La tempête du numérique est passée par le Studio

    Le numérique... vaste sujet qu'il nous a paru essentiel d'aborder au détour de deux numéros de Cinéfil. Lors du précédent numéro, nous avons fait le point avec Philippe Lecocq, directeur des cinémas Studio, sur la transition numérique d'un point de vue économique (l'équipement des 7 salles a coûté au total 700 000 euros).

    Nous poursuivons ici son interview en nous intéressant aux bouleversements du numérique à plus long terme, la mort de la profession de projectionniste et les conséquences sur la diffusion et la conservation des films du patrimoine.

Aurélie Dunouau : La première conséquence du numérique est la disparition programmée du métier de projectionniste...

Philippe Lecocq : C'est une révolution. Le métier traditionnel de projectionniste s'est périmé en un an. Ce fut rapide. Le métier d'aujourd'hui n'a rien à voir. Il s'agit plutôt d'un travail d'informaticien. Avant, le projectionniste était debout avec sa pellicule. Aujourd'hui, il est assis derrière son ordinateur. Tout peut être piloté par informatique. On pourrait programmer la semaine à partir de simples boutons. Mais ce n'est pas la volonté des Studio.

A.D. : Est-ce la déshumanisation annoncée derrière le numérique ?

P.L. : Le numérique a tout de même besoin d'une présence humaine, notamment à cause des bugs informatiques. Notre conception aux Studio est d'offrir à terme au projectionniste, lorsque tout fonctionnera tout seul, la possibilité de se diriger vers d'autres tâches liées au cinéma. Par exemple, grâce au numérique, nous pouvons projeter nos propres annonces. Ce n'est pas de la publicité mais des annonces sur nos manifestations et animations comme nous l'avons récemment testé pour le ''ciné ptit-déj ''. Deux de nos projectionnistes vont se former au logiciel Photoshop pour créer de telles annonces.

A.D. : Les salles des cinémas Studio sont désormais toutes équipées en projecteur numérique mais au-delà de cette transition achevée, le numérique représente t-il un investissement permanent ou temporaire ?

P.L. : La durée de vie d'un projecteur numérique est d'une dizaine d'années. Mais sa mécanique devient obsolète au bout de 5 ans. Il nous faudra donc renouveler régulièrement le parc de projecteurs numériques. Il faut savoir qu'on a affaire à des marchands de soupe qui ont tendance à revendre du matériel plus tôt que prévu au prétexte de quelques innovations techniques qui souvent n'apportent pas grand chose à l'image ! Avant, ce n'était pas le cas lorsque les constructeurs d'appareils de projections étaient
spécialisés.

A.D. : Avec le numérique, quel devenir pour les films du patrimoine comme ceux de la Cinémathèque ?

P.L. : Toutes nos salles sont équipées à la fois de numérique et d'argentique, donc cela ne change rien pour la diffusion des films de la Cinémathèque. Nous conserverons nos projecteurs argentiques. Le problème qui se pose plutôt est celui de la conservation des films du patrimoine. Il était question un temps de numériser, mais cela coûte trop cher. La durée d'une copie numérique étant de 5 ans, il faudra retirer une copie tous les 5 ans pour les films que l'on souhaite conserver. Le coût d'une copie est ainsi multiplié par 30 par rapport à une copie argentique. La qualité d'une copie argentique est telle qu'on continue à retrouver des films dans des greniers que l'on peut restaurer. Avec le numérique, des films vont disparaître. Pour la conservation, on ne gardera que certains films remarquables. Une sélection sera faite.

Propos recueillis par Aurélie Dunouau

La tempête du numérique est passée par le Studio