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    Marlène Dietrich sera tout à la fois l'égérie fantasmatique de ces projections subconscientes et l'archétype de ces femmes araignées, évoluant de film en film pour atteindre une intensité maximale à l'issue des sept films tournés ensemble, lorsque le Pygmalion et sa Galatée parviendront aux termes de leurs rapports, dans L'Impératrice Rouge et La femme et le pantin. D'autres actrices seront ensuite choisies pour incarner cette même image, toute aussi fascinante, semblable et complémentaire : Gene Tierney et Ona Munsun (The Shanghai Gesture) ou Akemi Negishi (Saga of Anatahan)

 

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    Dans L'Impératrice rouge, Marlène Dietrich parcourt toute une gamme de sentiments partant d'une innocence juvénile, passant par l'étonnement, puis la rancœur pour aboutir au cynisme et à la cruauté. Cette évolution est marquée par les artifices de la mise en scène qui, avec un jeu continuel de camouflages légers, va petit à petit l'abriter dans un cocon mutagène qui se consolidera à chaque étape de son évolution. Chez le coiffeur, après la perte de son nom et de sa religion, on agitera devant elle des voiles de décoration, puis pendant son mariage, elle apparaîtra le visage voilé sous la flamme de la bougie rituelle avant qu'une simple silhouette obscure déploie sa séduction sous les méandres des arbres du palais où se tiennent les gardes.

    Lorsque l'enfant sera né, elle sera voilée par les rideaux de son baldaquin qui lui serviront plus tard à recevoir ses amants et lors de sa révolte, lorsqu'elle s'échappera du palais, ce sera une silhouette d'homme qui chevauchera avec les soldats. Toutes ces carapaces construites, elle pourra régner sur son empire.

    Ces caractéristiques arachnéennes sont encore plus visibles dans La femme et le pantin. Dès les premières images elle apparaît derrière l'enchevêtrement des serpentins du Carnaval, avec une mantille étrange qui dessine sur son visage un réseau des sphères noires. Plus tard, elle se cachera derrière son ombrelle, sortira la nuit d'un au-delà de grilles serpentines ou de rideaux opaques (pour cacher son aventure avec Morenito) et, lors de sa visite à Don Pasqual, sera entièrement voilée. Cette stratégie est faite pour se jouer des mâles, les attirer dans une toile où l'amour qu'elle convoite ne se distingue pas de la consommation
continuelle d'hommes amourachés. ...

    En fait Josef Von Sternberg, n'a jamais traité qu'un seul sujet : le désir.

Alain Jacques Bonnet