Depuis 40 ans, habituellement dans la nuit du premier samedi de juin, les cinémas Studio accueillent des cinéphages noctambules dans une ambiance festive pour leur faire découvrir ou revoir des films toujours divers, parfois rares, souvent inattendus dans ces salles Art et essai. Retour sur l’histoire et l’organisation de la manifestation avec Nadine Perriot, référente de la commission Nuit des Studio.
D’où vient l’idée d’une nuit entière de projection aux Studio ?
En 1983, les Studio fêtent leurs 20 ans d’existence. Pour l’occasion, une programmation spéciale est proposée tout au long du mois d’avril et se conclut, la dernière semaine, par une séance gratuite. Mais certains ont pensé qu’il fallait organiser un évènement plus spectaculaire. C’est comme ça qu’a émergé l’idée d’une nuit du cinéma. Ouverte aux seuls adhérents, elle a lieu le samedi 30 avril. L’objectif, déjà, est de se retrouver autour de films un peu plus « faciles » que ceux présentés habituellement aux Studio, afin de se rencontrer autrement et de passer un bon moment. Huit films, choisis dans des genres différents*, sont ainsi projetés et un buffet permet aux spectateurs de se restaurer. Cette première expérience est suffisamment réussie pour que la décision soit prise de la renouveler les années suivantes. En 1985, à la suite de l’incendie, ce sera plutôt une nuit de soutien, organisée à l’Amphi, qui a été un temps le Studio 4 avant de devenir le Bateau ivre, avec des animations diverses (danse, musique, cirque…) mais, quand même, la projection d’un film, en l’occurrence Fame d’Alan Parker. En 1986, l’évènement est reconduit, non sans difficultés. Les distributeurs ne voient pas d’un très bon œil la suppression d’un samedi de diffusion et, par ailleurs, le travail supplémentaire qu’impose l’organisation de la Nuit aux salariés vient alimenter des tensions internes préexistantes. Quoi qu’il en soit, la Nuit est maintenue les deux années suivantes, sans promotion particulière, et c’est en 1989 qu’elle prend sa forme actuelle quand le CNP propose que la partie restauration soit assurée par les associations avec lesquelles il organise des soirées-débats en cours d’année. Cela leur permet d’aller à la rencontre du public et, accessoirement, de gagner un peu d’argent. Et pour les Studio ne plus avoir à organiser le buffet permet de réduire le prix des billets. Et puis surtout, c’est l’ouverture de la Nuit aux non-adhérents. Cette première Nuit nouvelle formule ne rencontre pas un très gros succès puisqu’elle n’attire que 600 spectateurs. Mais l’année suivante, ils sont deux fois plus nombreux et toutes les places sont vendues. Depuis c’est devenu un rendez-vous incontournable, aussi bien pour les salariés et les membres actifs des Studio que pour les spectateurs.
Pourtant, si l’on compte bien, la prochaine Nuit des Studio devrait être la 41e or elle est annoncée comme la 38e.
Sans compter 1985, il y a eu deux années pendant lesquelles la Nuit n’a pas pu avoir lieu. En 2005 à cause des travaux de construction du nouveau bâtiment qui abrite les actuelles salles 3 et 7, et en 2020, du fait des mesures sanitaires imposées par le Covid. Nous avons fait une cession de rattrapage avec une mini-Nuit de trois films, en septembre 2021.
Quel est le public de la Nuit des Studio ?
Nous n’avons pas les moyens de faire des statistiques à ce sujet mais nous constatons qu’il y a beaucoup de jeunes. En tout cas une proportion beaucoup plus importante que le reste de l’année. C’est une tendance que l’on a vue évoluer de manière constante ces dernières années. Les 15-20 ans ne constituent pas la plus grosse partie des spectateurs des cinémas, a fortiori des cinémas Art et essai. Mais pour la Nuit, ils sont très présents. Ce qui est intéressant, c’est que ça permet de casser un peu les a priori qui peuvent éventuellement persister au sujet des Studio. Il est difficile de mesurer l’impact à suivre et de connaître le nombre de personnes qui décident de s’abonner après avoir découvert le lieu lors de la Nuit des Studio, mais je pense que ça donne envie à quelques-uns qui ne connaissaient pas les lieux ou les fréquentaient peu d’y revenir. Il y a également beaucoup d’habitués et d’adhérents qui viennent autant pour l’ambiance festive que pour la programmation particulière.
Comment est-elle conçue, justement, cette programmation ?
Aujourd’hui, 15 films sont projetés deux ou trois fois au cours de la Nuit. Le but, et ça depuis toujours, est de proposer différents genres, avec des figures imposées — comédie, animation, polar, fantastique, musical, classique — et différentes cinémato- graphies. Nous avons fixé également des quotas, il faut qu’il y ait trois comédies, deux drames, un film policier, etc. Il s’agit d’attirer le public, de lui faire plaisir et aussi de le tenir éveillé toute la nuit. Donc, le choix des films se fait sur la base de ces critères, qui ne sont pas restrictifs puisque, cette année, nous allons proposer un documentaire, ce que nous faisons très rarement. Nous essayons de tenir compte également des remarques et suggestions qui nous sont faites par les spectateurs ou par les salariés et bénévoles des Studio. Par exemple, on nous a fait remarquer, à juste titre, que la parité n’était pas toujours bien respectée dans la programmation. Pour l’édition 2024, nous avons été plus vigilants sur ce point et davantage de films de réalisatrices sont programmés. Et puis, le premier moteur, c’est l’envie qu’ont les membres de la commission d’organisation de partager des films qui leur tiennent personnellement à cœur.
Qui compose cette commission et comment travaille-t-elle ?
La commission regroupe 10 bénévoles, âgés de 20 à 80 ans et ayant des goûts cinématographiques très différents. Lorsqu’il s’agit de choisir les films qui seront retenus dans la programmation, autant dire que les discussions sont nourries et qu’il faut avoir de bons arguments pour tenter de convaincre les uns et les autres. Plus qu’une difficulté, c’est ce qui fait le charme de l’exercice parce qu’il n’y a aucune notion de compétition dans nos échanges. Nous nous réunissons une fois par mois, à partir de septembre, et à la première réunion chacun présente une liste de 10 films censés correspondre aux différents critères que j’évoquais tout à l’heure. À la deuxième réunion, nous commençons à écumer, en supprimant d’abord les films qui ont déjà été proposés lors d’une Nuit récente, ou dans le cadre d’une autre programmation, à la Cinémathèque ou autre. Tout le monde s’est renseigné sur les titres qui constituent la liste initiale et, après discussions, nous en conservons une quarantaine dont il faut essayer de visionner le plus grand nombre pour affiner la sélection à la troisième réunion. Et à la quatrième, nous votons pour retenir, à la majorité, les 15 films que nous souhaitons montrer et au moins 15 autres qui constituent un choix de repli. Parce qu’ensuite il faut vérifier la disponibilité des copies auprès des distributeurs. C’est Roselyne [Guérineau] qui s’en occupe et parfois, il peut y avoir des mauvaises surprises, sauf bien sûr pour celui qui voit le film qu’il avait défendu mais qui avait été relégué en second ou troisième choix revenir, par défaut, en tête de programmation.
Une fois que le choix est fait et la disponibilité validée, il faut encore répartir les films par salle et par heure.
Oui, le calage de la grille de programme est un travail important. Nous essayons de placer en début de soirée les films qui vont donner le ton, lancer les festivités, et bien sûr nous gardons pour la dernière projection ceux qui sont les plus susceptibles de tenir encore un peu les yeux des spectateurs ouverts. Pour le choix des salles, il peut y avoir des évidences sur certains films dont nous savons qu’ils attireront plus de spectateurs que d’autres, mais nous faisons aussi des paris sur les titres que nous aimerions partager avec le plus grand nombre. C’est un équilibre à trouver. J’aime bien aller en salle pour voir jusqu’à quel point nous avons eu les bonnes intuitions.
C’est vrai que le plaisir de découvrir ou de revoir des films est un élément important de la Nuit des Studio, mais ce n’est pas le seul.
Non, l’ambiance joue beaucoup. Les spectateurs sont plus détendus, ils viennent vraiment pour s’amuser et partager un bon moment ensemble. Ce qui n’est pas incompatible avec une démarche cinéphile d’ailleurs, mais pendant les projections de la Nuit, nous voyons bien que l’enjeu n’est pas tout à fait le même. C’est particulièrement évident quand nous programmons un film comme le Rocky Horror Picture Show pendant lequel certains se permettent d’intervenir ou de chanter, au grand bonheur de leurs voisins qui, en d’autres circonstances, les auraient sans doute rappelés à l’ordre.
Après la programmation, il reste toute la partie organisation.
Là aussi, la diversité des personnes qui composent la commission est un atout fort. Les tâches se répartissent en fonction des souhaits et des compétences de chacun. Il y a tout ce qui concerne la communication, la rédaction des textes de présentation des films et de l’éditorial qui sera publié dans les Carnets, l’alimentation des réseaux sociaux et l’affiche dont la conception est confiée à un ou une graphiste. Sans oublier le teaser qui est réalisé bénévolement par Pierre Dubois depuis 4 ans. Un bel exploit quand on sait qu’il a moins de deux mois pour faire ce montage de présentation à partir des films que nous avons retenus. À côté de ça, il y a l’organisation pratique, la réservation, le transport et le stockage du matériel, la préparation de tout ce qui est mis en place en parallèle des projections — comme par exemple la vente d’affiches de films, très appréciée par les spectateurs — et évidemment la planification du montage et du démontage. L’installation commence dès le vendredi et le lundi, après la fête, il faut tout ranger. Heureusement que la commission peut compter sur le renfort des bénévoles, des associations présentes et des salariés. C’est vraiment un engagement collectif, un travail important qui demande beaucoup d’énergie et de disponibilité. Mais lorsque nous voyons les salles pleines et les mines ravies des spectateurs, quelle récompense !
Un coup de cœur de spectatrice pour finir ?
Quand je vois un film, j’ai souvent le réflexe de me demander s’il pourrait être programmé lors d’une prochaine Nuit. Le dernier film qui m’a vraiment enthousiasmée, c’est Perfect Days de Wim Wenders. Quand on est emporté par un film, on a envie de le soutenir, de le faire connaître et de partager le plaisir qu’on a pris à le voir. C’est le premier objectif de la Nuit des Studio : partager notre amour du cinéma.
*Au programme de la tout première Nuit des Studio (baptisée alors Nuit du cinéma) : Boulevard du Rhum de Robert Enrico, Le Grand sommeil d’Howard Hawks, Les Sept Mercenaires de John Sturges, Le Milliardaire de George Cukor, Tex Avery Follies (une sélection de films de Tex Avery), Ratataplan de Michele Nichetti, Les Derniers Jours de Pompéï de Sergio Leone et Mario Bonnard et Le Masque du démon de Mario Bava.
entretien réalisé par Olivier Pion
Cinéfil n°72 - Avril 2024