La fin de l'hégémonie de la Warner et la relance par la MGM :

    A la fin des années 30, la Warner, épuisée par ses productions sirupeuses et peu soignées, cède le leadership à la Métro Goldwyn Meyer, fondatrice du genre, qui crée un département spécifique dédié à la comédie musicale dont les deux principaux patrons sont Jack Cummings et Arthur Freed. Ils vont provoquer le renouveau du genre en utilisant des scénarios orignaux avec des thèmes basés sur un certain émerveillement, un onirisme omniprésent, prétextes à d'incessantes inventions de nature exclusivement cinématographique, rompant avec les reconstitutions des grandes revues new-yorkaises.

    C'est essentiellement grâce au travail d'Arthur Freed que le genre va retrouver une force nouvelle. C'est dire si le cinéma américain aurait dû lui décerner l'Oscar des Oscars. Les cinéphiles français, peut-être restés sous l'influence de la politique des auteurs chère aux intellectuels des années 60/70 ont trop tendance à ignorer le rôle primordial qui fut celui des ''Producers'' dans l'organisation des grands studios hollywoodiens ! Car c'est bien Arthur Freed qui lança Stanley Donen, Gene Kelly, Vincente Minnelli, Georges Sydney et Charles Walters et leur permit surtout de donner le meilleur d'eux-mêmes.

    Rompant aussi avec les élégants duos intimistes du couple Astaire-Rogers, les nouvelles fantaisies réalisées, dont les thèmes érotiques ne sont pas absents, puisent volontiers leurs intrigues dans des contextes quotidiens. Ils généreront quelques chefs d'œuvres comme ''Parade de Printemps'' de Charles Walters, ''Un jour à New York'' de Donen et Kelly, ''Un américain à Paris'' et ''Brigadoon'' de Minnelli, ''Le magicien d'Oz'' de Fleming ainsi que ''Yolanda et le voleur'', ''Tous en Scène'', ''Entrons dans la danse'', ''La belle de Moscou'', ''Le Pirate'', ''Chantons sous la pluie'', ''Kismet'', ''Les sept femmes de Barberousse'', etc.

    Et, tout comme au début du parlant, ces succès commerciaux retrouvés vont entraîner un mouvement général de retour vers le genre de toutes les autres compagnies qui vont, à nouveau, emboîter le pas de la MGM. La Warner bien sur, mais aussi la FOX, la RKO, la Paramount et Universal vont remettre en chantier des comédies musicales.

    De cette production qui va s'échelonner jusqu'à la fin des années 50, on peut retenir ''Romance à Rio'' de Michael Curtiz, ''Une vie perdue'' et ''La mélodie du bonheur'' de Stuart Heisler, ''Zaza'' de Georges Cukor, ''Holiday Inn'' de Mark Sandrich, ''Les nuits ensorcelées'' de Mitchell Leisen, ''La blonde incendiaire'' de Georges Marshall etc. Mais faute de réalisateurs et de chorégraphes spécialisés, peu de ces productions opportunistes vont, somme toute, rester en mémoire.

    On remarque que l'une des constantes du genre est que, dans la plupart des films réalisés, le spectacle que préparent les protagonistes est en creux. Il est au départ destiné à des spectateurs figurant dans le scénario lui-même, ceux auxquels est destiné le spectacle de la revue, la pièce de théâtre ou le numéro de music-hall mais qui sont en fin de compte éclipsés au profit des spectateurs réels de la salle de cinéma. Ce transfert des regards démontre combien le ''genre'' est clairement établi puisque, résultant d'un tour de passe-passe dans sa finalité, le film ne peut fonctionner qu'avec la complicité du public. C'est la même chose avec le cinéma fantastique, ou avec les films à suspense. Hitchcock, ne l'oublions pas, fut un maître en ce domaine.

    Les années 60 vont mettre un terme temporaire à l'évolution de cette forme de spectacle. Les spectateurs regardent la télévision et s'abreuvent de films de genre (comédies, western, fantastiques). Le cinéma en général va souffrir de cette désaffection et le film de genre tout particulièrement d'autant que la guerre du Vietnam marque un désenchantement certain envers le rêve américain dont il était, bon an mal an, un soutien actif.

    Cependant la comédie musicale perdurera sur les scènes de Broadway, tant le genre demeure incontournable pour le public new-yorkais, mais les revues qui y seront dorénavant montées nécessiteront de gros moyens pour être adaptées. Cette surenchère financière, que plus un seul studio n'a les moyens réels de s'offrir, feront que les films seront produits à l'aide de montages financiers individuels, au coup par coup, avec une sanction immédiate et terrible en cas d'échec.

    Si on note encore quelques belles réussites dues entre autre à Minnelli, à Cukor ou à Gene Kelly, comme ''Un numéro du tonnerre'', ''My Fair Lady'', ''Le milliardaire'', le sens même de la ''Musical Comedy'' semble avoir abandonné le cinéma, devenu sans doute trop ''vériste''. Le reste ne sera que parodie ou hommage même si ''West Side Story'' de Robert Wise ou ''Sweet Charity'' de Bob Fosse laissent encore subsister l'illusion.

    Mais le mariage subtil entre les interprètes, les décors, la musique et la danse, le lien magique vecteur d'un onirisme typiquement américain ne fonctionne plus. Personne ne croit plus à un monde de bonté et de clinquant. Les subtiles variations que savaient saisir les grands directeurs de la photo coûtent désormais trop cher pour les producteurs qui préfèrent les images sales et chaotiques qui font soi-disant vraies. Alors, un homme et une femme qui dansent....

    Ailleurs dans le monde, au fil du temps et suivant en cela les modes venues des Etats-Unis, de nombreux cinéastes incorporeront dans leurs films des numéros chantés et dansés avec une sorte de jubilation. Outre son aspect parfaitement ludique, la méthode permettait aux acteurs d'utiliser pleinement les ressources sonores nouvelles et de retrouver quelque part la noblesse supposée du théâtre. Par exemple, en France, René Clair sera l'un des premiers à utiliser ces possibilités dans ''Sous les toits de Paris'' en 1930 et ''Le million'' en 1931. Ce fut également le cas en Allemagne, en Italie (Le premier parlant en 1930 y fut un film chanté : ''La canzone dell'amore'') en Argentine, et surtout en Egypte et en Inde où le genre allait devenir une tradition intemporelle.

    Mais, hors ces deux pays, et malgré toutes les tentatives de par le monde, le véritable paradis de la comédie musicale cinématographique restera Hollywood.

    Reconnaissons toutefois qu'en France, dans les années 70, Jacques Demy totalement isolé, tenta de réutiliser les recettes américaines et n'hésita pas à solliciter Gene Kelly. Mais son succès fut éphémère et non suivi.

    Aujourd'hui la comédie musicale semble connaître une nouvelle jeunesse avec des troupes de chanteurs et de danseurs tout à fait cosmopolites venues occuper quelques grandes scènes de Londres ou de Paris mais les tentatives pour les adapter au grand écran sont restées vaines. Seule la télévision en propose la retransmission et leur diffusion au grand public s'effectue par le biais de la vidéo ou du DVD. C'est qu'au cinéma il faut, pour réaliser ce type de film, du temps, du travail et de l'argent ainsi que beaucoup de talents, toutes choses devenues rares !

    Et puis, il faut bien dire que si la comédie musicale revient aujourd'hui à la mode, c'est qu'elle nous apparaît semblable aux vieilles chansons ou aux vieilles photos : recomposée par la nostalgie. Ce n'est plus la magie du spectacle qui nous éblouit ni la poésie d'un univers enchanteur, c'est le regret de la jeunesse, l'embellissement par la mémoire des années passées.

    D'autres genres, tout aussi codifiés et tout aussi oniriques ont subit le même sort : le western, le fantastique, le burlesque (dont la Comédie Musicale était, somme toute, très proche).

Alain Jacques Bonnet