On a souvent énoncé la complexité de la comédie soviétique. En effet, il semble que dans ce cinéma toujours imprégné du contexte politique et économique de sa production, l'objectif ne se limite pas au rire pour le rire. Le genre comique est tout de suite apparu comme la possibilité de faire passer un message politique par le rire. Selon Trotski, le sujet de la comédie doit toujours être relatif à la vie quotidienne, aux « questions de mode de vie » selon ses mots. Or, c'est par ce lien étroit entre le comique et la réalité que la satire peut naître.

 

    La satire est l'œuvre dans laquelle l'auteur fait ouvertement la critique d'une époque, d'une politique, d'une morale ou attaque certains personnages en s'en moquant. C'est bien ce que nous retrouvons dans le cinéma de Boris Barnet, qui part du réel comme les grands burlesques américains que sont Chaplin, Keaton et Lloyd, mais qui s'en distingue par l'influence du constructivisme et de son maître Lev Koulechov. C'est en effet repéré par ce dernier que Boris Barnet intègre en 1922 l'Institut du cinéma de Moscou. Malgré cette formation, il a toujours refusé de théoriser son cinéma : « Je ne suis pas, je n'ai jamais été un homme de théories. J'aime avant tout la comédie, je me plais à introduire des scènes drôles dans un drame et des épisodes dramatiques dans un film comique ».

 

    Les procédés stylistiques utilisés le plus fréquemment dans la satire sont la caricature, le grotesque ou l'hyperbole, figures de style que l'on retrouve dans tous les films présentés dans cette petite rétrospective Boris Barnet. Davantage que la forme, ce qui distingue les productions satiriques des autres types de comédie est la forte importance du contenu idéologique. Vous pourrez être également attentifs à des formes récurrentes comme la diminution pour tourner le sujet au ridicule, ou au contraire l'exagération d'une situation réelle, toujours dans le but de la dérision. Un autre phénomène important et qui vient directement de Lev Koulechov et de sa théorie du montage est la juxtaposition. Ce procédé permet de comparer des choses d'importance inégales, par le biais d'un montage parallèle qui crée un effet comique, tout en faisant prendre conscience de certaines réalités dans le raccourci de la comparaison.

    Avant de se lancer dans la mise en scène, Boris Barnet a d'abord été acteur pour les plus grands de sa génération. En 1924, il obtient son premier rôle dans Les aventures extraordinaires de mister West au pays des bolcheviks de Lev Koulechov. L'année suivante il joue dans La fièvre des échecs de Poudovkine et en 1926, il est à l'affiche du premier film de Fédor Ozep, Miss Mend, dont il est également le co-scénariste et le co-réalisateur. Ce que l'on considère comme son premier film est La Jeune fille au carton au chapeau (1927). Le film a été produit pendant les années de la NEP, nouvelle politique économique mise en place par Lénine en URSS en 1921 et qui introduit une relative libéralisation économique jusqu'en 1928. Au cœur de cette comédie, la situation économique est présente par le biais de la satire. En effet, cette comédie satirique et burlesque fait preuve de légèreté mais garde un solide ancrage réaliste et social, comme La maison de la place Troubnaïa (1928), grande satire sociale contre les nouveaux riches. Dans La Jeune fille au carton au chapeau, le réalisateur insiste notamment sur la question de la crise du logement dans la Russie de la fin des années 20.

    Une des particularités de Boris Barnet est qu'il a su surmonter la difficulté du passage au parlant. Il a su adapter son style à cette révolution dans le cinéma des années 30 et signa en 1933, son premier film parlant, Okraïna, considéré comme son œuvre majeure et l'un des plus beaux films de l'ex-URSS. C'est une histoire d'amour entre une jeune fille de cordonnier et un prisonnier allemand durant la première guerre mondiale. De nouveau, le film est drôle et émouvant, tout en rappelant les éléments essentiels de la révolution de février.

    Barnet est ainsi reconnu comme l'un des plus grands représentants de la satire russe post-révolutionnaire. Mais il est intéressant de noter qu'il ne s'est pas limité à ce genre comique au début de sa carrière. Son deuxième film, réalisé la même année, Moscou en octobre, est une commande pour le dixième anniversaire de la révolution russe. Cette réalisation très proche du documentaire retrace les combats des bolcheviks. De même dans La débâcle (1931), c'est avec un style profondément réaliste que le cinéaste illustre la campagne de ''dégoulaguisation'' en cours. Que ce soit sur un ton grave ou comique, l'approche de la réalité par ce cinéaste s'est toujours distinguée par une extrême justesse, témoignant du rôle qu'a pu jouer son cinéma dans l'édification du socialisme et du communisme.

    « Au cours de l'organisation du matériel il faut trouver des éléments comiques qui donnent la possibilité de montrer le comique comme partie organique de ce qui se passe. C'est surtout nécessaire dans la comédie qui se construit moins sur un comique de situation que de comportement quotidien », citation du témoignage publié dans la revue Sovietski Ekran, n° 12, 19 mars 1927. Dans cet article, il dit également qu'il ne croit pas à la possibilité d'une satire au cinéma, ce qui est plutôt le comique du paradoxe lorsque l'on voit que tout son cinéma est l'expression même de cette réussite de l'alliance entre le comique et la satire.

Manon Billaut