La comédie musicale est un genre cinématographique, comme le western, le film de détective, le burlesque ou le fantastique. Au cinéma, tout ''Genre'', comme toute poésie, procède de la recréation d'un monde. Les héros de western, de film noir, de film d'horreur, et de comédie musicale évoluent dans des univers qui n'appartiennent pas à notre quotidien et possèdent un environnement qui leur est propre. Les films de genre utilisent des règles internes avec des lois et des temporalités immuables qui les rendent immédiatement identifiables pour les spectateurs. Cette reconnaissance permet l'adhésion tacite de ceux-ci et sert à distiller un charme spécifique assez proche de celui que connaît l'enfant devant un jeu connu.

    Pour définir ce qu'est une comédie musicale il faut d'abord en reconnaître les frontières. Disons qu'il s'agit immanquablement d'un récit de fiction, pouvant d'ailleurs faire appel aux références d'autres genres (par exemple le fantastique dans Brigadoon ou le western dans Les 7 femmes de Barberousse) qui s'autorise à être interrompu dans son déroulement narratif par des intermèdes musicaux pouvant être réduits à quelques chansons ou comme dans une opérette, par des séquences de chants ou des numéros de danses.

    Ce sont en effet ces intermèdes chantés ou dansés qui constituent la véritable substance du spectacle, qu'ils soient intégrés à l'intrigue générale ou qu'ils n'en soient que des digressions plus ou moins explicites, qu'ils participent ou non à la trame, d'ailleurs souvent très légère, de l'histoire racontée. En d'autres termes, ce qui caractérise le genre est l'interpénétration de deux systèmes de narration : une histoire d'une part et des numéros de music-hall d'autre part, sans que la vérité psychologique des personnages ou la crédibilité des intrigues n'aient de réelle importance puisque le véritable objectif est de créer un spectacle onirique, soumis non plus aux lois du récit, mais à celles de l'enchantement et du divertissement esthétique.

    Ainsi, il sera dit que les spectacles d'attractions de music-hall disparates filmés bout à bout ne sont en aucun cas des comédies musicales, ni les opéras transcrits au cinéma, qu'ils soient mis en scène ou non, ni les concerts enregistrés.

Petit Historique du genre.

    Il est vraisemblable que ce que les Américains désignèrent, à la fin du XIX ème siècle, sous le nom de ''Musical Comedy'' ait été purement et simplement une sorte de copie ''abâtardie'' de la bonne vieille opérette européenne qui, mélangée à la farce et au vaudeville, offrait aux cow-boys du Middle West un divertissement peu contraignant, pas très intellectuel, qui permettait en outre de présenter des filles légèrement vêtues qui chantaient et dansaient sans trop se poser de questions.

    Ce type de revue va évoluer dès le début du XXème siècle et se sophistiquer en intégrant les nouvelles musiques en vogue (Le Jazz par exemple), en s'adjoignant le talent de metteurs en scène spécialisés, en recrutant des artistes plus talentueux, afin de programmer de grandes revues adaptées aux goûts des citadins en y adjoignant une certaine magnificence, des décors luxueux, une pléthore de figurants et une mise en scène élaborée.

    C'est désormais indépendamment de l'opérette, du music-hall et du théâtre que va vivre la comédie musicale dont il faut souligner l'aspect spécifiquement américain résultant du morcellement volontaire de la représentation en tranches de tableaux courts et très animés, souvent indépendant les uns des autres, simplement reliés par un fil rouge, tout comme le sont par ailleurs les spectacles sportifs de base-ball, de football ou de basket. Les mauvaises langues prétendent que cela vient du fait que les Américains moyens ne peuvent pas se concentrer plus de 10 minutes !

     Les temples de la comédie musicale ont toujours été situés à Broadway, là où ceux qui triomphent connaissent à coup sûr la gloire et la fortune. Les spectacles y sont généralement montés par des troupes spécialisées qui recrutent par casting et sont financées par des fonds privés recueillis souvent sur souscription. Les structures productrices et les unités de fabrication de ce genre de spectacle sont un modèle quasi parfait du système culturel des Etats-Unis, qui présente l'avantage d'être capable de mobiliser la puissance créatrice des individualités, avec cependant le risque permanent de laisser libre court à des dérives dangereuses (blanchiment d'argent, intervention des mafias, mécènes dictatoriaux, incompétence des commanditaires....) et l'inconvénient de soumettre toute œuvre au jugement aléatoire du succès financier.

    Jusqu'aux années 60, la comédie musicale aux Etats-Unis va vivre dans un marché florissant, drainant évidemment beaucoup d'argent.

Le Cinéma :

    En 1927, le son directement enregistré sur la pellicule du film vient compléter l'image de façon permanente et non plus aléatoire comme auparavant, lorsque le muet l'assujettissait aux accompagnateurs ponctuels. L'incorporation de la musique et la restitution des dialogues entre les personnages et à fortiori du chant, étant désormais possible, c'est tout naturellement que la comédie musicale va venir constituer une des attractions majeures de ce nouveau cinéma.

    Il est évident que les grands succès populaires obtenus par les revues montées sur les planches des théâtres et des music-halls ne pouvaient laisser indifférents les producteurs de cinéma.

    D'ailleurs n'était-il pas légitime de pouvoir diffuser à moindre frais les grands spectacles de Broadway, de Chicago, de San Francisco et des autres métropoles, dans toutes les petites villes des Etats-Unis pour peu qu'elles possèdent une salle de cinéma. L'interaction entre le besoin de distraction des Américains du Middle West et la popularité du genre conduisait naturellement à leurs adaptations cinématographiques puisque la technique le permettait désormais.

    Les reprises des grandes revues ou des grandes comédies seront pendant très longtemps la source principale des productions cinématographiques de ce genre et il faudra attendre les années 50 pour que des scénarios originaux, non issus des spectacles de Broadway, soient tournés par Hollywood.

   On peut donc dire que le premier film sonore : ''Le Chanteur de Jazz '' (The Jazz Singer) de 1927 (Alan Crossland) était déjà une comédie musicale !

    Mais le véritable premier film parlant et chantant fut ''The Broadway Melody'', (adaptation de la revue du même nom) produit dès la fin de 1928 par la MGM dans une production de Harry Rapf, réalisé par Harry Beaumont sur un scénario d'Edmund Goulding avec des chansons de Herb Brown et Arthur Freed. Les interprètes en étaient Anita Page, Bessie Love et Charles King.

    Le film obtint un énorme succès public et reçut l'Oscar de la meilleure réalisation. C'est au cours du tournage de ce film, pour régler un des ballets prévus, que Douglas Sheater, l'ingénieur du son, eut l'idée de diffuser sur le plateau la musique de la séquence préalablement enregistrée pour rythmer les pas des danseurs. C'était le premier play-back !

    Les grands studios d'Hollywood ont toujours su exploiter jusqu'à saturation les idées nouvelles. C'est donc tout naturellement pour profiter du succès acquis que la MGM enchaîna immédiatement les tournages de ''It's a Great Life'' de Sam Wood, de ''The Hollywood Revue'' et de ''Chasing Rainbows'' tous deux filmés par Charles Reisner, de ''The Rogue Song'' de Lionel Barrymore, ''Marianne'' de Robert Z . Léonard, cinq autres comédies musicales en cette même année 1929.

    Bien entendu, les autres firmes se ruèrent sur le filon et mirent également en chantier de multiples reprises des revues à succès. La Warner, par exemple, produira entre 1933 et 1935 la bagatelle d'une trentaine de comédies musicales, utilisant les thèmes à la mode avec des scénarios qui, la plupart du temps se contentait de narrer les péripéties de quelques artistes s'évertuant à monter une revue ou servaient de prétexte à une évocation « exotique » amenant à quelques exhibitions de danseuses soi-disant folkloriques.

    Tous les studios étant concernés, au fil des ans, les plus grands réalisateurs de l'époque se frotteront au genre avec plus ou moins de réussite. Ernst Lubitsch avec ''Monte Carlo'' et ''La Veuve joyeuse'', Rouben Mamoulian avec ''Aimez-moi ce soir'', Michael Curtiz avec ''Mammy'' , William Wellman avec ''College Coach'', Roy Del Ruth avec ''Folies Bergère'' William Dieterle avec '' Les pirates de la mode'' (''Fashions of 1934''), Victor Fleming avec ''Imprudente jeunesse'' (''Reckless'' la seule comédie musicale de Jean Harlow) , Edmund Goulding avec ''We're not Married''' une des rares comédie musicale de la FOX, Howard Hawks avec ''Les hommes préfèrent les blondes'', etc.

    Quelques acteurs vedettes , non spécialisés, s'y commettront : James Cagney, Clark Gable, Gary Cooper, James Stewart, Cary Grant, Rex Harrison, Jack Lemmon, Marlon Brando, etc, ainsi que les Teams comiques comme Budd Abbott (Les deux Nigauds) Laurel et Hardy, Les Marx Brothers ou encore Dean Martin et Jerry Lewis.

    On l'a dit : le genre est devenu autonome et dès 1933 ses règles et ses lois, son univers et son style, sa grammaire et son vocabulaire vont être élaborés pour le compte de la Warner Bros par des gens comme Lloyd Bacon avec '' 42ème rue'' et ''Footlight Parade'' ou Mervyn LeRoy avec ''Chercheuses d'or'' bien que le véritable orchestrateur de ces formidables succès soit en fait le chorégraphe Busby Berkeley.

    La comédie musicale va reposer pendant longtemps sur le principe immuable du ''Musical Number'' (numéro musical), repris d'une revue ou totalement créé à l'occasion du film, qui est inséré dans le déroulement de l'intrigue de différentes façons : sous forme de chanson (Bing Crosby) sous forme de ballet (Busby Berkeley), sous forme de représentation théâtrale (Minnelli). Ces trois formes seront confondues dans les prestations des deux meilleurs acteurs de ''Musicals'' : Fred Astaire et Gene Kelly.

    C'est en 1934 que Fred Astaire va apporter au genre un style nouveau en créant le personnage du danseur vedette faisant avec sa partenaire (ou son partenaire) une sorte de numéro de chambre, forme inédite du spectacle qui rompait alors avec les grands shows de Berkeley dans lesquels l'accumulation des ''Blues Bell Girls'' occultait toute émotion. ''Rosalie'' réalisé par Robert Z. Leonard en 1937 fut un exemple de cette surenchère pour laquelle la MGM mobilisa en effet 27 caméras pour filmer 2000 chanteurs et danseurs évoluant sur un plateau de 25 hectares.

    Mais les danseurs vedettes ne seront pas si nombreux. Outre Fred Astaire on ne peut compter que sur Russ Tamblyn, Red Skelton, Donald O'Connor, José Ferrer puis Gene Kelly et dans les années 70, Tony Manero ou Bobby Rosa. Mais ces derniers sont loin d'avoir atteint la renommée de leurs aînés. Les danseuses furent nettement plus nombreuses.

    En 1936, un nouveau sous-genre est crée : la ''biopic musicale'' (biopic = biographical Picture). C'est Hunt Stromberg pour la MGM qui innove ainsi en produisant ''The Great Ziegfeld'' réalisé par Robert Z. Léonard avec un budget impressionnant de 2 millions de dollars, soit plus que pour les ''Révoltés du Bounty'' et autant que pour ''Ben Hur'' , marque indéniable de l'intérêt porté à ce type de film.

(Fin de la première partie, suite dans le Cinefil N° 27)

Alain Jacques Bonnet