Acteur de passage

    Acteur pour Jacques Davila, la carrière cinématographique de Michel Gautier fut éphémère, totalement liée à celle de son ami réalisateur. L'amitié fut son moteur pour jouer dans « La campagne de Cicéron », film inclassable surgi en 1988, aux dialogues savoureux et tout en nuances, ce qui lui a valu les louanges d'Eric Rohmer.

    A l'occasion de la soirée Cinémathèque du 29 avril dernier, Michel Gautier se souvient de ce film, du tournage, de cette époque, avec un plaisir évident. Et parle de sa place avec humilité.

Aurélie Dunouau : « La campagne de Cicéron » est un film rare, peu montré. Il est aujourd'hui projeté à Tours dans le cadre de la carte blanche donnée à la Cinémathèque de Toulouse. Pourquoi son choix s'est-il porté sur ce film ?

Michel Gautier : Le film a été sauvé par la Cinémathèque de Toulouse. C'est un film qui a failli tout simplement disparaître pour des raisons de faillite de producteur, de distributeur. La copie a ensuite disparu. Comme il avait été tourné dans la région des Corbières - l'un des producteurs faisant partie d'une boîte régionale à Toulouse - la Cinémathèque a voulu retrouver une copie. Une restauration numérique a été faite il y a un peu plus d'un an à Bologne.

    Pour la petite histoire, je me battais depuis 1991 pour récupérer les droits du film en tant que coauteur et je me suis heurté à un mur total car il était dans les tiroirs d'un liquidateur judiciaire. C'est un avocat de la Cinémathèque qui a trouvé les failles. Il a fallu plus de 20 ans de tentatives pour en arriver là.

A.D. : C'est un film important pour vous dans votre carrière ?

M.G.: Ma carrière de toute façon elle s'est arrêtée avec le film. J'ai fait du cinéma grâce à Jacques Davila, le réalisateur du film. Il a fait trois films dans sa vie, un premier « Certaines nouvelles » (1976) qui est formidable, qui a eu le prix Jean Vigo. Puis, on s'est rencontré, on a fait un film ensemble « Qui trop embrasse » (1986), et puis ensuite « La campagne de Cicéron ». C'est un film important pour moi, à tous points de vue, c'est une époque de ma vie.

A.D. : Vous avez co-écrit le film. L'écriture, la qualité des dialogues dans ce film ont été reconnus et notamment par Eric Rohmer?

M.G.: Rohmer, qui ne regardait pas les films au cinéma, a accepté de voir une VHS avant sa sortie et il a été enthousiaste. Le distributeur lui a demandé s'il pouvait avoir une lettre pour nous aider à lancer le film et Rohmer a écrit la lettre publiée ensuite dans les Cahiers du Cinéma.

A.D. : Comment avez-vous travaillé les dialogues avec Jacques Davila ?

M.G.: On se connaissait très très bien. En fait, Jacques partait toujours de ce qu'il voyait autour de lui. Des histoires de ses amis, des gens qu'il connaissait. Quand je revois le film, je me rends compte que ça dépasse ça. Il s'inspirait des histoires sentimentales de ses amis en y mettant des choses beaucoup plus profondes. C'est à la fois extrêmement quotidien mais en même temps il n'avait pas peur de la poésie. Il n'aimait pas trop le langage parlé, c'est un film écrit.

A.D. : Quels sont vos souvenirs de tournage ?

M.G.: C'était un film à petit budget, je me souviens avoir fait la cuisine pour l'équipe pendant la préparation. Cela créait quelque chose de chaleureux et agréable. Il y eut plusieurs décors mais dans un périmètre assez restreint. Mon personnage allait de lieu en lieu. Ca a été tourné à Paris et dans les Corbières. On a connu les Corbières par une amie cinéaste qui avait une petite maison là-bas. On a découvert cet endroit idyllique, beau et sauvage qui rappelait à Jacques l'Algérie.

A.D. : Pourquoi La Campagne de Cicéron ?

M.G. : C'est parce qu'on cherchait un lieu, et un ami viticulteur là-bas nous a fait le tour des propriétés et on a trouvé cet endroit qu'un homme seul qui y habitait nous a prêté gratuitement. C'est Micheline Presle, la mère de Tonie Marshall, actrice dans le film, qui nous rendait visite, elle est sortie de sa 2CV et a repéré le nom de cette maison. Elle nous a dit : « Le voilà le titre de votre film ! »

A.D. : On a l'impression que vous formiez une petite famille de cinéma...

M.G. : Relativement. Jacques avait autour de lui ce noyau, Micheline, Tonie, Jacques Bonnafé et d'autres amis, que l'on retrouve dans ces films.

    Il fallait d'abord que les comédiens acceptent des conditions qui ne sont pas habituelles c'est-à-dire d'être peu payés, c'était une participation, donc il y avait évidemment quelque chose d'amical dans la démarche de jouer dans La Campagne de Cicéron.

    Après La Campagne de Cicéron, la mort de Jacques m'a secoué et je me suis rendu compte que je n'étais pas un vrai comédien de cinéma, j'avais fait du théâtre avant. Le personnage que je joue me ressemble et ressemble à Jacques, même si c'est un personnage de fiction. Mais j'ai arrêté à partir du moment où je me suis rendu compte que je n'ai pas certaines qualités pour être comédien (il faut être persuadé d'être essentiel, saisir les opportunités et pas forcément travailler dans un environnement amical). Ce n'était pas mon cas.

Propos recueillis par Aurélie Dunouau