Affirmer que l'argent mène le monde est une assertion difficile à contredire après la crise financière de 2008 que nous venons de connaître et dont les effets n'ont pas fini de se faire sentir. Les puissants, de tout temps et en tout lieux, ont toujours su comment aider financièrement les éléments susceptibles de défendre leurs intérêts. Ce fut bien entendu le cas lors des périodes troubles de notre histoire en Europe, en Italie pour favoriser l'émergence du fascisme et en Allemagne celle du nazisme.

    En Italie, les grandes féodalités industrielles qui se sont enrichies au début du siècle avec les commandes de l'Etat, les productions liées aux guerres coloniales (Erythrée, Ethiopie, Libye) et à la guerre de 14-18, cherchent à dominer la vie économique du pays. Pour éviter une révolution à l'image de celle de la Russie, ils ont cédé beaucoup d'avantages aux ouvriers mais sont décidés à les supprimer et surtout à éviter un « contrôle ouvrier » dans leurs usines (promesse faite en 1912 par Giolitti alors président du Conseil).

    Les féodalités agraires, que constitue l'ancienne aristocratie propriétaire des sols, veulent également récupérer les terres occupées par de nombreux paysans revenus de la guerre (le décret Visochi de septembre 1919 autorisait une occupation de quatre ans sous forme coopérative).

    A Gênes en avril 1919 les représentants des industries et des propriétaires fonciers concluent une alliance contre le « bolchevisme ». A Milan en mars 1920 se réunit la première conférence nationale des industriels italiens pour créer la Confédération générale de l'industrie et élaborer un plan d'action pour combattre les syndicats ouvriers. En août de la même année c'est au tour de la Confédération générale de l'Agriculture de s'organiser et s'associer aux industriels.

    Dès 1919, Mussolini approuve la création de ces organismes et propose son aide si besoin est. En retour, Mussolini obtient des subsides pour développer le tirage de son journal le « Popolo d'Italia » et y diffuser leurs campagnes pour promouvoir une politique extérieure nationaliste et agressive leur donnant des débouchés et de nouveaux marchés (le traité de Saint Germain en Laye à la fin de la guerre et celui de Rapallo en 1920 ne leur ayant accordé que quelques miettes au lieu des terres irrédentes espérées : Dalmatie, Fiume ...).

    Mais ils ne peuvent s'engager directement dans la lutte contre les syndicats ouvriers et les ligues rouges agricoles. Ils font appel à des bandes armées, nombreuses à cette époque, dont les « fasci » de Benito Mussolini, organes du « front unique antibolchevique ».

    Leur mission est de harceler les ouvriers et leurs organisations, de façon à les affaiblir et permettre aux industriels et propriétaires fonciers de récupérer les avantages et biens concédés. Leurs interventions deviennent de plus en plus violentes à la fin des années 1920 (où l'on peut compter 1881 grèves dans l'année) après les grandes grèves avec occupation d'usines (comme dans la métallurgie).

    En 1921, la crise économique perdure et les grandes entreprises qui s'étaient enrichies à la faveur de la guerre sont maintenant en difficulté. L'affaiblissement du prolétariat n'est plus suffisant pour les renflouer et permettre leur développement. Seul un « Etat fort » à leur service peut à nouveau les rendre rentables, en brisant les résistances ouvrières, en réduisant leurs avantages, en renflouant les entreprises défaillantes, en leur accordant des subventions et des exonérations, avec entre autres des commandes d'armements. La solution consiste à anéantir les libertés démocratiques et à remettre la direction du pays à des hommes dociles. Les bandes fascistes de Mussolini se transforment alors en parti politique lors de leur congrès de Rome en novembre 1921. Au conseil national de ce nouveau parti en décembre 1921 Mussolini lui donne le mot d'ordre : « A la conquête du pouvoir ».

    Giolitti, toujours président du Conseil espère apprivoiser les groupes fascistes en les « parlementarisant ». En 1921, il dissout la Chambre et fait procéder à de nouvelles élections en intégrant le parti fasciste au bloc des partis gouvernementaux. Mussolini est ainsi élu avec 29 autres députés fascistes. Pendant une courte période, Giolitti pense avoir réconcilié les socialistes et les fascistes, mais dès la fin 1921, les troubles et les violences reprennent provoqués par les bandes fascistes. Des violences de grande ampleur avec agressions de personnes et de locaux mis à sac, malgré les milices « antifascistes » qui se constituent et la présence de groupuscules anarchistes. C'est aussi toute la préparation de la « marche sur Rome » des chemises noires déclenchée le 27 octobre 1922 et terminée le 30 octobre, après que le roi Victor Emmanuel III confie à Mussolini le soin de former un nouveau ministère. Le processus de la prise totale du pouvoir par Mussolini est alors engagé.

    Comment, dans les années qui suivirent, beaucoup d'italiens, toutes classes sociales confondues, se sont laissés entraînés dans cette aventure malheureuse et dramatique ? Ceci est une autre histoire, à développer en d'autres lieux et pourquoi pas à en chercher les réponses dans le cinéma italien d'après guerre.

(Sources : « Fascisme et grand capital » de Daniel Guerin – Editions Maspero)
Paul Neilz