Le festival de La Rochelle en juillet dernier a eu la très bonne idée d'organiser une rétrospective de l'œuvre de Billy Wilder. Nos amis du carnet des studio, toujours présents à ce festival mémorable, écrivent à ce propos : « Naviguer entre « Le gouffre aux chimères, Assurance sur la mort, Spéciale première ou Avanti ! est un bonheur qui illumine nos journées »

    D'où vient effectivement que la vision de la plupart des films de Billy Wilder ait la capacité de nous mettre en joie ?

    A la réflexion plusieurs éléments concourent à cela.

    Billy Wilder, né sujet de l'empire austro hongrois (comme Stefan Zweig) est d'abord un très bon scénariste qui maîtrise parfaitement son art. Journaliste de formation, Billy Wilder est embauché par l'UFA (la grande compagnie cinématographique allemande dans les années 20) pour écrire des scénarii. Il écrira ainsi celui de Des hommes le Dimanche (1930) de R. Siodmak et continuera d'ailleurs brillamment ce rôle auprès de Lubitsch à Hollywood : La huitième femme de Barbe Bleue, Ninotchka, célèbres films de Lubitsch des années 30, doivent également une partie de leur succès à leur scénario sur lequel Billy Wilder avait travaillé. Tout au long de son œuvre, l'écriture du scénario sonne juste ; le spectateur est ainsi pris par le rythme endiablé de One Two Three en 1961. Le ton de l'enquête journalistique transparaît d'ailleurs dans ses films noirs que seront Assurance sur la mort (1944) ou Boulevard du crépuscule (1950).

    Le Gouffre aux Chimères 1951 et plus tard Spéciale Première en 1974 nous font pénétrer dans l'univers d'une salle de presse d'une petite ville américaine et d'un tribunal : l'univers du journalisme (et de l'écriture de bons mots et de répliques qui font mouche) n'est jamais très loin dans l'œuvre de Billy Wilder.

    Mais Billy Wilder nous livre également une œuvre parfois avant-gardiste et visionnaire : Le Gouffre aux chimères en 1951 est une implacable et très amère dénonciation de la manipulation médiatique. A l'aube de la montée en puissance du monde de la télévision, peu de films avaient encore su se saisir de ce thème pour disséquer la spirale du tourbillon médiatique jouant avec les évènements et cherchant à les mettre en scène pour mieux capter un public, au lieu d'en rendre compte platement. Regarder aujourd'hui Le Gouffre aux chimères de Billy Wilder, plus de 50 ans après, c'est encore en tirer des réflexions et des enseignements qui continuent d'éclairer le fonctionnement de bon nombre de médias aujourd'hui. Dans One Two Three (1961) Wilder se moque de l'impérialisme économique américain qui conquiert le monde, y compris Berlin Est, en tentant d'y exporter sa société de consommation symbolisée ici par la firme Coca Cola, comme elle le sera plus tard par Mac Do. Dans Good Bye Lenin, magnifique film de Wolfgang Becker (2002) (sorti en septembre 2003 en France) une scène fait d'ailleurs écho à cette avancée publicitaire de Coca Cola à Berlin Est ... pour symboliser le triomphe définitif du capitalisme sur le socialisme Est allemand. Mais oser rire de la guerre froide en 1961 (année où se construira le mur de Berlin), comme nous le propose Billy Wilder dans One Two Three est, à l'époque, une véritable gageure, pourtant parfaitement réussie (aujourd'hui du moins).

    Enfin si Billy Wilder nous plaît tant, à nous européens, c'est peut-être aussi parce que l'on y retrouve le regard ironique et mordant d'un européen exilé sur l'Europe ou le nouveau monde. Billy Wilder, né en 1906 dans une petite ville de Galicie au sein de la communauté juive de l'Empire Austro Hongrois, fait effectivement parti de cette génération de cinéastes et d'acteurs allemands ou autrichiens qui vont émigrer aux Etats-Unis lors de la montée et la prise du pouvoir de Hitler en Allemagne : Ernst Lubitsch, Marlène Dietrich, Peter Lorre, Max Reinhardt, Fritz Lang seront au cours de cette génération les compagnons de voyage de Billy Wilder.

    Il prendra ainsi plusieurs fois des villes ou des espaces européens pour décor de ces films : l'île d'Ischia en mer Tyrrhénienne dans le golfe Naples dans Avanti (1972) ; Berlin dans A Foreign Affair (1948) et One two three (1961) ; l'atmosphère des halles de Paris des années 50, reconstituées par Alexandre Trauner, dans Irma la douce (1963), avant leur destruction et leur déplacement à Rungis en 1969 ; ou les hôtels particuliers parisiens dans Ariane (1957).

    Billy Wilder porte un regard à la fois tendre et ironique sur les européens.

    L'essor du tourisme insulaire au sein de palaces luxueux de ces petites îles italiennes à la fin des années 60 et au début des années 70, sert effectivement de cadre à l'intrigue d'Avanti. Le portrait de la famille de petits vignerons italiens d'Ischia, mi-viticulteurs mi-mafieux, qui s'empare du cercueil du père d'Armbruster est un grand moment désopilant de Cinéma. De même l'efficacité de la logistique américaine, prêt à mettre tous les moyens pour rapatrier le corps alors que la bureaucratie italienne semble empêcher ou compliquer tout transfert, est une vision qui joue à merveille avec nos propres poncifs culturels sur les peuples.

    Les allemands ou les allemandes à la fois libérées et sensuelles (Marlène Dietrich dans A Foreign Affair ou la secrétaire allemande de Mac Namara dans One two three et sa danse endiablée dans la boîte de nuit devant les russes), mais jamais très loin non plus des vieux démons autoritaristes de la société nazie, sont perçus avec beaucoup d'ironie.

    Mais ce regard d'un européen exilé sur son « vieux continent » est aussi un regard, là encore très ironique, sur les Etats-Unis et sur la constitution de ce pays : la scène des indiens vendant l'île de Manhattan aux premiers colons au début de Sept ans de réflexion (1955) est également un moment culte pour de nombreux cinéphiles.

    Billy Wilder réalisera son dernier film en 1981 Buddy Buddy et décèdera vingt ans plus tard en 2002 en Californie à Beverley Hills à l'âge de 95 ans. Sur sa pierre tombale du Westwood Village Memorial Park Cemetery à Los Angeles il a fait graver cette simple épitaphe qui dit tout de lui et de son humour : « I Am a Writer But then Nobody is perfect » (on aura reconnu ici la dernière réplique culte de Certains l'aiment chaud - 1959).

Eudes Girard