Préambule :

    La guerre de 14/18 a pris fin. Le monde en sort traumatisé par les huit millions et demi de morts dont un million et demi de Français.

    Les survivants restent choqués, impitoyablement marqués par la grande boucherie. Les valeurs traditionnelles du XIXème siècle établies par les dynasties royales et le clergé sont ébranlées et seuls, les grands industriels échappent à la nausée collective.

    A l'est, la révolution bolchevique suscite d'immenses espoirs chez certains, l'effroi chez d'autres. Mais chaque Français, chaque Allemand, chaque Soviétique, chaque Britannique, n'aspire plus pour un temps, celui de la décennie des années 20, qu'à la paix et à la joie de vivre.

    Cette soif de vivre, cet espoir retrouvé engendre une effervescence incroyable dans tous les domaines. Au plan social et économique, les pays vainqueurs connaissent une certaine euphorie ; le monde rural reprend vie, l'industrie repart, les banquiers prêtent. Les vaincus, eux, cultivent leur humiliation et s'efforcent de suivre le mouvement : l'extrême droite revancharde ne s'épanouira que dans la décennie suivante.

    Dans le domaine artistique, les années 20 seront éblouissantes tant au niveau de la recherche scientifique et philosophique (Bergson, Freud, Heidegger) qu'artistique (en musique : Schoenberg, Stravinsky, Ravel, en danse : Djaghilev, en peinture : les surréalistes, les constructivistes, en littérature : Gide, Joyce, Kafka, Mann...).

    Le cinéma n'échappe pas à la règle. Depuis le début de la guerre les productions US sont prépondérantes (80% du marché) et sont diffusées dans toute l'Europe, à l'arrière du front, bien évidemment. Cela aura une conséquence imprévue : le fait que les soldats de tous les pays, qui venaient pour la grande majorité du monde paysan, voire des colonies, où l'on se souciait peu de distractions nouvelles et où le cinéma, lorsqu'il existait, était réservé aux foires et aux comices, découvraient, au hasard des permissions, les films de Charlot, les ''serials'' avec Pearl White, les burlesques de Mack Sennett, les westerns de Ince ou les grands mélos de Griffith.

    Cette popularité nouvelle et extraordinaire du cinématographe - la production mondiale sera en constante progression jusqu'au krach de 1929 - va susciter des curiosités, des vocations, des sources de profits et des besoins de créations et de salles.

    En effet, la confection artisanale des films, jusque là réservée à une petite minorité d'aventuriers, va assez brutalement disparaître. Les courtes bandes tournées très vite, en une ou deux bobines pas plus, vont se transformer en longs métrages et les films reconnus comme de véritables œuvres, être admis par les cercles artistiques et faire l'objet d'une reconnaissance intellectuelle se traduisant, en France, par la création de multiples publications consacrées à ce nouvel art et par l'ouverture d'un premier ''Ciné-Club'' (Delluc en 1926).

Les années 20 consacrent le cinématographe en tant qu'art...

A suivre dans Cinefil N° 21 avec : Les avant-gardes des années 20 en Allemagne, en URSS, aux Etats-Unis et en France.

Alain Jacques Bonnet