S'il est un pays qui compte dans le cinéma d'animation, c'est la République Tchèque. Maitres mondiaux du film en papier découpé, les réalisateurs comme Jiři Trncka ou Karel Zeman ont dominé le genre au sortir de la Seconde Guerre mondiale jusqu'à la chute du mur de Berlin.

Les débuts publicitaires

La première forme d'animation dans le cinéma tchèque apparait dans les années 1920 par l'intermédiaire des films publicitaires. Utilisant exclusivement la technique du papier découpé, les cinéastes font leurs premières armes grâce à des industriels comme la marque de voiture Tatra ou le fabricant de chaussures Tomaš Baťa, qui a connu une économie florissante en devenant le chausseur de l'armée austro-hongroise durant la Première Guerre mondiale, et qui fonde en 1935 les studios de Zlin, accueillant plusieurs générations de cinéastes d'animation tchèques. Parmi ces cinéastes, certains font des œuvres proches des avant-gardes, dans la lignée du peintre Kupka, comme Karel Dodal (1900-1986), réalisateur du film présenté à l'Exposition universelle de Paris en 1937 Fantaisie érotique (Hra bublinek), et l'année suivante de L'Idée à la recherche de la lumière (Myslenka hledajici svetlo), assisté de sa première épouse Irena Dodalova (1900-1989). Sa deuxième épouse, Hermina Tyrlova (1900-1993), surnommée la mère de l'animation tchèque, non seulement assiste son mari, mais devient aussi une proche collaboratrice de Karel Zeman (1910-1989), et réalise ses propres films comme Ferda Mravenec, personnage populaire de la littérature enfantine tchèque, en 1936.

Ces films d’animation sont dans la lignée de la tradition du théâtre de marionnettes, qui a servi à diffuser durant tout le XIXe siècle les idées du « Réveil national tchèque », forme théâtrale populaire qui était en langue tchèque tandis que le reste du théâtre, davantage destiné aux élites, était en allemand. La majeure partie des films tchèques présentent des marionnettes en papier découpé, technique qui consiste à créer des personnages avec différents morceaux de papier et à en déplacer des parties de quelques millimètres au fur et à mesure des captures d'images pour donner l'illusion du mouvement. C'est également une technique économique puisqu'elle permet de garder la marionnette tout le long du film avec un matériau peu couteux, qui peut même être recyclé.

L’âge d'or de l'animation tchécoslovaque

Durant la Seconde Guerre mondiale, les occupants nazis misent sur le cinéma d'animation de marionnette afin de jouer sur le patriotisme et de lutter contre l'influence américaine. De jeunes animateurs sont donc recrutés en échange d'heures de travail obligatoire, et poursuivent la tradition. Après la libération, ils nationalisent le cinéma tchèque et fondent le studio Bratři v Triku (que l'on pourrait traduire en français par Les Frères en tricot, ce nom est un jeu de mot puisque le terme trik désigne également trucage), qu'ils placent sous la direction de Jiři Trnka (1912-1969), et s'orientent vers l'animation de poupées. Il y a donc désormais deux studios d'animation qui vont faire rayonner la culture tchèque à travers le monde.

Le cinéma d'animation tchèque a la mainmise sur le premier festival de Cannes (1946), Jiři Trnka remporte le Grand Prix international du dessin animé pour Les Animaux et Les Gens de Petrov, et Karel Zeman gagne le Grand Prix international du scenario de court métrage avec Rêve de Noël. Jiři Trnka remporte l'année suivante le Premier Prix du festival du film d'animation de Paris en 1947 et il est de nouveau primé au Festival de Venise 1948 pour son premier long métrage L'Année tchèque (Špaliček), un film en six séquences retraçant la vie d'un village tchèque par le truchement de légendes nationales. Jiři Trnka poursuit sa recherche du roman national en réalisant Prince Bayaya (Bajaja) en 1950, Les Vieilles Légendes tchèques (Stare pověsti česke) en 1952 ou Le Brave Soldat Chveik (Osudy dobreho vojaka Švejkaen) en 1955.

Karel Zeman, de son côté, aux studios de Zlin, est dans une recherche d'invention permanente, recevant le surnom de Méliès tchèque. Il développe en particulier une technique de films d'animation mélangée avec des prises de vues réelles utilisant des acteurs. Son premier long métrage usant de cette technique est Voyage dans la préhistoire (Cesta do pravěku), en 1955. Imprégné de culture française, ayant fait ses études en France et travaillé sept ans dans un studio publicitaire marseillais, Karel Zeman est particulièrement influencé par l'œuvre de Jules Verne. Il en fait directement mention dans Les Aventures fantastiques (Vynalez zkazy), en 1959, parfois intitulé Les Aventures fabuleuses de Jules Verne, ou dans Le Dirigeable vole (Ukradena Vzducholod) en 1967, adaptation du roman Deux Ans de vacances. Même l'adaptation des Aventures du baron de Münchhausen, Le Baron de Crac (Baron Prášil), en 1962, fait la part belle à la culture française puisque le film s'ouvre sur la lune par une rencontre des protagonistes avec Impey Barbicane, le capitaine Nicholl et Michel Ardan, les héros du roman De la Terre à la lune, ainsi que Cyrano de Bergerac. Karel Zeman avait même pour projet de réaliser une trilogie sur Jules Verne.

Les Journées Internationales du Court-Métrage de Tours accueillent dans leur catégorie « animation » bon nombre de ces films. Jiři Trnka y présente Le Cadeau en 1955 et UNESCO en 1958. Il est membre du jury en 1962 et il est même le personnage principal d'un film, Les Marionnettes de Trnka, de Bruno Sefranca, présenté en 1956, qui montre l'envers du décor de la réalisation de ses films. D'autres cinéastes, habituels collaborateurs de Trnka, y présentent leurs productions, comme Břetislav Pojar, avec La Bouillie qui rend malin en 1963 et Darwin, anti-Darwin en 1971 ; Jiři Brdecka remporte le Grand Prix en 1967 avec Dans la forêt à l'affut.

Après le Printemps de Prague

Pendant la période communiste, le régime donne beaucoup de moyens aux films d'animation. Il y a deux cinémas, le populaire destiné à passer à la télévision, et celui destiné à être envoyé dans des festivals à l'étranger, afin de donner une bonne image du pays. Il y a donc un grand soutien financier et, même si les films ne rapportent pas d'argent, ils donnent du prestige. Le théâtre de marionnettes, toujours populaire, et, par conséquent, le film d'animation en marionnettes, est mis en avant à partir de 1948 comme forme anti-bourgeoise. Ces moyens financiers permettent aux cinéastes de réaliser des films plus ambitieux et avec d'autres matériaux que le papier découpé. Par exemple, Karel Zeman anime du verre dans Inspiration en 1949. Néanmoins, les autorités considèrent le cinéma d'animation comme un excellent instrument d'endoctrinement pour les enfants, et, paradoxalement, la censure est moins présente dans les films pour enfants, donc les cinéastes en profitent pour faire passer des messages, en particulier sur la liberté. Pourtant, le Printemps de Prague, en 1968, va entrainer une certaine inflexion pour le cinéma d'animation, avec une nouvelle génération de cinéastes, comme Jiři Barta, né en 1948, réalisateur de Krysar, le joueur de flûte (Krysar), en 1986, ou Jan Švankmajer, né en 1934, qui doivent composer avec les exigences du régime et les restrictions budgétaires. Ce dernier développe une œuvre surréaliste et maniériste. Il obtient entre autres le Grand Prix du Festival d'Annecy et l'Ours d'or du meilleur court métrage à Berlin en 1983 pour Les Possibilités du dialogue (Moznosti dialogu), et est de nouveau primé dans ce même festival avec Alice (Něco z Alenky) en 1989 (adaptation d'Alice au pays des merveilles), pour lequel il a pu compter sur des financements étrangers venant de Suisse, d'Allemagne et d'Angleterre.

Après la chute du mur de Berlin, en 1989, puis la séparation de la Tchécoslovaquie, le 31 décembre 1992, le cinéma tchèque n'a plus de contraintes de style, mais des contraintes financières, le film devant être rentable...

Donatien Mazany

Cinéfil n°68 - novembre 2022