Bien que la production marocaine y soit restée à un faible niveau (2 ou 3 films par an) cette décennie 70 allait s'exonder et faire connaître et reconnaître son cinéma à travers quelques réussites, découvertes dans différents festivals européens :

  • Les Mille et une mains de Souheil Ben Barka (1972)
  • El Chergui ou le silence violent de Moumen Smihi (1975)
  • La guerre du pétrole n'aura pas lieu de Souheil Ben Barka (1975)
  • Des jours et des jours de Ahmed El Maânouni (1978) (présenté au Festival de Cannes)
  • Mirage de Ahmed Bouanani (1979)

    Non seulement ces films sont des œuvres d'auteurs mais elles révèlent surtout de véritables cinéastes issus soit de l'IDHEC parisien ou des télévisions françaises ou italiennes.

    La décennie 80 va confirmer cette évolution et la production marocaine passer à quatre ou cinq films par an. Il sera créé le Festival de Rabat. Le CCM (*) apporte à présent un soutien financier réel aux productions nationales et ne se contente plus de faciliter les tournages étrangers. Les thèmes traités vont évoluer vers des préoccupations plus directement en prise sur la vie quotidienne : difficultés des petites gens, statut des femmes, problèmes de la jeunesse... mais la religion demeure un ''tabou'' infranchissable.

    Quelques œuvres importantes vont ainsi voir le jour :

  • Poupée de roseau de Jillali Ferhati(1981)
  • Transes de Ahmed El Maânouni (1981),fort succès populaire que remarqua Scorsese qui leprésenta à Cannes en 2007,
  • Le coiffeur du quartier des pauvres de Mohamed Reggab (1982),
  • Le grand voyage de Mohamed Abderrahmane Tazi (1982),
  • Aisha de Jillali Ferhati (1982), Zelt de Taïb Saddiki (1984),
  • Hadda de Mohamed Aboulwakar (1984),
  • La compromission de Latif Lahlou (1986),
  • Badis de Mohamed Abderrahmane Tazi,
  • Une porte sur le ciel de Farida Benlyazid (1989).

    La situation politique des années 90 n'apportera rien de nouveau, le royaume étant soumis à des mouvements religieux et à des tergiversations liées à l'évolution de ses voisins directs. Bien que la production ait un peu augmenté (il est produit une dizaine de films par an) les thèmes abordés, toujours soumis au comité de censure, perdent une partie de leur valeur artistique en sacrifiant trop souvent aux impératifs purement commerciaux.

    On peut cependant remarquer :

  • La plage des enfants perdus de Jillali Ferhati (1991)
  • Un amour à Casablanca de Abdelkader Lagtaâ (1992) qui obtint un gros succès commercial dans son pays.
  • A la recherche du mari de ma femme de Mohamed Abderrahmane Tazi (1994)
  • Adieu forain de Daoud Aoulad Syad (1998)
  • Ruses de femmes de Farida Benlyazid (1999)

    Il ne fait aucun doute qu'un vent nouveau souffla sur les intellectuels marocains après la mort d'Hassan II et sa succession par Mohamed VI. Le carcan étatique qui régnait jusqu'alors dans le pays commença à se dissiper et de nouvelles sources d'inspiration se répandirent dans le monde des artistes, entre autres chez les cinéastes où quelques femmes apparaissent. Bien qu'en fait les systèmes de production n'aient quasiment pas évolués, un certain esprit de liberté, qui commençait à se répandre, permit de plus grandes prises de risques tant pour les auteurs que pour les producteurs. De nombreux films voient le jour grâce à des co-productions avec la France bien sûr, mais aussi la Belgique, l'Allemagne, Les Pays-Bas etc. Les femmes se font de plus en plus présentes parmi les cinéastes. De plus, les distributeurs commencèrent à diffuser les films dans les circuits commerciaux européens (et toujours dans les festivals) offrant à quelques réalisateurs des retombées médiatiques et financières appréciables.

    Ce sera le cas entres autres de :

  • Tresses de Jillali Ferhati (2000)
  • Soif de Saâd Chraïbi (2000)
  • Ali Zaoua prince de la rue de Nabil Ayouch (2000)
  • Le cheval de vent de Daoud Aoulad Syad (2001)
  • Les yeux secs de Narjiss Nejjar (2003)
  • Tarfaya de Daoud Aoulad Syad (2004)
  • L'enfant endormi de Yasmine Kassari (2004)
  • Tenja de Hassan Legzouli (2004)
  • A Casablanca les anges ne volent pas de Mohamed Asli (2005)
  • Marock de Leïla Marrakchi (2005)
  • Les cœurs brûlés d'Ahmed El Maânouni (2007) récompensé dans plusieurs festivals : Tanger, Oran, Dubaï.
  • En attendant Pasolini de Daoud Aoulad Syad (2007)
  • Française de Souad El-Bouhati (2007)
  • What a Wonderful World de Faouzi Bensaïdi
  • Amours voilées de Aziz Salmy (2008)
  • Casanegra de Nour-Eddine Lakmari (2009)
  • Nos lieux interdits de Leïla Kilani (2009)
  • Number One de Zakia Tahiri (2009)
  • La mosquée de Daoud Aoulad Syad (2010)
  • Femmes en miroirs de Saâd Chraibi (2011)
  • Fissures de Hicham Ayouch (2011)

    Le cinéma marocain des années 2000 se révéla d'une grande richesse esthétique, sans doute liée à la diversité issue des formations de ces cinéastes : Paris, Lodz, Moscou, Rome... Il devient possible à ce moment de traiter les problèmes inabordables jusqu'alors : la répression politique des années 70 (La chambre noire de Hassan Benjelki), l'exode des populations juives (Où vas-tu Moshé de Hassan Benjelloun), l'intimité du couple (Les jardins de Samira de Latif Lahlou), la délinquance juvénile (Sur la planche de Leïla Kilali)...

    C'est aussi en 2001 que sera créé le festival international de Marrakech qui a depuis acquis une réputation mondiale (grâce au soutien du Roi) et en 2007 la Cinémathèque de Tanger qui travaille avec la plupart des Cinémathèques d'Europe dont celle de Paris bien évidemment. Outre Tanger en 2005, plusieurs autres festivals de cinéma entretiennent une cinéphilie appréciée des intellectuels marocains : Salé (Films de femmes), Meknès (animation), Agadir (documentaire), Tiznit (Courts-métrages)...

    La production marocaine atteint une vingtaine de films par an.

    Bien entendu les tournages étrangers n'ont pas cessé d'alimenter les caisses du royaume d'autant que de magnifiques studios seront construits à Ouarzazate, aux portes du désert, ce qui permettra au Maroc d'accueillir les équipes des films : Le diamant du Nil, Tuer n'est pas jouer, La dernière tentation du Christ, Un thé au Sahara, Kundun, La Momie, Gladiator, La Chute du Faucon noir, Alexandre, Kingdom of Heaven, La colline a des yeux, (version 2006), Les chemins de la liberté, et bien d'autres encore, moins connus internationalement.

    Les habitants sont généralement très fiers de montrer les décors construits aux touristes, c'est dire à quel point il s'agit là d'une activité très importante pour l'économie du pays. De plus, avec des objectifs purement mercantiles, se construit un grand espace commercial consacré au cinéma auprès de Marrakech : Le Morocco Film City qui doit regrouper espace touristique, hôtels, salles de spectacle, commerces, tout un ensemble destiné à attirer les touristes du monde entier. Mais hélas il s'agit là d'un trompe-l'œil car, comme dans tous les pays africains, la diminution du nombre de spectateurs est indubitable et les salles de cinéma ferment les unes après les autres, concurrencées par la télévision, la diffusion des Vidéos, DVD et autres procédés de reproduction et surtout le piratage institutionnalisé. Le nombre de salles en 2008 au Maroc n'était plus que de 80 sur les 350 de 1960.

    Espérons que la création cinématographique survivra à cette hémorragie (peut-être grâce à la télévision) et que les espérances portées par ces jeunes créateurs ne resteront pas à l'état de velléité.

(*) Centre Cinématographique Marocain

Alain Jacques Bonnet

Cinefil N° 18 - Octobre 2012