La passeuse de Lumière

    Elle est une des plumes de Cinéfil. Depuis 2 ans, elle y écrit sur l'histoire du cinéma, parle de ses films coups de cœur choisis parmi la programmation de la Cinémathèque pour nous en dévoiler les sens cachés et les mises en perspectives. Une inclination pour les films du patrimoine (films muets et réalisme en particulier) et une plume érudite qui cachent son jeune âge, seulement 22 ans.

    Pétillante et brillante jeune femme tourangelle, elle sait ce qu'elle doit à ceux qui l'ont initiée – ses parents et Louis D'Orazio – et veut à présent transmettre à son tour !

    Elle présentera deux soirées cinémathèque cette saison.

Aurélie Dunouau : Une toute jeune femme qui s'intéresse à l'histoire du cinéma. Surprenant d'une certaine manière...

Manon Billaut : J'ai commencé jeune à aller à la Cinémathèque, d'abord au Studio avec mes parents cinéphiles qui m'ont transmis cette passion. J'ai été très marquée par Le voleur de bicyclette de De Sica que mes parents m'ont emmenée voir à la Cinémathèque. Je me suis rendu compte que je pouvais aimer ces films en noir et blanc ! J'y suis ensuite allée tous les lundis quand j'ai commencé l'option cinéma au lycée Balzac. Il y avait très peu de jeunes qui allaient voir ces films. Aujourd'hui avec les partenariats menés avec le lycée Balzac et l'Ecole des Beaux-Arts, la salle s'est renforcée de jeunes, mais il faudrait encore plus arriver à leur montrer l'intérêt des films du patrimoine !

Cinéfil, d'une certaine manière, permet cela, en menant une réflexion sur les films projetés, en créant des liens, des dialogues et en laissant une trace.

A.D. : Quel parti prenez-vous pour construire vos articles diffusés dans Cinéfil ?

M.B. : J'aime bien l'idée d'un retour sur les films, même après qu'ils aient été diffusés. Donc je prends toujours les films de la programmation comme point de départ. Après on peut analyser le film lui-même mais aussi le genre cinématographique auquel il se rattache, comme je l'ai fait pour Lubitsch l'an dernier en comparant les comédies américaines et italiennes par exemple. Prochainement pour Le Dernier des hommes de Murnau, je vais expliquer ce qu'est l'expressionnisme allemand.

A.D. : Cette année, vous prenez « du grade » en présentant pour la première fois des soirées à la Cinémathèque.

M.B. : Agnès Torrens m'a fait le plaisir de me le proposer, sur le conseil de Louis D'Orazio qui fut mon professeur d'option cinéma au lycée Balzac et qui est spécialiste du cinéma italien. Il m'a beaucoup aidée ces deux dernières années car j'ai écrit un mémoire sur les rapports entre le documentaire et la fiction dans le cinéma muet italien, et j'ai passé pour cela un semestre Erasmus à Rome. C'est ainsi que le 15 octobre je présenterai une soirée, deux films. Assunta Spina (1915) de Gustavo Serena, le plus grand film muet italien qui a perduré dans la mémoire italienne. Puis Nozze d'Oro (1912) de Luigi Maggi, un film très rare dont la copie vient d'être retrouvée.

Il me plaît de voir le retour du public, comment ces films seront reçus. Mais je ne m'inquiète pas, si on aime le néoréalisme italien, on aimera forcément ! Je présenterai ensuite Le Jeudi de Dino Risi en mars.

A.D. : Vous poursuivez des hautes études sur le cinéma. Quels sont vos projets ?

M.B. : Aujourd'hui, je prépare un doctorat, toujours à La Sorbonne Nouvelle-Paris 3, sur un réalisateur français méconnu, André Antoine, dont la cinémathèque de Tours a déjà projeté des films. Je travaille toujours sur le réalisme cinématographique et on dit même qu'André Antoine aurait lui aussi inspiré le néoréalisme italien ! Il a d'ailleurs tourné un film en Italie en 1919. Je mène tout un travail sur les archives, ça me passionne. Il y a beaucoup de ressources à Paris à la BNF, à la BIFI de la Cinémathèque Française, mais également à Tours, à la bibliothèque des Studio qui dispose d'une exceptionnelle collection de revues. J'y vais souvent pour travailler et tout y est accessible, mais c'est dommage car elle est peu fréquentée.

Mes projets ? J'aimerais devenir enseignante-chercheuse ou bien commissaire d'exposition, travailler sur des collections dans une cinémathèque, même si les poste sont rares.

A.D. : On sent chez vous une passion évidente pour l'histoire du cinéma et une envie de transmettre. Que diriez-vous à des jeunes pour les convaincre d'aller voir des films du patrimoine ?

M.B. : Quand je suis arrivée dans l'option cinéma du lycée Balzac, on décortiquait les films, en essayant de comprendre tout le fonctionnement d'une scène. Au début j'étais surprise, j'aurais préféré rester dans la magie du cinéma. Puis finalement, j'ai découvert, en étudiant en cours L'Amour existe de Pialat notamment, que le cinéma pouvait nous faire voir et même prédire des choses de notre vie quotidienne. En regardant des films, on pose un autre regard sur le quotidien, et même à d'autres époques, dans d'autres civilisations. On peut adopter un regard historique, anthropologique sur les films, et cela nous informe sur le monde dans lequel on vit, et celui dans lequel d'autres ont vécu avant nous.

Et même un film muet en noir et blanc peut nous apprendre beaucoup et nous émouvoir !

Propos recueillis par Aurélie Dunouau