hommages, des films méconnus de grands réalisateurs, des documentaires, des courts-métrages, mais aussi parfois des avant-premières. Au total 229 films furent projetés (151 longs-métrages et 78 courts-métrages) en 334 séances. Pour ma part, bien partielle et subjective, ce festival aura été marqué par plusieurs points forts.

L’éclectisme de l’œuvre Rossellinienne

Cette quarante-neuvième session du festival a mis à l’honneur Roberto Rossellini (1906-1977). Il nous a ainsi été permis de voir ou revoir une partie de son œuvre cinématographique dans laquelle les spécialistes distinguent plusieurs phases : la trilogie de la guerre où s’exprime le mieux son approche néo-réaliste et à laquelle appartiennent Rome ville ouverte (1945), Paisà (1946) et Allemagne année zéro (1947) ; la trilogie dite de la solitude avec Ingrid Bergman composée de Stromboli (1949), Europe 51 (1952) et Voyage en Italie (1954) où la protagoniste principale prend conscience de la réalité du monde, provoquant en elle un bouleversement et une rupture de vie. Néanmoins tout principe de catégorisation d’une œuvre constitue un peu un artifice simplificateur : dans Europe 51, l’habitat social des banlieues de Rome et ses bidonvilles au début des années 1950 constituent comme l’exposition brute d’une réalité, que l’héroïne bourgeoise du centre de Rome et de ses beaux immeubles n’avait pas su voir et qui contribuera à son cheminement intérieur. Par ailleurs où classer un film fort savoureux et moins connu de Rossellini comme Où est la liberté ? (1953), interprété par le célèbre comique Toto, qui conduit le personnage principal, face à l’hypocrisie de la société où l’intérêt de chacun mène le monde avec une certaine amoralité, à tout faire pour retourner… en prison ? Enfin Le Général Della Rovere (1959) interprété par Vittorio de Sica nous montre finalement, là aussi, une prise de conscience et une rédemption, transformant un médiocre escroc en héros de la résistance allant jusqu’au sacrifice. Cette thématique du sursaut, de la prise de conscience semble être un élément récurrent dans l’œuvre de Rossellini comme si le cinéma était aussi un instrument pour mettre en avant et explorer les mouvements de l’âme. Le festival permettait également d’aborder d’autres aspects de l’œuvre de Rossellini notamment son documentaire sur l’Inde (L’Inde, terre mère - 1959) après son voyage dans ce pays qui a correspondu, pour lui, à un intense moment d’introspection de sa vie, et son travail pour la télévision (La prise du pouvoir par Louis XIV, 1967).

René Clément : un inclassable de l’ancienne vague

Tout cinéphile connaît de René Clément (1913-1996) La bataille du Rail (1946), Jeux interdits (1952), Plein Soleil (1960), Paris Brûle-t-il ? (1966), mais d’autres œuvres tout aussi intéressantes sont moins connues : c’est le mérite d’un festival de cinéma et notamment celui de La Rochelle de nous permettre de les voir. Le début de carrière de René Clément fut constitué de courts-métrages et de quelques documentaires : Soigne ton gauche (1937) avec comme personnage principal Jacques Tati en facteur téméraire (et qui constituera en fait le point de départ de Jour de Fête, dix ans plus tard, réalisé par ce même Jacques Tati) ; et une série de courts-métrages documentaires : la Bièvre fille perdue (1936) sur cette rivière enfouie et canalisée au sein de Paris dès 1912 et plus en amont dans les années 1930, L’Arabie interdite (1938) constituant les premières images sur le Yémen, La Grande pastorale (1947) sur les traditions au sein des Alpes provençales. La fascination géographique pour le vaste monde et les traditions rurales est encore très perceptible en ce milieu du XXème siècle avant que la mondialisation et la diffusion des techniques de communication ne viennent finalement le banaliser et d’une certaine façon l’uniformiser. Si certains films de René Clément, revus à La Rochelle, passent plus ou moins régulièrement à la télévision (cf. Les Félins - 1964) d’autres sont incontestablement plus rares comme Quelle joie de vivre (1961) avec Alain Delon dans une comédie satirique sur l’Italie fasciste (que la Cinémathèque de Tours avait passée il y a une dizaine d’année) ou Le Jour et l’Heure (1962), une œuvre avant-gardiste montrant un visage de la France de Vichy bien plus ambiguë que celui très binaire opposant les traîtres aux résistants martelé par la France gaulliste de l’époque ; une France de Vichy où il s’agissait de savoir « prendre le tournant » (l’expression provient du film) pour passer du pétainisme… au gaullisme. Une œuvre de fiction certes mais annonciatrice du documentaire de Marcel Ophuls Le Chagrin et la pitié, sept ans plus tard.

Michael Cimino : un ovni du cinéma américain

Le vendredi 2 juillet fut une journée consacrée au cinéaste américain Michael Cimino (1939-2016). Le documentaire (dans sa version longue cinématographique) Michael Cimino, un mirage américain (2021) de Jean Baptiste Thoret fut présenté en avant-première (il ne sortira en salle qu’en novembre 2021). Il insiste surtout sur le début de l’œuvre, la plus riche du cinéaste, et sur les lieux de tournage : Mingo Junction dans l’Ohio pour Voyage au bout de l’enfer- the deer hunter (1978), les paysages du Montana pour Le Canardeur - Thunderbolt and Lightfoot (1974) et Les Portes du Paradis (1980). Réalisé comme un road-movie voulu par Michael Cimino lui-même et réalisé avec Jean-Baptiste Thoret en avril 2010, le documentaire saisit l’originalité, l’exigence envers lui-même et ses films, et la démesure de ce cinéaste… démesure des coûts de production des Portes du paradis qui conduisit, selon la légende (car les causes sont en vérité multiples), à la faillite d’United Artists racheté en 1981 par la MGM. Cette journée fut également l’occasion de revoir Le Canardeur (1974) avec notamment Clint Eastwood, déjà présenté aux Studio par Jean-Baptiste Thoret en avril 2013, et l’Année du Dragon (1985) sur les mafias chinoises de New York.

Malheureusement, la seule expérience décevante de ce festival, pour moi, fut la vision de l’avant-première du film de Louda Ben Salah-Cazanas Le Monde après nous (2021). Si le réalisateur, venu présenté son film, est éminemment sympathique, comme son film plein de bons sentiments, il réalise là une première œuvre naïve, convenue, et assez nombriliste, qui ne nous dit pas grand-chose des rapports familiaux et amoureux d’aujourd’hui contrairement par exemple, en son temps (celui des années 80), d’À nos amours de Maurice Pialat. Un premier film raté donc qu’il faut vite oublier (ce qui ne sera pas difficile) car l’on aimerait que ce jeune réalisateur, tant il est sympathique, nous présente autre chose de plus convaincant.

Le 50ème festival de Cinéma de la Rochelle est prévu du 1 au 10 juillet 2022. Show must go on !

 Eudes Girard

Cinéfil n°63 - Octobre 2021