Aucun autre cinéaste avant lui n'avait poussé aussi loin les recherches dialectiques entre l'image et le son, sur leur conjugaison pour atteindre des lieux jamais encore explorés.

    « Il n'y a qu'un point dans l'espace d'où une chose demande à un certain moment d'être regardée » disait Bresson. Ses recherches théoriques sur le cinéma n'ont eu qu'un seul but : saisir la libération d'une Âme captive et nous entraîner avec elle sur le chemin qui nous mène à la grâce.

    Ce sera vraiment avec "Le journal d'un curé de campagne" que pour la première fois l'univers de Bresson éclate à la face de l'histoire du cinéma. Ses films d'avant n'en étaient encore que des brouillons. Avec ce film commence en profondeur l'aboutissement de son travail avec l'acteur. «Un acteur» dit Bresson « est une matière brute qui ne sait même pas ce qu'elle est et qui doit nous livrer ce qu'elle ne voulait livrer à personne. L'acteur se projette au dehors alors qu'il faut projeter au dedans » C'est pourquoi il va rechercher le plus souvent des inconnus non-acteurs utilisés comme des petits extraits de couleurs posés sur une palette qui savamment mélangés feront jaillir sur la toile cinématographique une création nouvelle faite pourtant de chair et de sang.

    Dans " le journal d'un curé de campagne " et tout en respectant l'œuvre de Bernanos à la lettre il débouche sur ce quelque chose d'autre, sur la saisie d'une Âme.

    Il faut que l'être humain soit dans la souffrance pour que cette mise à nu s'opère. Le chemin qu'emprunte le curé d'Ambricourt est celui du chemin de Croix. Chaque séquence en est une station.

    Dans une analyse remarquable en son temps André Bazin note les analogies christiques qui abondent : « les deux évanouissements dans la nuit, la chute dans la boue, les vomissures de vin et de sang où se retrouvent, dit-il, dans une synthèse de métaphores bouleversantes, les chutes de Jésus, le sang de la Passion, l'éponge de vinaigre et les souillures des crachats ».

    Le dialogue monocorde relayé par la voix off a ici tout son sens. Le mouvement dans la scène entre le curé d'Ambricourt et la Comtesse au sujet du médaillon qui débouche sur l'indicible et la Grâce, ne peut être obtenu que par ce travail si particulier avec l'acteur et aussi par l'utilisation exceptionnelle de l'espace sonore. Il n'y a rien d'autre dans cette scène que ces voix hors du temps et rien qui ne repose sur la psychologie. « Seulement, dit encore Bazin, la rigueur irrésistible du dialogue, sa tension croissante puis son apaisement final nous laissent la certitude d'avoir été les témoins privilégiés d'un orage surnaturel ». Le son ne vient pas ici compléter ce que nous voyons mais le renforcer, le multiplier.

    Quant au texte de Bernanos, il progresse avec force presque indépendamment des plans ; si bien qu'à la fin, à son intensité maximum, l'image devient blanche et que lui seul se poursuit sur une image vide. Dans ce film Robert Bresson s'affirme comme le grand peintre de l' Âme humaine au cinéma.

    « Parlez comme vous vous parlez à vous même car seules les Âmes peuvent communiquer » dira souvent sur le tournage Bresson à son acteur Claude Laydu qui sortira totalement brisé de ce film.

    « La seule façon pour nous, disait-il encore, de suivre la réalité est de relier les regards. Eux seuls à chaque instant peuvent nous en donner les clés ».

    Pour Bresson la prison la plus impénétrable est à l'intérieur de nous et pourtant c'est de là qu'il faut trouver, éveiller, et libérer l'Âme. Pour cela il faut passer par une épreuve. Ce sont ces moments si rares qu'il faut capter à travers elle pour que la créature rejoigne son créateur.

    Participer à cette libération est à mes yeux le sens le plus élevé de la création

Lionel Tardif