Cerné par la critique

    Le 1er octobre dernier, la cinémathèque recevait Serge Bourguignon, réalisateur oublié mais auréolé d'un oscar en 1963 pour Les Dimanches de Ville d'Avray. C'est ce film à l'histoire singulière, gros succès au box office mais lynché par une partie de la critique parce qu'il a eu la malchance de faire concurrence à la Nouvelle Vague, qui fit de Serge Bourguignon lui-même un personnage de cinéma en lui conférant, sur un scénario quasi hollywoodien, un destin de réalisateur maudit. Qui plus est, Serge Bourguignon est un conteur né, un homme délicieux qui mêle à merveille le récit des faits et anecdotes, le tout teinté de VO en langue anglaise, alors forcément il nous a embarqués dans son histoire.

Aurélie Dunouau : Les Dimanches de Ville d'Avray est un film oublié alors qu'il a obtenu l'oscar du meilleur film étranger en 1963. Pourquoi reste-t-on sur l'impression d'un film qui n'a pas marché en France ?

Serge Bourguignon : Pourtant, je crois que c'est le film qui a le plus marché de l'année, avec 1.8 millions d'entrées, ce qui était colossal pour l'époque.

    En fait, le film a été puni par la Nouvelle Vague, que moi j'appelle la bande à Godard. La même année est sorti Jules et Jim et c'est moi qui ait tout récolté, l'Oscar du meilleur film étranger, le grand prix du festival de Tokyo, un prix à Venise...A chaque fois Jules et Jim est arrivé derrière et ils ne m'ont pas pardonné. Les cinéastes sortis, comme moi, de l'IDHEC, étaient mal vus en général.

    Vous savez, le film a failli ne pas sortir après son succès à Venise. Siralsky, un distributeur qui faisait la loi à l'époque m'a répondu : « Vous avez un film trop intellectuel pour le grand public et trop sentimental pour les intellectuels ». J'étais assis le cul entre deux chaises. J'avais écho des critiques des Cahiers du Cinéma, qui ne voulaient pas que le film sorte. Un ou deux mois après, lassé d'attendre, mon distributeur américain le sort. Et là ça a été l'explosion du jour au lendemain. Il y avait mille personnes autour du pâté de maison alors qu'il pleuvait, fait inhabituel.

    C'était grâce à la critique du New York Times, après la projection du film. Lors de la soirée organisée après le 1er jour de projection, Richard Davies, du NYT s'est mis à bondir comme un fou «Listen, listen » et a commencé à lire la critique : « Seul le ciel pourra nous dire pourquoi New-York a été récompensé par la sortie d'un chef d'œuvre du cinéma français ». Du jour au lendemain, ce fut un succès. Alors que je n'étais pas connu là-bas... il n'y avait pas de vedettes...

    Et puis les journaux français ont repris, ça a fait la couverture et 4 pages dans France-Soir, Siralsky a immédiatement téléphoné au producteur et j'ai enfin trouvé une date de sortie, à Noël, salle du Marignan. Là encore, miracle, le mercredi à midi il y avait déjà la queue... 6 pages dans Paris Match ! Ce film a touché beaucoup de gens. C'est seulement suite au succès américain qu'il est sorti à Paris.

A.D. : Ce film aborde un sujet délicat, la relation entre un homme et une petite fille de 12 ans. Pourrait-on faire un tel film aujourd'hui ?

S.B. : Je n'en sais rien. Déjà à cette époque-là, il y avait des polémiques. J'avais participé à New York à une table ronde avec des psychanalystes qui disaient que de toute façon le personnage principal cherchait à se faire punir et mourir inconsciemment. Au contraire pour moi, c'est très clair, dans le film il dit subitement « Je n'ai plus le vertige » après sa chute en avion. Quelques-uns comme moi voyaient une histoire très pure et d'autres disaient qu'il allait finir par tuer l'enfant. Maintenant avec de telles histoires sur les gosses, je pense que ça serait plus difficile, et c'aurait peut-être fait un scandale à sa sortie.

A.D. : Votre rapport fut pour le moins compliqué avec la Nouvelle Vague. Est-ce que ça vous a pénalisé, empêché de faire des films ?

S.B. : C'est évident. Parce que d'abord ils ont fini par me faire une réputation. Ils avaient tous envie de tourner à Los Angeles et j'ai tourné « The Reward » (La récompense 1965) à Los Angeles avec un luxe de moyens, dans le désert, à cheval, avec Natalie Wood, que j'avais connu à la projection des Dimanches. Elle était en pleurs après la projection, je l'ai pris dans mes bras et c'est comme ça qu'on a fait connaissance. Elle préparait un film et elle m'a dit « je ne le fais que si Serge Bourguignon le dirige. »

    The Reward, c'était fifty fifty. Il a été démoli par la moitié de la critique française. Quand je l'ai revu, j'ai trouvé que c'était un film bizarre, il a toutes les apparences d'un western, mais pour moi c'était une tragédie grecque.

    A mon retour à Paris après l'Oscar, Jean Douchet, pilier de la critique, pas du tout agressif, tout comme Chabrol qui est devenu un copain, m'a dit : « Tu pourras te vanter d'en avoir empêché quelques-uns de dormir ».

    Mon film était dans la tradition du cinéma français tout en étant de la génération de la Nouvelle Vague et en ayant un scénario culotté : ça les dérangeait. J'allais à l'encontre des gens décalés qui faisaient des films pas chers entre copains.

    C'était personnel, il y avait vraiment deux camps. Louis Malle aussi était ostracisé au début, car il sortait de l'IDHEC. Le seul qui en sortait et trouvait grâce à leurs yeux était Alain Resnais mais il avait dix ans de plus que nous donc il n'était pas en compétition avec eux. Plus les Cahiers du Cinéma avaient une influence mondiale, plus j'ai été pénalisé. Le film a fait une carrière énorme puis après, il est tombé dans l'oubli. Sauf à la Cinémathèque française à l'époque de Langlois.

A.D. : Qu'avez-vous fait depuis ? Vous tournez toujours ?

S.B. : En ce moment je fais un film sur un cheval. J'ai deux projets magnifiques mais c'est plus facile pour des jeunes gens que des gens comme moi avec leur histoire qui ont le destin de René Clément qui ne pouvait plus tourner tellement il a été démoli alors qu'il était en pleine force de l'âge et avait du talent.

    Mon dernier film qui date de 1978 « Mon royaume pour un cheval » est un hommage tourné un peu partout dans le monde, en Afghanistan notamment. J'ai aussi fait un film confidentiel pour une fondation américaine sur le Livre des Morts Tibétains...pas sorti. Un portrait du Dalaï-Lama également.

Propos recueillis par Aurélie Dunouau

Cinefil N° 18 - Octobre 2012