Simple morceau de papier marquant une transaction commerciale, le ticket de cinéma est devenu pour certains un objet de collection, de désir, chargé de sens et d’une bonne dose de nostalgie.

L’image des tickets de cinéma est aujourd’hui reproduite dans tous les sens, tapis de souris, sets de table, paillassons d’intérieur.

Le véritable ticket de cinéma bénéficie d’une tout autre considération.

Les propositions fleurissent sur le Net, les prix s’affolent parfois. Certaines offres paraissent étonnantes. Ainsi ce rare ticket japonais édité lors de la sortie d’un film de Claude Lelouch (90 euros) ou ce billet « 1er spectateur » du Seigneur des Anneaux (290 euros).

On est ici dans le monde pur et dur des collectionneurs.

D’autres spectateurs plus attendrissants intériorisent leur relation au ticket. Celui-ci n’est plus un pactole vulgairement monnayable mais bien plutôt leur petit trésor affectif, à usage interne. En écureuil nostalgique.

Souvenir d’un cinéma mythique devenu galerie commerciale, d’une journée mémorable marquée par une rencontre (cinématographique ou autre). Jadis on conservait ainsi ticket et programme d’une soirée à la Cinémathèque de Chaillot ou l’invité d’honneur s’appelait Alfred Hitchcock ou Charlie Chaplin.

On est presque ici dans le monde savoureux des fétichistes.

Et que dire de cette autre pratique consistant à amasser séance après séance, film après film, année après année, sans distinction, de petits sésames pour les remiser avec constance dans quelque(s) coffret(s). À des fins mystérieuses.

Est-ce le registre des statisticiens, des comptables ?

Au fait, qu’en est-il de ces vignettes polychromes d’un certain cinéma tourangeau dont recto et verso dialoguent en liberté, le Voyage à deux de Stanley Donen (recto) répondant au trio de The Philadelphia Story (verso), le « blues » derrière le sourire affiché par Les Petites Marguerites entrant en correspondance avec Le Grand Bleu et Le Fleuve de Renoir avec – eh oui bien sûr ! –  African Queen  de Huston.

Alors ici : objets de collection, fétiches, pièces statistiques ou simples jeux cinéphiliques ? C’est à leurs possesseurs d’en décider après l’achat.

Quoi qu’il en soit, considérons avec tendresse ces différentes manies que le grand vent numérique et la vague flashcodée feront très probablement disparaître sous peu, engloutissant à jamais les innocents petits papiers.

Philippe Lafleure

Cinéfil n°65 - janvier 2022