Créé à l’initiative de Claude-Éric Poiroux, fondateur de la salle de cinéma d’art et d’essai, Les 400 coups, et d’un groupe de cinéphiles, le Festival Premiers Plans d’Angers se déroule, chaque année depuis 1989, au mois de janvier. Cinéfil est allé y faire un tour.

Entièrement consacré au cinéma européen, le Festival Premiers Plans est un rendez-vous important du 7ème Art. Il met en compétition une centaine de premiers films européens et permet de la sorte de révéler de nouveaux réalisateurs. En même temps, il est l’occasion de faire redécouvrir de grandes œuvres du patrimoine cinématographique. Le festival bat son plein dans différents lieux culturels de la ville d’Angers qui s’anime durant une semaine dans une grande effervescence cinématographique…

L’association Henri Langlois avait envisagé d’organiser une journée avec les adhérents mais elle a dû y renoncer, au moins pour cette année. Il fallait malgré tout une Première ! C’est pourquoi, en ce samedi matin du 29 janvier 2022, gris et humide, nous nous sommes lancés en direction d’Angers.

D’abord, comme pour chaque festival, il fallait faire un choix dans un programme bien nourri et d’une grande variété, réparti entre différents lieux de la ville.

Notre premier choix s’est porté sur un film de Georges Franju, que nous ne connaissions pas, La Tête contre les murs (1958). Un jeune homme de bonne famille est interné en asile psychiatrique par son père, un avocat strict et intransigeant. Dans ce film, Franju développe un univers poétique en même temps qu’ancré dans la réalité sociale. C’est Jean-Pierre Mocky qui a adapté le roman d’Hervé Bazin dont est tiré le film et qui joue le rôle principal. Jean-Pierre Mocky se lancera aussitôt après dans la réalisation, avec Les Dragueurs, où il retrouvera deux acteurs du film de Franju, Charles Aznavour et Anouk Aimé. Le film de Franju dénonce l’univers oppressant et inquiétant d’un asile où s’opposent deux conceptions de la psychiatrie, l’une répressive, l’autre libérale, mais surtout il le fait avec une poésie insolite et onirique : utilisation somptueuse du noir et blanc, la lumière d’Eugen Shuftan qui contribue à créer une atmosphère fantastique, la musique envoûtante de Maurice Jarre, des dialogues très Nouvelle Vague…

2H30 de pur bonheur

Le deuxième film que nous voulions voir, De nos frères blessés d’Hélier Cisterne (2021), affichait complet. Dommage ! Que faire ? Choisir un autre film, bien sûr, et dans des créneaux horaires équivalents. Un film, L’Ombre de l’enfant, correspondait à ces critères bien matériels ! Quel était donc le réalisateur ? Christian Petzold, réalisateur allemand, dont je connaissais le très beau film, Barbara (2012), le récit d’une femme médecin qui veut à tout prix passer à l’Est.

Il serait dit que nous ne quitterions pas ce jour-là, les cinémas Pathé, et que nous resterions toujours dans la même salle ! Les cinémas Pathé, grand multiplex au bord de la Maine, au milieu d’immeubles où rien ne pousse si ce n’est l’herbe verte entre les rails du tramway ! Longue marche à la recherche du centre-ville pour y déjeuner, fort agréablement d’ailleurs. Mais que c’est triste, Angers, un jour de grisaille humide qui colle aux chaussures !

Le film de Christian Petzold ne nous laissera pas un souvenir inoubliable !

Par contre, le dernier film de cette Journée particulière allait nous enchanter, un film géorgien, Sous le ciel de Koutaïssi. 2h30 de pur bonheur ! Le film a d’ailleurs reçu le Prix du Jury.

C’est le coup de foudre quand Lisa et Giorgi se rencontrent par hasard dans les rues de Koutaïssi. L’amour les frappe si soudainement, qu’ils en oublient même de se demander leur prénom. Avant de poursuivre leur chemin, ils décident de se retrouver le lendemain. Ils sont loin de se douter que le mauvais œil leur a jeté un sort. Et tout le film est dans ce sort qu’un narrateur en voix off raconte avec tout le talent d’un conteur du lointain Caucase et que le réalisateur illustre, avec une belle lenteur, d’images magnifiques. Une petite ville géorgienne gorgée de soleil où le temps, comme suspendu, s’écoule doucement, la Coupe du Monde de football remportée par l’Argentine, des chiens amateurs de foot qui ont leur café attitré, des enfants qui se peinturlurent le dos au nom de Messi, une cinéaste qui veut filmer des couples amoureux, des amoureux victimes d’une malédiction et qui changent d’apparence physique, un rendez-vous d’amour manqué à cause de sorcières qui murmurent de mauvais sorts, des enfants qui jouent… Tout cela crée une atmosphère de rêve et de poésie, de drôlerie, de réalisme magique qui n’exclut pas un regard amusé sur le passé soviétique. Qu’il fait bon vivre à Koutaïssi quand on se laisse emporter par la voix du conteur !

En sortant, fini le soleil et la douceur de vivre. C’est la nuit, l’humidité, les phares des voitures… Adieu Angers !

Catherine Félix

Cinéfil n°66 - Mars 2022