Le numérique... vaste sujet qu'il nous a paru essentiel d'aborder au détour de deux numéros de Cinéfil. Un sujet de poids de par ses enjeux technologiques et économiques (ceux qui nous intéressent ici ). La révolution du numérique a déferlé sur les écrans des cinémas français il y a quelques années et est en train de s'imposer partout. Hors du numérique, point de salut ! Dans les multiplex comme dans les petits cinémas de campagne.

    Au départ, l'équation n'était pas égale : gains d'argent substantiels pour les distributeurs, gains de qualité d'image pour les spectateurs, longtemps les exploitants des salles furent les perdants du système, réfractaires car l'endettement menaçait derrière cet équipement hors de prix (80 000 euros par écran). Depuis, une loi a été votée pour aider à l'équipement créant une contribution numérique des distributeurs et d'autres aides provenant de l'Etat se sont mises en place. Avec un peu de recul, nous avons décidé de faire le point avec les cinémas Studio, peu suspects d'angélisme naïf sur les bienfaits du numérique. Rencontre avec son directeur, Philippe Lecocq.

Aurélie Dunouau : Il y a quelque temps, installer le numérique s'apparentait à un chantier titanesque... Où en est-on au Studio ?

Philippe Lecocq : Les sept salles ont toutes été numérisées depuis fin juin 2011. La date choisie était stratégique : on a pu essuyer les plâtres cet été avec peu de films. Dans le même temps, on a conservé en double poste tous les 35 mm. Toutes nos salles sont donc équipées à la fois de numérique et d'argentique (ce qui n'est pas le cas des multiplex où on a jeté l'argentique).

AD : Quel coût a représenté la numérisation des salles ?

Philippe Lecocq : Cela a coûté une fortune. Un projecteur avec son équipement revient à 80 000 euros. Si on ajoute les adaptations pour la sécurité, les mises aux normes électriques,.., on monte à 100 000 euros. Faites le calcul, 7 salles à 100 000 euros, nous n'aurions pas pu financer nous mêmes. Nous avons cependant contribué à plus de 12 % de l'investissement.

AD : Cette contribution numérique a été votée en septembre 2010 par le Parlement français. Le système a-t-il fonctionné pour vous ?

Philippe Lecocq :  Il y a des hauts et des bas. En France, ce sont des organismes spécialisés qui regroupent des salles récupérant les contributions pour les redistribuer. Il s'agit d'organismes collecteurs. Nous avons signé avec Cinémascope (qui appartient au GNCR, le Groupement National des Cinémas de Recherche) qui récupère les contributions et les mutualise. Ainsi, les petites salles en profitent. Car, comme la contribution n'est versée que sur les sorties nationales (soit les deux première semaines d'exploitation), les petites salles de province se trouvaient fortement pénalisées. C'est la seule manière pour qu'elles ne coulent pas. C'est un système équitable. Pour le reste, un système d'aide à deux étages a été mis en place. D'une part, le financement par le Centre National de la Cinématographie (l'Etat). Nous récupérons une partie de la taxe sur les billets d'entrée pour faire des travaux dans les salles ou bien pour équiper nos salles. La région Centre a également participé à l'aide à la numérisation.

 

    D'autre part, et pour l'essentiel, l'argent est venu de la contribution numérique, versée par les distributeurs qui sont les premiers bénéficiaires de cette évolution. Aujourd'hui une copie numérique coûte le tiers d'une copie argentique. Le distributeur est donc gagnant. Le système d'aide mis en place, qui revient à impliquer les distributeurs, vient des Etats-Unis (appelé VPF c'est-à-dire les frais de copie virtuelles). Chaque copie projetée en sortie nationale donne lieu à une contribution du distributeur.

    Nous, aux Studio, on génère beaucoup de contributions numériques car nous avons beaucoup de sorties nationales. Avec la mutualisation, on aide les plus petites salles. Pour les Studio, cela revient à financer ainsi nos équipements numériques sur 10 ans, alors que sans le système de mutualisation ça aurait été achevé plus tôt ; mais ce système nous convient car il permet d'aider ceux qui en ont besoin.

AD : Vous avez le sentiment que les dispositions prises sont globalement bonnes ?

Philippe Lecocq : Oui. L'objectif qui était de conserver la totalité du parc de salles existant a été atteint. Ce n'est pas le cas en Allemagne où le choix a été fait de supprimer 1/3 des petites salles. En France, on a une politique du cinéma avec le CNC. La crainte, c'est la disparition à terme du CNC. (ses ressources sont en diminution). Avec le plafonnement des organismes collecteurs, les moyens vont donc se réduire.

(Suite de l'interview le mois prochain...)

Propos recueillis par Aurélie Dunouau