Les opérateurs Lumière puis ceux de Pathé amenèrent très tôt le cinéma dans les pays d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique latine. C'était encore un spectacle forain et les projections (il existait de nombreuses copies des films tournés en France et en Angleterre) avaient lieu dans des lieux improvisés, mais rarement dans les théâtres. En Egypte ce fut un hammam du Caire qui accueillit la première projection en 1897, les suivantes ayant lieu dans différents cafés au Caire et à Alexandrie.

    La première salle spécialisée fut crée en 1906 et en 1908 il en existait déjà une dizaine au Caire, à Alexandrie et à Port-Saïd. En 1924 on en comptait 40 qui appartenaient toutes à des occidentaux, aux sociétés Pathé et Gaumont, mais aussi à des firmes commerciales sans rapport direct avec le cinéma telles que Les Cigarettes Matossian ou Les Chocolats Poulain. Le succès rencontré par cette nouvelle forme de spectacle et la nécessité d'alimenter les salles allaient très vite attirer de nombreux opérateurs et metteurs en scène venus de France, de Turquie, de Grèce, d'Allemagne et surtout d'Italie.

    La première firme de production cinématographique sera d'ailleurs créée en 1917 par deux Italiens : Alvisi Orfanelli et Mario Volpi qui tourneront les premiers court-métrages égyptiens. D'ailleurs, jusqu'en 1927, tous les films tournés en Egypte seront des productions françaises, italiennes, allemandes ou américaines, réalisées par des cinéastes européens avec des acteurs venus de différents pays arabes et qui en assuraient la promotion dans leurs pays d'origine. Le premier studio de cinéma égyptien est ouvert à Alexandrie et déjà ce sont chanteurs et chanteuses, danseurs et danseuses, qui sont les vedettes des films produits.

    On trouve aussi trace d'actualités tournées à partir de 1920 par Aziz et Doré, photographes officiels du Roi Fouad et d'un premier film autochtone de 1923 réalisé par Mohamed Bayoumi (qui aurait, semble t-il, débuté en 1920). Mais il faut attendre 1927 pour que Walad Orfi (un Turc) réalise la première fiction entièrement égyptienne : Leïla, produit par un groupe d'actrices parmi lesquelles figuraient Aziza Amir (vedette du film), Fatma Rouchdi, Assia Bagher, Bahiga Hafez, et quelques autres, fondatrices de la première société de production en 1926 et qui sortira l'année suivante Un baiser dans le désert réalisé par Ibrahim Lama (un Chilien) avec Assia Bagher en vedette. Le cinéma égyptien doit beaucoup aux femmes !

    Bien sûr, l'unique objectif de ces films était la mise en valeur de leurs interprètes.

    Le sonore fera son apparition en 1929 dans Au clair de lune de Choukry Madi où la bande image était synchronisée avec des disques de chansons et de musiques de danse. Le véritable premier film parlant date de 1932 : Les fils à Papa réalisé par Mohamed Karim. Avec le son le film musical trouve sa pleine justification et devient le genre majoritaire du cinéma égyptien et ce pour plusieurs décennies.

    Il en va du cinéma égyptien comme il en allait voici encore quelques années pour ''Bollywood'' : il resta longtemps méprisé par l' intelligentsia européenne, particulièrement en France, qui, jusqu'aux années 70, ne se penchait guère sur les productions populaires des pays du tiers-monde. Seuls, quelques réalisateurs marqués du sceau de la contestation intellectuelle et politiquement connotés, ont parfois trouvé grâce à leurs yeux. Par exemple, alors qu'à Paris même, dans les années 50 et 60 deux salles de cinéma programmaient chaque semaine un film égyptien destiné au public maghrébin (dont le Louxor qui diffusait également quelques films Indiens), je n'ai jamais lu dans une seule revue de cinéma une critique ou un compte rendu d'un de ces films alors que quelques années plus tard n'importe quel ''porno'' faisait systématiquement l'objet de commentaires.

    Pourtant l'importance économique et politique de ce cinéma dans tout le monde arabe et plus généralement musulman, reste une donnée fondamentale de l'histoire du 7ème art. Elle reposait sur une production volontairement simple et populaire qui perdura plus de trente ans et connut son apogée entre 1940 et 1955. Cette période débuta réellement en 1935, lorsque Mohsen Szabo (d'origine hongroise) développa pour l'Egypte un procédé d'enregistrement sonore et permis ainsi à la production locale de prendre son essor grâce à la Banque Misr (dirigée par Talaat Harb) qui créa les Studios Misr et se lança dans la production cinématographique en ouvrant des studios modernes au Caire. Ces studios existent encore aujourd'hui.

    Durant cette période l'Egypte produisait entre 50 et 80 films par an essentiellement des films musicaux, des mélodrames et des comédies qui étaient diffusés dans tous les pays du Maghreb, dans le moyen Orient et même dans certains pays asiatiques de tradition musulmane (Indonésie par exemple). Ils assuraient à la figure égyptienne une renommée dont aucun autre cinéma d'Afrique ne pouvait se targuer.

    Le dialecte Cairote était alors reconnu dans tous le monde musulman et, à travers des intrigues réduites à leur expression la plus universelle, les films se comprenaient partout, y compris dans les salles spécialisées des grandes villes européennes.

    Les réalisateurs de ces époques ne se préoccupaient pas vraiment de développer un langage cinématographique original ou des techniques progressistes. Leur objectif essentiel se bornait à raconter le mieux possible des histoires sentimentales, dans des formes qui nous paraissent sans doute simplistes, et de toucher ainsi un public populaire sensible aux clichés universels et qui ne cherchait dans le cinéma qu'un rêve empli de beauté et de grandeur d'âme. Mais croire que répondre à ce besoin élémentaire est obligatoirement synonyme de facilité et de servilité est injuste et intellectuellement prétentieux comme le démontreront bon nombres de réalisations que le temps se chargera de réévaluer.

    Les thèmes des films se reprennent les uns, les autres. Il s'agit avant tout soit de drames bourgeois avec des intermèdes chantés et dansés, soit de comédies se déroulant dans le milieu du Music Hall et des cabarets où chanteurs et danseurs s'aiment et se détestent, se concurrencent et rivalisent pour réussir leur carrière et bien sur trouver l'amour. Ce sont souvent des histoires exploitant les succès radiophoniques agrémentées par des danses ''orientales'', essentiellement la danse du ventre, qui faisaient la joie des spectateurs et permettaient les ventes à l'étranger. Une autre partie de la production versait dans le comique, parfois le burlesque, parfois mâtinée d'aventures ''bédouines'' tournées dans le désert. Elle s'appuyait aussi sur des adaptations de romans occidentaux et des remakes ''arabisés'' de films américains. Les romanciers égyptiens ne commenceront à être adaptés au cinéma qu'à partir de 1941. Bien sûr, chacun de ces genres pouvait se mélanger avec les autres selon l'imagination des scénaristes et les spécialités des vedettes utilisées.

    Dans cette représentation populaire, la part belle est faite aux acteurs qui bénéficient en premier de la renommée que procure le cinéma. Danseurs, chanteurs et comiques du cinéma égyptien (qui n'étaient pas tous Egyptiens) profitèrent de sa large diffusion pour devenir, dans le monde musulman, des 'Idoles'' aussi connues que les grands acteurs américains ou Indiens. Beaucoup étaient également des vedettes de la radio, média essentiel de ces années là. Le cinéma égyptien était soumis au star-system plus encore que le cinéma hollywoodien.

    Avant la seconde guerre mondiale, ces vedettes étaient en fait les vrais responsables des films qu'ils interprétaient. Bard Lama, Mohammed Abdel Wahab, Laila Mourad ou Nour El Hoda (Libanaise) ne visaient qu'à mettre leur talent en évidence. Mais trop souvent, leur jeu appuyé (ce n'était pas toujours de bons comédiens) et des mises en scène ''faire valoir" souvent indigentes, tiraient vers le bas la qualité moyenne de ces productions. Quelques réalisateurs, pour la plupart formés en Europe, échapperont pourtant à cette médiocrité et certains commenceront à aborder par le biais du ''musical'', des thèmes plus ambitieux. On peut revoir avec plaisir les films de Kamal Selim, le plus important cinéaste égyptien de ces années là, d'Ahmed Badrakhan ou de Mohamed Karim.

    Au début des années 40, une nouvelle génération de cinéastes apparaît. Le film musical est toujours en vogue mais les chanteurs, les chanteuses et les danseuses de la nouvelle génération connaissent mieux le langage de l'image et sont de biens meilleurs comédiens. Le Libanais Farid El Atrache, Abdel Halim Hatef, Mohamed Fawzi pour les hommes et Oum Kalthoum (ou Kalsoum), Leila Mourad, Hoda Soltane pour les femmes sont de fabuleuses voix pendant que les danseuses Taheya Carioca, Naïma Akef et la géniale Samia Gamal évoluent si merveilleusement que les spectateurs enchantés se bousculent devant les cinémas.

    Oum Kalsoum, la diva égyptienne, débuta au cinéma en 1936 dans Wedad réalisé par Fritz Kramp, un transfuge allemand. Elle interpréta par la suite une bonne centaine de films.

    Quelques grands noms de la réalisation de films musicaux travaillent sans relâche tels Wali Eddine Sameh, Stephane Rosti, Niazi Moustafa, Fatine Abdel Wahad ou Henri Barakat ; de grands acteurs connaissent une renommée internationale : Naghib Al Rihani, Ismaël Yacine, Ali Al Kassar dans le registre du comique ou Souad Hosni, Ismaël Imam et Omar Sharif dans le drame. Mais le cinéaste le plus important de cette période est sans conteste Kamal Selim qui adapta entres autres Victor Hugo (une version des Misérables) et Shakespeare (une version de Roméo et Juliette).

    La période de guerre amène le renouvellement des générations . Le cinéma égyptien rayonne pleinement dans la plupart des pays arabes et de nombreuse productions connaissent le succès : La volonté de Kamal Selim avec en vedette Hussein Sedky puis Le jouet des femmes de Wali et Dine Sameh, Le procureur général de Kamel Mursi, Leyla, fille des pauvres de Anwar Wagdi, Le passé inconnu d'Ahmed Salem ou encore Le fiacre d'Ahmed Badrakhan. La musique et les chants y sont encore présents mais - les titres des films sont significatifs - commencent à apparaître en toile de fond une peinture de la vie quotidienne avec des personnages issus des milieux populaires.

    En 1946, 64 films furent tournés en Egypte.

    Les années 1946/ 1960 peuvent être considérées comme l'age d'or du cinéma égyptien tant sur la plan artistique que sur le plan économique. A titre d'exemple, le film de Niazi Moustafa : Antar et Abla (1946) rapportent 200 millions de dollars en 2 ans.

    A partir de 1950, deux hommes vont marquer le cinéma de leur pays. C'est tout en premier lieu Salah Abou Seif, qui sera le réalisateur phare des années 1950 /60 par la qualité de son œuvre, la richesse de sa thématique et son implication dans le système de production égyptien. Il commença comme monteur en 1932 et commença à tourner en 1947 (Toujours dans mon cœur) connaissant un grand succès populaire avec Les amour d'Antar et Abla, tiré d'une légende arabe pourtant maintes fois adaptée précédemment. Influencé par le néo-réalisme italien, il fut attiré par les sujets modernes à caractères sociaux.

    En second lieu, Youssef Chahine qui commença à tourner en 1950 (Ciel d'enfer) après avoir effectué des études de cinéma à Hollywood et qui tournera d'ailleurs un remake d'un film américain : Le fils du Nil (son second film en 1951). C'est sa capacité à se faire connaître à l'étranger, et particulièrement en occident, par les milieux intellectuels, qui, outre ses qualités propres de cinéaste, lui permettra de jouer un rôle essentiel dans la reconnaissance du cinéma égyptien pour laquelle il militera jusqu'aux années 2000.

    En 1948, on commence à adapter des romanciers égyptiens pour trouver une identité qui ne soit plus la rémanence de la littérature européenne ou l'involution des ''arabisations'' américaines. Le grand romancier, prix Nobel, Naghib Mahfouz se trouvera au cœur de cette nouvelle ambition artistique et jouera un rôle majeur dans le renouvellement des thèmes et des intrigues des films des années 50/60. Il permettra nombre d'adaptations de ses romans et nouvelles et écrira des scénarios inédits qui apporteront une densité psychologique, une diversité de personnages et des histoires crédibles, empreintes de vérités économiques, sociales et politiques, toutes choses qui manquaient cruellement aux productions commerciales des décennies précédentes.

    Abou Seif, Chahine et Mahfouz sont les trois personnalités primordiales qui marquèrent de leur empreinte le cinéma égyptien moderne. Mais en fait, ils ne firent que suivre les traces d'un tout premier courant réaliste qui tenta dès les années 30 de créer des films sortant des schémas habituels qui se voulaient plus proches de la situation sociale, des difficultés et des besoins du peuple égyptien. Si la plus grande part de la production cinématographique, traditionnellement musicale, fut l'outil majoritaire de l'art cinématographique égyptien, et généra bon an mal an, de grandes réussites artistiques qui contribuèrent à la renommée du pays et, par voie de conséquence, à son influence dans le monde arabe et musulman, il faut souligner que cette recherche de réalisme, parfois contestataire, fut portée par pratiquement tous les grands cinéastes égyptiens même s'ils continuaient, parallèlement, à tourner des films musicaux qui leur assuraient les bonnes rentrées d'argent. Abou Seif et Chahine y sacrifièrent eux aussi. Mais l'existence même de ce courant résulta toujours d'une lutte contre les censures des différentes époques qui ne cessèrent jamais, sauf en courtes périodes, de se montrer constamment actives et néfastes.

    Dès 1938, Lachine de Fritz Kramp tenta une représentation réaliste de la situation sociale du peuple égyptien. Mais le film fut immédiatement interdit et ne sortit que plusieurs mois plus tard profondément remanié et édulcoré. Farouk n'était pas un monarque très libéral...

    Un peu plus tard, en 1945 c'est Marché noir (sur les profiteurs de guerre) de Kamal El Telmessani qui sera boycotté dans son propre pays. Toutefois, les copies n'ayant pas été détruites, le film put être vu à l'étranger. En 1947, le gouvernement édicte de nouvelles ordonnances sur la censure pour en accentuer le pouvoir avant que, l'année suivante, la défaite militaire de la guerre contre Israël ne remette en cause la politique économique du pays.

    En cette année 1948, la production chute (seulement 33 films produits) et Farouk applique un nouveau code de censure inspiré par les Anglais qui ne fait que renforcer la main mise de l'état sur le cinéma privé et exclu de toute représentation cinématographique la pauvreté, les revendications sociales et les contestations des lois sur le patriarcat Abou Seif en sera victime, ses films Ton jour viendra et Le contremaître Hassan subissant de nombreuses coupures avant leur sorties.

    Il faudra attendre 1952 et la fin de la Monarchie pour que cette pression étatique s'assouplisse. Nasser ayant nationalisé l'industrie cinématographique, les intellectuels lui sont alors globalement favorables et de nombreux films à caractères progressistes qui accompagnent sa politique patriotique et socialiste sont alors réalisés. Globalement, le cinéma et le pouvoir sont en phase et exaltent les racines nationalistes. Moustapha Kemal de Ahmed Badrakhan (1952), A bas le colonialisme de Hussein Sedki, (1952), Vie et mort de Kamal El Cheick (1954), Ils ont fait de moi un assassin de Atef Salem (1954) Le monstre (1955) et La sangsue qui est une description de la vie populaire dans une petite rue du Caire (1956) de Salah Abdou Seif, Les eaux noires (1956) et Gare centrale (1958) de Youssef Chahine connaîtront des succès populaires et critiques. (Malgré la bienveillance étatique Gare centrale connaîtra malgré tout quelques ennuis avec la censure).

    Plusieurs de ces réussites sont issues des œuvres de Naghib Mahfouz où sont abandonnés les numéros chantés et dansés, les intrigues de cabarets et les milieux chics de la bourgeoisie cairote qui leur servaient de toile de fond.

    En 1959, L'Institut Supérieur du Cinéma est crée au Caire de même qu'en 1961 l'Organisme Général du Cinéma (nationalisé en 1963). Ces deux structures vont permettre la création d'un cinéma plus ouvert sur le monde, plus moderne et beaucoup plus propice à l'audace dont va faire preuve une sorte de ''nouvelle vague'' égyptienne.

    L'état, sur le modèle soviétique, apporte son soutien et ses moyens financiers à la création cinématographique et en 1966 crée l'Ecole Egyptienne Générale du Cinéma. Avec de brillants techniciens, tel le chef opérateur Ramses Marzouk, le cinéma égyptien va connaître de 1960 à 1967 une nouvelle période de grande création. La production approche les 100 films par an et anciens et nouveaux cinéastes produisent des œuvres de grand intérêt : Cœur d'or de Mohamed Karim (1959) Entre tes mains (1960) et Saladin (1962) de Youssef Chahine, Le péché d'Henri Barakat (sur la condition des saisonniers en 1965), Le facteur d'Hussein Kamal (1967), Le procès 68 de Salah Abou Seif (1968)...

    Mais en 1967, après une nouvelle défaite dans la guerre des 6 jours, la situation économique se détériore et la politique de Nasser commence à être contestée. La défiance s'installe et quelques films sont très critiques envers le régime : Les Révoltés de Tewfik Saleh (1968) ou Un soupçon de peur de Hussein Kamal. Le ''Groupe du Nouveau cinéma'' apparaît en 1969 avec la volonté de se dissocier du cinéma étatique. C'est aussi l'année où le film musical disparaît pratiquement des écrans, vilipendé par les autorités et concurrencé par la télévision qui diffuse les vieux succès des années 50 et en réalise elle même. Mon père perché sur un arbre est le dernier film du genre qui soit tourné avec un budget important par Hussein Kamal avec le chanteur Abdel Halim Hafez en vedette. Il faudra attendre 1972 et le tournage de Méfie toi de Zouzou de Hassan Al Imam pour voir renaître cette veine populaire.

    A la fin de la décennie 60 la censure ressurgit et en 1970 Shadi Abdel Salam verra son film La momie, un des rares films égyptiens évoquant l'histoire pharaonique, interdit pendant 10 ans alors que Tewfiq Saleh, jeune réalisateur prometteur devra s'exiler en Syrie pour tourner Les Dupes en 1971.

    En 1970 Nasser décède et se trouve remplacé par Anouar El Sadate. La nature du régime se modifie et l'Egypte se tourne de plus en plus vers les systèmes de production occidentaux. Si les Archives Nationales du Film sont créées cette même année, c'est aussi la disparition du service public et la restitution au privé de tout le système de production et de réalisation jusqu'alors erratique. Malgré tout, une production annuelle d'environ 70 films est, dans un premier temps, maintenue.

    A noter que c'est seulement en 1972, qu'apparaît au Caire le premier ciné-club.

    Les échecs du pouvoir nassérien ne sont plus tabous. Les intellectuels en sont de plus en plus critiques et les principales plaies de l'Egypte moderne sont dénoncées : corruption, matérialisme, désintégration de la famille, perte des valeurs religieuses. Tout cela gène le pouvoir en place et par réaction la censure réapparaît. De nombreux films des années 72/74 en sont les victimes : Le moineau de Youssef Chahine (1972), Al Karnak de Ali Badrakhan (1975), Les fautifs de Saïd Marzouk (1976), d'autres sont même interdits.

    Les nouveaux cinéastes qui arrivent au début de la décennie 70 vont se rejoindre et créer un groupe de réflexion qui prendra son essor à partir de 1981. Ils s'appellent Ali Abdel Khalek (Chanson sur le passage 1972), Ghaleb Chaath, un Palestinien (Ombres sur l'autre rive 1973) Mamdouh Choukri (Le visiteur de l'aube 1975) et se positionneront clairement comme des contestataires du système.

    En 1973, la nouvelle guerre contre Israël et son épilogue ambigu va provoquer un durcissement du régime et une vague de revendications populaires qui engendrera les soulèvements de 1977, année de création du 1er festival international du film du Caire. Le traité de paix signé avec Israël en 1979 provoquera d'autres mouvements de contestations venant cette fois des milieux nationalistes et religieux.

    Entre temps, certains pensent à ressusciter le film musical qui n'a guère connu de soucis avec la censure. Mohamed Abdel Aziz ou Ali Abdel Khalek se lancent à nouveau dans les aventures édulcorées de quelques chanteurs mais il ne s'agit que d'un feu de paille. L'âge d'or du ''musical'' est bel et bien terminé et sa production ne cessera de régresser. Mohamed Khan et Youssef Chahine continueront, pour leur part, à travailler sur un cinéma plus exigeant.

    Dans les années 80, après l'assassinat de Sadate (en 1981), le Fond de soutien d'aide au cinéma (une sorte de CNC égyptien) se met en place sous l'administration de Hosni Moubarak mais les services de censure sont toujours là. Ils officient en réalité à deux niveaux : celui du scénario et celui du film terminé et leurs cibles n'ont guère évolué en 30 ans. En outre, la libéralisation du système de production a favorisé la mise en place de syndicats professionnels indépendants ; celui des acteurs, celui des musiciens, celui des électriciens, des décorateurs, etc... auxquels il fallait verser une taxe pour pouvoir tourner. Ce racket s'ajoutait à celui du Syndicat des réalisateurs sortis de l'Institut du cinéma égyptien et qui maintenait un monopole sur tous les tournages en cours. Pour contourner cette mainmise il fallait payer une taxe comprise entre 30 000 et 40 000 €. En conséquence, la production chute et tombe à 20 et même à 15 films annuels. La seule exception sera l'année 1986 lorsque les pays du golfe apporteront des financements et où la production montera à 90 films mais cette euphorie sera sans suite.

    Les films réalisés dans ces années-là prennent pour sujet des drames et mélodrames sociaux et font souvent preuve d'un grand courage politique. Mohamed Khan n'hésite pas à s'attaquer à ce qui s'avérait tabou jusqu'alors : la désillusion des émigrés revenus des pays du Golfe (Le retour d'un citoyen 1986) ou l'évocation des soulèvements populaires de 1977 ( L'épouse d'un homme important en 1988). Saïd Marzouk, quant à lui, traite de la corruption existante dans l'administration avec Sauver ce qui peut l'être (1985) ce qui lui vaudra évidemment des ennuis avec la censure. Mais c'est encore la satire qui permet le plus aisément de traiter les problèmes d'actualité tout en satisfaisant le box-office. Samir Seif ou Cherif Arafa mettront en vedette le comique Adel Imam qui sera la vedette de ces réalisations populaires.

    Outre Chahine, qui trouve des financements en Europe et forme de nouveaux réalisateurs ( La mémoire en 1982, Adieu Bonaparte en 1985), de nouvelles figures apparaissent telles que Khaïri Beshara (Destin sanglant 1981), Atef El Tayeb (Le chauffeur d'autobus en 1983) dont l'interprète principal Nour El Cherif obtiendra le Prix Satyajit Ray au festival de New Dehli.

    A partir de 1988, la situation globale du cinéma égyptien s'améliore un peu et quelques films, qui sont significatifs des préoccupations du pays, présentent des qualités certaines. Kit Kat d'Abdel Sayed en 1991 renoue avec la verve corrosive de la comédie satirique. Le terrorisme est abordé par Cherif Arafa dans Terrorisme et Kebab en 1992 puis dans Le terroriste de Nader Kamal en 1994. Sujets brûlants s'il en est puisque des attentats bien réels se produiront en Egypte en 1995 et 1997.

    Si quelques films musicaux font encore le bonheur des spectateurs égyptiens, leur diffusion dans les pays étrangers a pratiquement cessé, vaincue par la vidéo et le DVD. Le cinéma comique fait encore recette et Mohamed Heneidi conserve un statut de vedette (Ismaëlia, aller et retour de Karim Diaa Edine) alors que Yousry Nasrallah voit ses films projetés dans les festivals pour la promotion du cinéma égyptien. A partir de fin 90 et jusqu'à aujourd'hui, les films égyptiens ne nous parviennent qu'avec parcimonie et les projets de films, de moins en moins nombreux, subissent les contraintes d'une censure policière très virulente (droit de tournage), des dictats de la télévision (qui distribue les fonds nécessaires à la production) et des poursuites judiciaires engagées pour un oui ou pour un non envers les producteurs et réalisateurs pour des motifs religieux ou simplement pécuniaires. (Chahine lui-même n'échappa pas aux chicaneries de la censure pour L'émigré en 1994) .

    Pourtant, dans ce contexte difficile (la production annuelle ne dépasse pas la quinzaine de films), quelques jeunes cinéastes parviennent à mener leur projet à bien : Asma al-Bakri (La ruelle du bonheur 1998) Radwane Al Kashef (La sueur des palmiers 1998) Atef Etata (Les portes fermées 1999) Oussama Fawzi (Le paradis des anges déchus 1999).

    En 2006, l'arrivée dans le cinéma du groupe de presse Good News Group pourra peut-être apporter un nouveau souffle à la production, mais la seule véritable avancée de ces dernières années est la présence de plus en plus nombreuse de femmes (Asma El-Bakri, Sandra Nashaa ou Jocelyne Siab venue du Liban) dans ce monde si conservateur que fut et que reste le la société égyptienne, comme celle du cinéma qui fit rêver l'ensemble des populations des pays arabes, les émigrés du Maghreb et les musulmans d'extrême-orient. C'est ainsi que le cinéma égyptien qui commença avec des femmes est peut-être en train de retrouver ses racines.

    Pour conclure, il faut souligner que la connaissance que nous pouvons avoir de ce cinéma provient de deux sources principales : Le festival des 3 Continents de Nantes qui programme régulièrement des films égyptiens depuis 30 ans et Le festival du film Arabe qui a lieu à Paris depuis 1983 et a permis de découvrir les nouvelles productions dont la diffusion dans les circuits commerciaux français ou même à la télévision reste tout à fait exceptionnelle.

Quelques repères chronologiques dans l'histoire de l'Egypte :

1898 : Protectorat anglais
1922 : Fin du protectorat britannique
            Monarchie du Roi Fouad
1936 : Farouk 1er devient Roi
            Traité anglo-égyptien assurant l'indépendance de l'Egypte
1947 : Ordonnances sur la censure
1948 : Conflit Egypte/Israël. Défaite de l'Egypte
1952 : Fin de la monarchie. Prise du pouvoir par le Général Neguib
1953 : Proclamation de la république.
            Assouplissement de la censure.
1954 : Le Colonel Gamal Abdel Nasser devient Premier Ministre
1956 : Nasser devient Président de la République
            Crise du Canal de Suez.
1958 : L'Egypte et la Syrie fondent la RAU, République Arabe Unie, sous la
            Présidence de Nasser
1961 : La Syrie redevient indépendante après un putsch militaire.
1962 : Intervention militaire au Yemen
1967 : Guerre des 6 jours : défaite de l'Egypte et des pays arabes coalisés
1970 ; Mort de Nasser remplacé par Anouar El Sadate.
1973 : Guerre contre Israël.
1976 : Durcissement de la censure
1977 : Soulèvements populaires
1981 : Assassinat de Sadate remplacé par Moubarak.
1990 : Guerre du Golfe
1995/1997 : Attentats islamistes
2011 : Manifestations de la place Tarir et démission de Moubarak.

Remarque :

L'orthographe des noms propres, le titre des films ainsi que leur date de sortie varient selon la traduction et les traducteurs. En ce qui concerne les titres, nous avons conservé ceux qui figurent dans les plus récentes histoires du cinéma quitte à s'éloigner de ceux qui furent retenus dans les festivals et qui résultaient quelquefois de traductions occasionnelles et locales.

Recensement partiel des films égyptiens vus en France :

Cliquer ici pour voir ce recensement

Alain Jacques BONNET