La marche vers l'éveil

S'il est une personnalité incontournable dans le milieu du cinéma tourangeau, alors le nom de Lionel Tardif s'impose. Directeur du centre culturel du Beffroi avant de fonder et diriger la Cinémathèque pendant plus de 30 ans, il fut aussi un acteur clé de festivals comme les rencontres Henri Langlois, hier à Tours, aujourd'hui à Poitiers, ou encore Les rencontres internationales des films du patrimoine de Vincennes.

Lionel Tardif sera de « retour » à la Cinémathèque de Tours le 28 mai où une rétrospective de trois de ses films sera présentée, en sa présence. L'occasion pour nous de nous intéresser à un aspect moins connu de son parcours richissime : ses débuts au cinéma en tant que réalisateur et ses films de création documentaire dirigés sur l'Orient.

Aurélie Dunouau : Comment sont nés vos premiers pas de réalisateur ?

Lionel Tardif : C'était avant la Cinémathèque, à mon retour de la guerre d'Algérie, à 22 ans. J'avais été initié justement à l'armée par un gars des Cahiers du cinéma qui m'a parlé de réalisateurs comme Joseph Losey et m'a fait abonner. L'envie de cinéma était là en revenant. Je me suis d'abord investi dans les Rencontres Internationales du Festival du Court-Métrage à Tours où j'ai rencontré beaucoup de gens et c'est comme ça que j'ai été amené à faire mes premiers films, qui étaient des films indépendants, avec des copains qui m'aidaient en mettant un peu de sous dans mes films. Mon premier producteur fut Alain Bonnet.

A.D. : Premier film sorti sur les écrans en 1967 La Fouine qui sera présenté par la Cinémathèque le 28 mai. (N.B. en fin d'article)

L.T. : Le film était coproduit par l'ORTF, il est passé dans divers festivals, et l'acteur principal est une haute figure tourangelle, Guy Renard. C'est l'histoire d'un braconnier qui voit petit à petit son univers détruit par des bulldozers construisant des HLM. Ce premier film a permis au directeur de la photo, qui était Philippe Petit, de rentrer à France 3 et d'y faire sa carrière.

A.D. : Votre 2ème film Le Matin d'Elvire (1969) sera également au programme. C'est encore un scénario original, tourné avec votre réseau d'amis tourangeaux ? (N.B. en fin d'article)

L.T. : Oui, et parmi les acteurs, il y avait une figure de théâtre à Tours, Patrick Collet, qui a dirigé ensuite le théâtre de La Rochelle. Ce film d'une durée de 23 minutes était distribué dans les salles dans les 1ères parties, avec un film d'André Cayatte, qui connu un certain succès à l'époque, qui s'appelait Mourir d'aimer. Il faut savoir que je faisais ces films tout en bossant à l'usine, dans un laboratoire de produits chimiques.

A.D. : Faire des films représentait donc pour vous quelque chose d'épisodique ?

L.T. : À l'époque, je m'investissais dans des cinés-clubs de quartiers, notamment au Sanitas, puis je me suis épanoui pendant 20 ans dans ce magnifique centre culturel du Beffroi et à la Cinémathèque. J'étais tellement passionné par ce que je faisais que je n'avais pas le temps de guetter les occasions pour faire d'autres films. En 1972, paraît mon 3ème film, toujours écrit par mes soins, La maison du départ (25 min). On y trouve 2 figures tourangelles de l'époque André Sellier qui dirigeait le centre dramatique, et l'acteur principal Gérard Pierron, chanteur de la Loire. Ce film était distribué dans les salles également en 1ère
partie et a remporté le label de qualité du CNC.

A.D. : Les années passent et vient votre 1er film tourné à l'étranger, une nouvelle aventure qui commence... (N.B. en fin d'article)

L.T : En 1985, La danse du Shiva, avec une belle figure tourangelle Manoshahaya, qui a fait carrière. Ce coup de cœur de l'Inde je l'avais eu à travers sa culture au Beffroi ; lors de spectacles sur les arts traditionnels du monde entier, j'avais été fasciné par la culture indienne. C'est un film tourné sur les lieux même de la danse, dans un temple du sud de l'Inde. Puis, 10 ans après, j'ai tourné encore en Inde, Chemins de gloire en Inde , un film de reportage tourné dans l'ashram de Pondichéry et sur la ville future d'Aurouville, un laboratoire humain.

A.D. : Après l'Inde, l'Oman...Comment vous êtes vous retrouvé sur ce projet singulier ?

L.T. : Sept voyages en Oman est un documentaire de création de long métrage tourné en 2003 au sultanat d'Oman. Il se trouve que depuis les années 2000, l'université François Rabelais est jumelée avec l'université de Mascate, la capitale de l'Oman. À travers ces échanges d'étudiants s'était créée à Tours une association France -Oman chargée de développer les relations avec le pays. Le président tourangeau de l'association, Paul Olivier, un ami, est venu me voir à la Cinémathèque et m'a lancé l'idée de tourner un film là-bas car la télé était peu développée et le pays avait besoin de se faire connaître. Il m'a présenté l'ambassadeur à Paris puis je me suis retrouvé à Mascate. On m'a baladé pendant 3 semaines dans tout le pays et j'ai écrit un scénario qui présente les différents aspects du pays depuis ses origines, une cité disparue dans les sables, les lieux sacrés, la route de l'encens, les bédouins, les constructions navales à l'ancienne, ...jusqu'à l'ère moderne. En 2009, le ministère de l'information de l'Oman débloque de l'argent et je tourne Mascate l'élan et la grâce que je présenterai à la Cinémathèque le 28 mai.

C'est un documentaire de création de 46 minutes qui raconte le voyage du sultan qui, chaque année, va consulter directement son peuple. C'est quand même un exemple de démocratie dans un pays arabe, et le sultan est un sage. Ce 2ème film sur Oman, qui traite aussi de la navigation et des bédouins, je l'ai abordé avec un regard plus poétique et beaucoup plus de liberté de création.

Ce film a été acheté par le ministère des affaires étrangères français pour le faire circuler dans les ambassades et il est en lecture à France Télévisions.

A.D. : Aujourd'hui, sur quoi travaillez-vous ? Vous avez des projets de films ?

L.T. : Aujourd'hui, faire des films ''plan-plan'' , même bien faits, ça ne m'intéresse pas. J'ai besoin d'une réflexion philosophique, profonde. C'est pourquoi j'ai organisé deux symposiums holistiques (« L'homme et la conscience planétaire » en 1988 au château d'Artigny puis à l'abbaye de Fontevraud) qui réunissaient des scientifiques, sociologues, philosophes...pour réfléchir sur la marche de l'humanité.

Avec cette réflexion et le projet de film que j'ai en cours sur les Baha'is, je me retrouve. Les BAHA'IS, naissent d'une foi qui a vu le jour en Iran au XIXème siècle et c'est une communauté de 5 millions de gens répartis dans tous les pays du monde. Leur particularité c'est qu'ils ont mis en place une forme de démocratie, de gestion des finances, d'éducation que beaucoup pourraient prendre en exemple aujourd'hui.

Propos recueillis par Aurélie Dunouau

Nota bene : interview réalisée avant le 28 mai ; pour des raisons techniques et administratives, les courts-métrages « La Fouine » et « Le Matin d'Elvire » ont été remplacés par « La Danse de Shiva ».