En Allemagne :

1919 à 1933 : République de Weimar.

    L'Allemagne vaincue est en proie aux plus violentes difficultés. En 1919 les Spartakistes (Communistes) se révoltent, en 1920 c'est le putsch de Kapp (Extrême droite) puis la tentative de coup d'état de 1923 par Ludendorff et Hitler. Le mark est profondément dévalué, la classe moyenne ruinée, seule la grande industrie, comme partout, se redresse. Mais la fin de la décennie sera catastrophique : krach boursier, faillite des banques, énorme progression du chômage, baisse de la production industrielle. Le temps des dictatures est venu.

    Ces années 20 vont pourtant permettre un essor du cinéma allemand à peu près unique au monde, tant en quantité qu'en qualité.

    Le mouvement vient de la UFA crée le 18 décembre 1917 par l'état-major prussien pour devenir un énorme consortium destiné à la propagande. C'est donc la même nécessité qui conduit les Allemands et les Soviétiques à prendre conscience de l'importance du cinéma bien que ce soit pour des idéaux diamétralement opposés.

    L'un des premiers réalisateurs recruté par la UFA est Ernst Lubitsch qui partira en 1923 tenter sa chance aux Etats-Unis. Avec lui viennent Otto Rippert, Joë May et Max Reinhardt, fondateur du Deustches Theater et créateur du Kammerspiel en 1906 (Théâtre de chambre). Metteur en scène de théâtre, il ne tourna que peu de films (5 au total) mais son influence sur toute cette génération d'artistes en général et de cinéastes en particulier fut immense.

    En 1920, l'industrie cinématographique d'Allemagne est la plus puissante d'Europe. C'est Erich Pommer, un producteur au flair commercial infaillible, qui exerce alors la direction de cet organisme étatique et dont l'ambition est d'égaler et même de surpasser les productions américaines.

    Sous la tutelle de ces deux grands personnages le cinéma va produire pendant toute la décennie des œuvres majeures qui influenceront les réalisateurs du monde entier.

    En rendant expressifs les éclairages et l'utilisation de décors stylisés, en se servant de la scène rotative venue du Kammerspiel, les cinéastes allemands, tout particulièrement ceux de la UFA, vont inventer un style neuf, un langage nouveau, une référence universelle qu'on appellera l'expressionnisme allemand, dont on peut dire, en schématisant, qu'il s'appuiera sur le refus de la représentation naturaliste de la réalité au profit de techniques et de méthodes spécifiques destinées à traduire la force des émotions par une stylisation de sa figuration.

    Bien sûr, on peut retrouver dans les œuvres majeures de cette époque toute une série d'influences venues, entres autres, des Scandinaves (Stiller et Sjöström) mais les recherches des cinéastes allemands resteront profondément germaniques, intimement liées à l'atmosphère de l'époque.

    Comme dans les Eddas pan-germaniques, l'expressionnisme allemand sera peuplé d'êtres inquiétants et menaçants souvent dominateurs (Kracauer y vit la préfiguration du nazisme), inclus dans des brumes imaginaires avec des personnages récurrents comme la mort et le Diable, avec des enchantements maléfiques, la magie et les forces du mal.

    Cette génération d'artistes : Robert Wiene, Carl Mayer, Conrad Veidt, etc... va faire de cette période l'une des plus remarquables du cinéma mondial. Pour mémoire citons quelques œuvres marquantes : Caligari de Wiene (1919), Le Golem de Wegener (1920), Les trois lumières de Lang (1921), Nosferatu de Murnau (1922), Le cabinet des figures de cire de Leni (1924) ou L'étudiant de Prague de Galeen (1926).

   Une voie dérivée, le Kammerspielfilm, voulant s'éloigner du ''Caligarisme'' tout en continuant à utiliser certains procédés, les jeux d'ombres et de lumières, les pénombres et les miroirs, va abandonner la psychologie au profit de la métaphysique des personnages ; citons La nuit de la Saint Sylvestre de Lupu Pick en 1923 ou Le dernier des hommes de Murnau en 1924. Pour cela la caméra quittera les intérieurs pour retrouver le ciel, la mer et le plein air.

    En fait ces deux écoles recouvrent une tendance sous-jacente qui s'épanouira un peu plus tard dans les années 30 dans tous les pays européens : la volonté de découvrir, à travers ces différents procédés, un ''réalisme'' propre au cinéma, c'est à dire une véritable identité artistique propre à relier l'onirisme le plus complet à la reconstitution rigoureuse des conditions de la vie quotidienne. Karl Grüne avec La rue (1923), Georg Wilhelm Pabst avec La rue sans joie (1925) et Loulou (1928), Ewald Andre Dupont avec Variétés (1925) illustrent parfaitement cette émulation du fond par la forme.

En URSS :

    Le cinéma existait bien sûr avant la révolution mais sa diffusion restait le privilège des grandes villes. A partir de 1919, Lénine et Trotski vont soutenir le cinéma et faire en sorte que celui-ci devienne un moyen de communication universel (Lénine disait : « ... pour nous le cinéma est de tous les arts le plus important ... »).

    Bien sur, il va être incontestablement un moyen de propagande privilégié pour la bonne et simple raison qu'il n'est pas nécessaire de savoir lire ou écrire pour comprendre un film. Pour conquérir des populations qui ne parlent pas Russe, qui sont parfois extrêmement loin de la capitale, l'image a la capacité de rendre intelligibles les idées et les valeurs de la révolution et rompre avec les thèmes ''corrompus'' du régime tsariste.

    Le cinéma soviétique sera donc un des liens effectifs du Soviet Suprême avec la population, avec toutes les implications que cela peut avoir en termes de censures, de manipulations et de directives, entre autres dans le choix des sujets qui tourneront presque toujours autour des mouvements insurrectionnels de la fin 1917.

    Pourtant, l'enthousiasme des jeunes ''Kinoks'' soviétiques va se traduire par une inventivité et un dynamisme remarquable.

    Tous les artistes soviétiques qui vont se lancer dans le cinéma n'auront qu'un seul but et qu'une seule ambition : développer la valeur dialectique de la narration cinématographique car construire une vision de l'histoire révolutionnaire, c'est d'abord définir une théorie spécifique de la narration et du montage.

- Que ce soit Dziga Vertov (En avant Soviet de 1924) qui avec la Kino Pravda, va créer un cinéma informatif et éducatif, tournant sans studio et sans acteur en créant les concepts de Ciné-œil ou ciné-vérité (technique qui connaîtra un nouvel essor dans les années 60), en inventant entre autres la caméra mobile (promenée sur une voiture à cheval et fonctionnant avec un groupe électrogène à pétrole portatif) ;

- Que ce soit les créateurs de la FEKS - fabrique de l'acteur excentrique - Trauberg, Youtkevitch, Kozintsev et Gerassimov, (La nouvelle Babylone de 1929) qui utiliseront des décors baroques issus du monde du music-hall, du cirque ou de la parade, pour évoquer la force des sentiments ;

- Que ce soit Koulechov (Les extraordinaires aventures de M. West au pays des Bolcheviks de 1924) avec son Laboratoire Expérimental, Poudovkine (La mère de 1926) ou Dovjenko (Arsenal de 1928) , qui s'appuieront sur les enseignements du maître du théâtre, Meyerhold, pour chanter la grandeur des espérances communautaires ;

- Que ce soit Eisenstein ( La grève de 1924) , qui théorisera la construction du plan et le montage ;

    Tous seront à la recherche de la clarté, de la précision, de la diversité des moyens d'expression de la technique cinématographique. Le montage, le refus de la fiction traditionnelle, la ''déstructuration'' du récit, l'utilisation de toutes les possibilités techniques d'une caméra, vont être mises au service de la révolution en marche, de l'enseignement des peuples.

    Curieusement, pour des motifs fort différents des Français, des Allemands ou des Américains, les cinéastes soviétiques sont eux aussi en recherche de nouvelles techniques de narration cinématographique, d'un nouveau langage spécifique dégagé de la structure classique des arts anciens : littérature, musique, peinture.

(A suivre dans Cinefil N° 22 avec : Les avant-gardes des années 20 aux Etats-Unis et en France)

Alain Jacques Bonnet