Aux Etats-Unis :

    Mais que se passe t-il donc chez les plus grands producteurs de films au monde : les Etats-Unis ?

    Eh bien, ici aussi les années 20 vont être une période charnière.

    En effet, après de multiples fusions entre sociétés, des absorptions, des luttes d'influence et le développement des grandes fortunes d'Hollywood, les studios vont opter pour un fonctionnement de type industriel, c'est à dire en divisant le travail et en créant des spécialisations. L'objectif est, bien sûr, de faire un maximum de profit en produisant une grande quantité de films afin d'alimenter les salles de cinéma et satisfaire la demande d'un public en quête de distractions de plus en plus sophistiquées.

    Là, point de valeur artistique ! Point d'avant-garde ou de recherche ! L'objectif est d'inonder le monde entier (si possible) avec des films de bonne qualité et compréhensibles par tous. (Voilà une préoccupation déjà rencontrée ailleurs !)

    Ce système de nature purement commerciale, comme tout système mercantile, doit constamment se renouveler, se perfectionner pour fournir de la nouveauté, seule propriété apte à attirer les spectateurs et à accroître les bénéfices. Les créateurs oeuvrant dans un tel système sont donc contraints, sauf à disparaître, d'améliorer autant qu'ils le peuvent la qualité et l'originalité de leurs films. Ils vont donc s'évertuer à être les plus efficaces possibles dans la narration de leurs histoires, dans la manière d'obtenir les effets souhaités et donc de maîtriser au mieux le langage cinématographique.

    L'afflux des grands metteurs en scène européens, attirés tant par l'appât du gain que par le rêve libertaire, sera souvent décisif à ce niveau.

    Notons par ailleurs que s'il n'existait pas aux Etats-Unis de dictats dogmatiques tels qu'en URSS, d'autres formes de pressions, de natures différentes, s'exerçaient sur les metteurs en scène au détriment évident de leur libre expression.

    Il ne faut pas oublier que la puissance d'Hollywood dépendait tout autant de la presse et des informations qu'elle diffusait que des films eux-mêmes d'où le ''Star System'' qui alimentait les campagnes promotionnelles. Les grands studios devaient donc, outre fabriquer des films, veiller tout autant au fonctionnement d'un réseau de médias dont l'un des inconvénients fut de permettre l'introduction dans l'industrie cinématographique, supposée indépendante, des secteurs d'activité qui n'avaient rien à y faire : la politique et la religion, ou qui entendait en retirer des bénéfices : la mafia, les milieux d'affaires, les escrocs de tous poils.

    Les artistes ''novateurs'' devront faire passer leurs œuvres sous les fourches caudines des critères de l'industrie, essentiellement commerciaux (avec toutes les contraintes qu'implique cette démarche) ou se voir chasser d'Hollywood.

    Or en 1920 aux Etats-Unis, hors Hollywood, il n'existait pas de cinéma !

    Déjà en ces années-là, on note quelques ''rejetés'' célèbres comme Von Stroheim, par exemple, qui, pour faire œuvre personnelle, ne put s'adapter aux exigences des studios, bouscula les durées standards des films tout en pulvérisant les budgets (Les Rapaces en 1925) ou pour d'autres raisons Sjöström (Le vent en 1928) et Stiller (1927 – 1928) qui ne supportèrent pas la vie d'Hollywood ainsi que Murnau qui n'eut pas le temps de poursuivre une carrière autre part.

    Mais la liste de ceux qui firent contre mauvaise fortune bon cœur et parvinrent à s'adapter est beaucoup plus longue (de Lubitsch à Sirk)

    C'est donc dans un système basé essentiellement sur le profit que les grands pionniers du cinéma US vont tout simplement en inventer la grammaire.

    De Griffith à Ford, en passant par Ince, Chaplin, Keaton, Porter, DeMille, Walsh, Vidor, et d'autres plus oubliés comme Jack Conway, Georges Melford, Henry King, Réginald Barker, sans oublier Franck Lloyd, Capra, Wellman, etc... tous, sans se référer à un dogme, à une méthode ou à une théorie artistique, vont modeler le cinéma à leur manière, en absorbant toutes les tendances mondiales avec la constance de la modestie.

    Intellectuels ? Non, instinctifs et pragmatiques !

En France :

    Disons que jusqu'en 1918, le cinéma français reste sagement dans des voies issues du burlesque (Ferdinand Zecca, Max Linder, Léonce Perret), du film d'art d'où sont tirés les sujets historiques et bibliques (André Calmettes, Emile Chautard, Henri Andréani), et du mélodrame naturaliste composé le plus souvent d'adaptations d'œuvres littéraires (Alice Guy, Albert Capellani, Georges Monca). Pendant la guerre, le film à épisodes (Serials anglo-saxon) connaîtra un grand succès populaire (Victorien Jasset, Georges Denola, Louis Feuillade).

    (Aujourd'hui, les films d'avant 1919 sont devenus des témoignages ethnologiques au vu desquels la nostalgie l'emporte sur l'esprit critique).

Exemples les plus connus :
Zecca : Le salut de Dranem, Les souliers de Dranem, Le rêve de Dranem (1908), Linder : Max a un duel, Max se marie, Max et le quinquina (1911) Perret : Les blouses blanches, Cupidon en manœuvres (1912) Capellani : Les mystères de Paris (1912), Les misérables (1913) Jasset : Zigomar contre Nick Carter (1912) Les bandits en automobile (1913) Feuillade : Fantômas (1913), Les vampires (1914)...

    Ce cinéma qui évolue techniquement assez peu, reste un amusement, un art de foire.

    A partir de 1919, le cinématographe retient l'attention des intellectuels qui restent abasourdis par l'invention et la richesse technique des films venus des USA et vus pendant la guerre. Les Dadaïstes et les Surréalistes seront parmi les premiers à déceler dans cette ''photographie animée'' ses composantes oniriques et les possibilités de création artistiques.

    Des peintres ( Fernand Léger, Francis Picabia), des écrivains (Louis Aragon, Blaise Cendrars, Robert Desnos), des musiciens (Eric Satie, Darius Milhaud), vont se prendre de passion pour ce nouveau moyen d'expression dont ils pressentent les possibilités créatives et qu'ils associent à leur époque, au ''modernisme'', aux nouvelles ''valeurs'', en rupture avec celles qui s'avérèrent porteuses de la guerre.

    L'immense envie de vivre après le cauchemar des tranchées va engendrer une génération de cinéastes qui s'évertuera à transformer cette attraction de fête foraine en un art populaire (l'expression 7ème art date de 1921, employée pour la première fois par Riccioto Canudo, célèbre critique italien installé à Paris).

    Une école sera appelée ''L'impressionnisme français'' qui regroupera Abel Gance, Germaine Dulac, Louis Delluc, Jean Epstein, Marcel L'Herbier et Jean Renoir.

    Ces artistes vont privilégier la ''photogénie'', en rapprochant les arts dits premiers : littérature, peinture, musique et l'art nouveau : la photographie. Ils utiliseront pour cela tous les procédés techniques connus (ralenti, accélérés, flous, surimpressions) inventeront les outils nécessaires (caméra mobile, déclenchement mécanique à distance) et se serviront du montage pour faire passer l'émotion grâce à une narration nettement plus formalisée ne nécessitant qu'un minimum d'intertitres. L'autre école (ou deuxième avant garde) sera issue de Dada et du surréalisme.

    Là encore, ce sera pour ses adeptes, la volonté d'utiliser au maximum les possibilités cinématographiques mises au service de récits déstructurés, recherchant avant tout les ''impressions instantanées'', proches de l'écriture automatique et s'apparentant aux domaines du rêve et de l'inconscient (Germaine Dulac, Man Ray, Luis Bunuel, René Clair...)

    Cette extraordinaire diversité de créateurs, cette efflorescence d'artistes va attirer beaucoup d'intellectuels du monde entier : des Etats-Unis (Man Ray, Rex Ingram) d'Espagne (Luis Bunuel, Salvador Dali) du Brésil (Alberto Cavalcanti) de L'Estonie (Dimitri Kirsanoff) du Danemark (Carl Dreyer) et bien sûr de la Russie avec l'arrivée des artistes fuyant la révolution (L'école de Montreuil) et exercer une grande influence esthétique sur le cinéma mondial.

Alain Jacques Bonnet (à suivre)