Il y a tout juste un demi-siècle, le 19 avril 1973, avait lieu à New-York la première du film de Richard Fleischer, Soylent Green. Sorti en juin 74 en France, Grand prix du festival d'Avoriaz la même année, Soleil Vert est devenu au fil des années plus qu'un film culte, une référence non seulement du cinéma d'anticipation mais aussi, avec le recul, comme une base essentielle de la prise de conscience environnementale.

Bizarrement traduit en français « Soleil vert » alors que son titre américain ne veut pas du tout dire la même chose (« Soylent green » est en fait dans le scénario un substitut alimentaire de couleur verte de la marque américaine fictive Soylent, pour le différencier des comprimés d'autre couleur de la même marque), Soleil Vert/Soylent Green a marqué des générations de spectateurs, même si son accueil initial n'a pas été si positif. On a en effet salué à l'époque la maîtrise de la mise en scène, le jeu des acteurs mais l'histoire a paru invraisemblable à beaucoup. Et pourtant, elle résonne aujourd'hui étonnamment, cinquante ans après.

Richard Fleischer est alors un metteur en scène connu, habile cinéaste généraliste qui s'est auparavant frotté à d'autres genres, puisqu'à l'époque de la sortie du film il a déjà 57 ans. Fils du grand Max Fleischer, maître de l'animation (avec notamment Popeye et Betty Boop), Richard Fleischer a déjà signé plus de trente films avant Soleil Vert et en réalisera encore une douzaine jusqu'à sa mort en 2006 à l'âge de 89 ans. Parmi ses œuvres les plus connues, Vingt mille lieues sous les mers, La fille sur la balançoire, Les Vikings, Le Voyage fantastique, l'Extravagant docteur Dolittle, l'Étrangleur de Boston, Tora ! Tora ! Tora ! Conan... C'est donc un cinéaste populaire qui s'attaque au livre Make Room ! Make Room ! d'Harry Harrison, qu'il adaptera très librement.

Dans un New-York de 2022 (donc 50 ans dans le futur à l'époque de la sortie du film !), étouffant sous la canicule la plus grande partie de l'année, mégapole inhabitable de 40 millions d'habitants, l'accès à l'eau et à la nourriture est devenu crucial. Une oligarchie a mis la ville en coupe réglée, réservant à son élite les meilleurs logements et la meilleure alimentation, tandis que les autres survivent dans une cité d'apocalypse, nourris de tablettes de substituts alimentaires de la marque Soylent et encouragés à l'euthanasie. Une nouvelle tablette, le Soylent Green, connaît un succès fulgurant mais une épidémie de meurtres étranges accompagne sa distribution, y compris dans la classe dirigeante. Un détective marginal, Thorn, avec l'aide de son vieux colocataire Roth, va mener l'enquête et découvrir l'horrible réalité que l'on peut aujourd'hui raconter sans divulgâcher, le temps ayant largement passé : les tablettes de Soylent Green sont fabriquées à partir de cadavres humains recyclés pour fournir cette alimentation anthropophage et des profits immenses sont ainsi réalisés secrètement.  

Prise de conscience

On peut concevoir que le postulat du film ait choqué, d'autant que le héros, Thorn, est joué par Charlton Heston, qui après une incroyable carrière dans les plus grands films hollywoodiens, notamment les péplums tels que Ben Hur ou Les Dix Commandements, amorçait depuis la fin des années 60 un virage militant écologiste et pacifiste avec la tétralogie de La Planète des Singes et Le Survivant (avant de finir en héraut reaganien du lobby des armes, comme quoi la vieillesse est parfois un naufrage...). Heston prête à son personnage son regard et ses pectoraux d'acier et parvient à convaincre et effrayer.

Si le message n'est pas forcément passé dans la société du début des années 70, qui n'avait pas encore compris l'importance du choc pétrolier de 1973 ni surtout lu les alertes fortes du Club de Rome sur l'impasse de la croissance infinie, avec le recul, et même si ce ne sont pas aujourd'hui les humains mais les animaux qui sont nourris industriellement avec des farines anthropophages, les autres thèmes nous interpellent : l'augmentation exponentielle des températures, l'accès à l'alimentation et à l'eau, l'explosion démographique, les luttes politiques de plus en plus violentes entres les gouvernements et les militants environnementaux... Et la fin de ce film visionnaire nous émeut et nous ramène encore à un débat de société, avec les images superbes du grand Edward G.Robinson, dont ce fut le dernier film, ayant recours à une euthanasie « douce », accompagnée par des images du monde disparu qu'il avait connu dans son enfance, que nous connaissons encore en 2023, mais les connaîtrons-nous toujours en 2073, année du centenaire de la sortie de Soleil Vert ?

Jérôme Hesse

 Cinéfil n°70 - mai 2023