2 – La cinémathèque française

    Le premier musée du cinéma d'Henri Langlois est inauguré le 26 octobre 1948 au 7, avenue de Messine sur trois étages. On y trouve l'original du contrat d'association entre Niepce et Daguerre, les plaques des lanternes magiques, le fusil ''chronophotographique'' de Marey, les bandes coloriées de Reynaud, l'énorme et menaçant "Sélénite" du "Voyage dans la lune" de Méliès, la tête coupée de Robert Houdin, les squelettes du Praxinoscope, du Phénakisticope, du Zootrope qui nous renseignent sur la paléontologie du cinéma.

    Dans la salle minuscule de projection, Truffaut rencontrera Godard, Rivette, Rohmer et Suzanne Schiffmann. Elle prend très vite des allures de salon culturel. A côté des étudiants on y remarque André Gide, Malraux, Braque et Fernand Léger. Les séances y sont parfois plus que pittoresques.

    Avant la projection d'un film suédois sans sous-titres Henri Langlois prévient qu'il a trouvé une personne pour le traduire, et ce quelqu'un est un chinois qui traduit le film en Mandarin. Les spectateurs s'amusent comme des fous. Parfois l'affluence y est telle qu'il y a des queues d'au moins deux cent mètres pour voir le film.

    Les coups de gueule entre Henri et Mary Meerson sont légendaires. Ce n'est plus la Cinémathèque Française, c'est la Comédie Française a dit un spectateur.

    A la fin du mois de janvier 1955 la presse annonce la vente de l'immeuble du 7, avenue de Messine. Le 1er décembre de la même année Langlois obtient grâce à Louis Cross directeur du musée pédagogique une salle plus confortable de 260 sièges au 29, rue d'Ulm. Ici les hommages aux grands cinéastes se suivent et la salle est de nouveau trop petite.
Parallèlement il organise quelques expositions prestigieuses au Palais de Tokyo. Dans l'une d'elle il exposera une immense photo de Louise Brooks à l'entrée du Palais. A un critique il dira cette phrase définitive: « Garbo n'existe pas, Dietrich n'existe pas, il n'y a que Louise Brooks » Il dira d'elle que « ceux qui l'ont vu en chair et en os ne peuvent l'oublier. Elle est l'interprète moderne par excellence car elle est comme les statues antiques, hors du temps »

    Puis de nouveau Henri Langlois doit déménager et après bien des complications administratives la Cinémathèque peut emménager au 82, rue de Courcelles. Sa rencontre au Festival de Cannes en 1959 avec André Malraux devenu Ministre d'État qui appréciait beaucoup le travail de Langlois va être déterminante; « Je ferais, dit à cette époque André Malraux, de la Cinémathèque Française la plus belle et la plus riche cinémathèque du monde »

    La rue de Courcelles est inaugurée en présence de Malraux et Langlois rend un immense hommage à Fritz Lang avec 22 films. Lang, présent, profondément ému par les applaudissements frénétiques et prolongés dira à Henri et Mary « Votre réception en mon honneur m'a profondément touché, puisqu'elle m'a prouvé que le dur travail qui a caractérisé toute ma vie, n'avait pas été effectué en vain ». Le témoignage de sa gratitude ne se fera pas attendre. Il adressera à la cinémathèque dix-neuf paquets de scénarios et de dessins qui viendrons enrichir le musée du cinéma de Langlois.

    Grâce à Malraux la cinémathèque va pouvoir disposer d'une nouvelle salle de projection au Palais de Chaillot. Les anciens sous-sols, ouverts sur les jardins et la Tour Eiffel sont aménagés. Les vastes halls qui entourent la salle de cinéma de 400 places vont servir pour les expositions. C'est ici qu'Henri Langlois va rapatrier son Musée du Cinéma enrichi grâce aux dons des cinéastes qui le soutiennent de quantités incroyables de décors, de maquettes et d'objets divers et variés. L'être androgyne de "Metropolis" côtoie les décors de "Caligari", les robes somptueuses de Gloria Swanson, les tenues des Chevaliers Teutoniques d'Aleksander Ford, les inventions d'Etienne Jules Marey, les décors de Méliès etc......
Le lieu est inauguré le 5 juin 1963 avec un hommage à Charlie Chaplin suivi d'une grande rétrospective du cinéma américain, puis du cinéma japonais. Les collections de films arrivent de partout dans le monde.

    Tous les grands cinéastes américains, anglais, allemands, scandinaves, japonais, russes, italiens, espagnols et bien sur les français, les anciens et les nouveaux, ceux de la Nouvelle Vague, offrent une copie de leurs films à la Cinémathèque Française.

    A chaque fois que cela est possible Langlois demande le négatif original car seul celui-ci peut assurer la survie dans toute sa beauté de l'œuvre cinématographique. Un autre défi et de taille se présente a Langlois.

    La production des films depuis son origine avec les films Lumière et ce jusqu'à 1950, tournée en 35 mm, a été tirée sur un support à base de nitrate de cellulose. Si ces films présentent d'excellentes qualités optiques, ils ont la propriété d'être hautement inflammables. Ils peuvent s'enflammer spontanément sous l'effet d'une chaleur supérieure à 40°, et même ''exploser'' s'ils sont réunis en trop grande quantité. De plus les films nitrates commencent leur autodestruction dès la fin de leur fabrication. Aussi même conservés dans de bonnes conditions ils ne cessent de se décomposer pour aboutir a leur mort chimique. Dans le meilleur des cas, surtout pour les films du début du cinéma leur longévité pouvait atteindre 70 ans guère plus. Aussi Henri Langlois, profitant de l'amélioration de la technique, en faisait-il tirer des contretypes d'une qualité exceptionnelle.

    A Chaillot Langlois assure près de 2000 programmes par an. C'est considérable. Ça marche tellement bien qu'il attire les jalousies d'autres cinémathèques comme celle de Toulouse, et de certains partenaires de la FIAF. Dans un premier temps on fabrique de faux documents pour l'accuser d'avoir fait du business à la cinémathèque; d'avoir voulu "voler "des films, de les mal conserver etc.....

    Il parvient cependant à être lavé de toutes ces accusations. Son frère Georges Patrick, avocat et fidèle des fidèles, s'y emploie beaucoup;

    Alors l'arme absolue tombe : le contrôle du fisc par le ministère des finances. Puis André Malraux qui l'avait soutenu le lâche. Il va être licencié pour mettre à sa place un homme obscur Barbin. L'affaire Langlois éclate en 1968. Toute la Nouvelle Vague, Truffaut, Godard, Chabrol, en tête le soutiennent, puis les anciens : Renoir, Carné, les italiens : Rossellini, Comencini, le japonais Akira Kurosawa, l'Indien Satyajit Ray, ainsi que le grand staff d'Hollywood : Charlie Chaplin, Fritz Lang, Otto Preminger, King Vidor, Alfred Hitchcock, Arthur Penn et beaucoup d'autres. Des lettres arrivent sur le bureau du ministre : "Si vous ne réintégrez pas Langlois dans ses fonctions nous retirons tous nos films".

    L'état va comprendre sa bourde et Langlois reprend le contrôle de la cinémathèque.

    Sa lutte acharnée pour montrer et conserver les films se poursuivra jusqu'a sa mort en 1977.

Lionel Tardif

(A suivre)