Il ne s'agit pas ici de revenir sur l'histoire du western, déjà brillamment évoquée par l'article d'Alain Jacques Bonnet dans le numéro 4 de février 2011 de Cinéfil, ni de prétendre avec ces quelques exemples en épuiser le genre, mais de s'interroger sur ce qui peut faire la singularité du western d'un point de vue cinématographique.

      Dire que « The West » (américain) a donné le western c'est déjà circonscrire le western dans un espace particulier qui s'étend, selon la période historique que l'on prend, de Saint- Louis ou de Chicago à San Francisco et aux rivages du Pacifique. Le western serait donc cette façon de raconter par l'image la conquête de l'Ouest et ce qu'elle sous entend : l'immensité de l'espace sauvage, la difficulté à vaincre les Rocheuses, la lutte contre les populations indiennes ou les rivalités entre pionniers.

      Il est vrai que l'on retrouve dans de nombreux films classés ''western'' cette thématique de l'homme face aux éléments de la nature : des rivières et des rapides à descendre (l'un des épisodes de La conquête de l' Ouest (1962) d' Henry Hathaway, George Marshall et John Ford ; La rivière sans retour d'Otto Preminger 1954), des Montagnes Rocheuses à franchir ou à habiter en trappeur (Jeremiah Johnson, Sydney Pollack, 1972), des voies à ouvrir dans des contrées encore sauvages ( La piste des géants, Raoul Walsh, 1930, premier western interprété par John Wayne alors en tout début de carrière ; Le cheval de fer 1924, John Ford ou Le convoi des braves John Ford 1950 ). Le western nous rappelle à quel point les colons en prenant possession de leurs territoires ont d'abord du domestiquer la nature en transformant un espace sauvage (the Wild) en un espace civilisé.

      Cette lutte pour l'espace se traduit également par des guerres avec les indiens (La charge fantastique, Raoul Walsh, 1941 et l'évocation magnifiée de la bataille de Little Big Horn ; La flèche brisée, Delmer Daves 1950, célèbre premier western à porter un autre regard plus nuancé et humaniste sur les indiens etc ...) ; mais des Indiens souvent menaçants que l'on ne voit jamais ou si peu (La chevauchée fantastique, John Ford, 1939).

      Enfin cette lutte fut aussi une lutte entre pionniers pour posséder l'espace et y développer leurs propres projets qui ne sont pas forcément ceux du voisin : Les grands espaces William Wyler 1958 ; l'homme qui n'a pas d'étoile, King Vidor, 1955.
Les grands acteurs institutionnels de cette « conquête de l'Ouest » sont l'armée et la cavalerie qui arrive toujours plus ou moins à temps sauver les civils, et la figure du shérif. John Ford rend hommage aux premiers par sa célèbre trilogie sur la cavalerie entre 1948 et 1950 : Le Massacre de fort apache ; La charge héroïque ''she wore a yellow ribbon'', Rio Grande. Mais un film plus tardif comme Le sergent noir « Sergent Rutledge » en 1960, toujours du même John Ford, est aussi une sorte de continuité d'hommage à la cavalerie qui en dépit des apparences, et des préjugés racistes, ne laissera pas condamner un innocent.

      Le personnage de Wyatt Earp, prototype du shérif courageux qui lutte contre le désordre et les bandits, apparaît dans de nombreux films : La poursuite infernale « My darling Clementine » John Ford, 1946 ; Règlements de comptes à Ok Corral, John Sturges, 1957 ou encore Wyatt Earp, Lawrence Kasdan, 1994.

      Car cette lutte pour s'établir dans l'espace de l'Ouest, le traverser, en éliminer les dangers est aussi une lutte progressive pour l'établissement progressif d'un Etat de Droit contre la loi du plus fort, comme le montre fort bien L'homme qui tua Liberty Valence de John Ford en 1962.

      En somme le western témoigne de la naissance de la nation américaine et en même temps mythifie cette naissance en nous assurant que le bien triomphera toujours du mal, que les blancs l'emporteront sur les indiens, que le shérif l'emportera sur les Hors la Loi. La conquête de L'ouest en 1962, magnifique « film de propagande » sur la grandeur de la nation américaine en gestation, en est l'exemple le plus accompli.

      Pourtant échappent à cette règle, et cela dès la grande époque du western (1935 -1965), quelques films atypiques du genre et parmi ceux-ci Johnny Guitare, Nicholas Ray 1954, ou 3 h 10 pour Yuma, Delmer Daves 1957, des sortes de « surwestern » pour reprendre une expression d'André Bazin, où la profondeur psychologique l'emporte sur l'exaltation du héros qui triomphe de tous les obstacles, ou les codes du western sont détournés : Johnny Guitare voit s'affronter des femmes en duel et non plus des hommes, 3 H 10 pour Yuma se passe pour l'essentiel dans le huis clos d'une chambre d'hôtel ce qui est curieux pour un western...

      Certains westerns, plus tardifs, portent également un regard iconoclaste sur cette construction de la nation américaine. C'est notamment le cas de La porte du Paradis (Heaven 's Gate) de Michael Cimino (1980), œuvre maudite dont on dit que son échec commercial contribua à couler pour un long moment United Artists, et aussi œuvre culte pour les cinéphiles.

      La scène finale va jusqu'à brouiller les schèmes de représentation puisque ce ne sont plus de méchants indiens qui attaquent un convoi de charriots réunis en cercle pour se défendre, mais d'autres colons blancs, arrivés plus tôt dans le pays et d'origine anglo-saxonne, et qui refusent l'arrivée massive de ces nouveaux migrants provenant d'Europe centrale. Voilà le mythe du Melting Pot singulièrement mis à mal !

      De même Danse avec les loups de K. Costner en 1990 est un western qui va jusqu'à inverser la dialectique du sauvage et du civilisé puisque ce sont les soldats américains de la cavalerie qui sont représentés comme des êtres rustres, insensibles et grossiers, alors que les Indiens (les sioux) incarnent un peuple libre et courageux dont se réclame le lieutenant Dunbar puisqu'il adoptera cette langue indienne pour répondre à l'interrogatoire brutal que ces soldats américains lui font subir. Le sauvage n'est plus celui que l'on croit.

      Enfin si l'on définit le western comme cette capacité à filmer (le plus souvent) de grands espaces et à traiter de cette confrontation entre l'homme et ces grands espaces, l'on ne saurait limiter le western à la période de la conquête de l'Ouest
Un film comme Seuls sont les indomptés de David Miller (1962, scénario de Dalton Trumbo et principalement interprété par Kirk Douglas), reprend, bien qu'il se passe à l'époque contemporaine de son tournage, tous les thèmes classiques du western : le cow-boy solitaire et libre sur son cheval, qui ne connaît que ses propres règles et refuse les conventions sociales et leurs hypocrisies. Il s'échappe de prison et l'on assiste alors à une traque impitoyable où le cavalier doit affronter, à un certain moment, un hélicoptère : nous ne sommes plus dans un western et pourtant si : d'une certaine façon, si l'on revient à cette définition du western comme film qui montre la confrontation entre l'Homme et son Espace. Mais déjà Seuls sont les indomptés est un film qui annonçait peut être la fin « de l'homme de l'Ouest » vaincu par la modernité ?

      Dix ans plus tard, (1971 version télé - 1973 version cinéma) Spielberg réalisa Duel. Un mystérieux camion se met à poursuivre un automobiliste sur les routes très peu fréquentées du grand Ouest américain. Scénario en apparence banal mais génial. L'automobiliste poursuivi va être obligé de lutter pour survivre en milieu hostile. Réapparaît alors dans ce personnage contemporain la figure des premiers pionniers : seul dans des espaces immenses et sauvages, confrontés à des dangers (le camion) aussi soudains que mystérieux. Si le film fut un incontestable succès c'est parce qu'il parle davantage à l'inconscient du spectateur américain qui y voit bien plus que l'histoire d'un automobiliste poursuivi par un camion. Duel ré-enchante l'espace mythique du grand ouest américain immense et sauvage et en ce sens Duel est bien un western moderne magistralement filmé par Spielberg, alors jeune réalisateur, avec un grand sens de l'espace. Cet art de filmer il l'avait notamment appris en interrogeant préalablement un autre réalisateur, né en 1894 et décédé l'année où sortira Duel au cinéma 1973 : John Ford. La Boucle est bouclée.

      Pour conclure qu'il me soit permis de regretter que les grandes chaînes de télévision ne passent plus ou fort rarement de westerns et que cette culture du western se perde notamment chez les plus jeunes. Il y a une vingtaine d'année la dernière séance d'Eddy Mitchell donnait encore l'occasion de voir quelques westerns toujours très sympathiquement présentés. Aujourd'hui seules quelques associations de cinéphiles comme Les Studios à Tours permettent de découvrir ou redécouvrir ces grands classiques et nombreux films cités ci-dessus ont ainsi été récemment projetés aux Studios pour le plaisir de tous. Qu'elles en soient remerciées partout en France et à Tours.

Eudes Girard

(Co-auteur avec Thomas Daum de l'ouvrage " La géographie n'est plus ce que vous croyez... ", qui parle de Tours, mais aussi de Cinéma)