Chercheuse au C.N.R.S., directrice du Centre de Documentation sur le cinéma Chinois, elle est venue présenter à la Médiathèque François Mitterrand son film Rêves de singe consacré aux Studios de Shanghai et aux réalisateurs qui ont créé le cinéma d'animation dans ce pays.

    Nous avons retenu quelques propos des entretiens que nous avons eus avec elle.

La genèse :

    Ma génération s'intéressait beaucoup aux pays étrangers. J'étais d'ailleurs aux Etats-Unis en 1964 avec mon mari et lorsque nous sommes rentrés à Paris nous avons découvert une annonce dans Le Monde qui proposait un voyage en Chine.

    C'est l'époque de la reconnaissance de la Chine par De Gaulle (1964), en fait la reprise des relations diplomatiques. Nous avons fait ce voyage et revenus à Paris, désireuse pour ma part d'en connaître davantage, je me suis inscrite pour des cours de chinois à ''Langues O'' puis à la Sorbonne qui, je l'avais appris, donnait aussi des cours de chinois.

    Mais Il fallait pour cela avoir déjà pratiqué cette langue au lycée (à cette époque, seuls trois lycées en France offraient cette possibilité) mais comme j'avais une licence d'histoire j'ai eu l'autorisation de pouvoir suivre ces cours. Je me suis pris de passion pour ce pays, surtout pour ses différentes cultures. De grandes variantes de langage existent entre le nord et sud. Les langues et les manifestations culturelles sont différentes d'une région à l'autre. Cette diversité fabuleuse est passionnante.

    Le Chine est comme Rome. Il lui fallait civiliser ses barbares et depuis l'empereur Ming, qui envoya ses soldats aux confins du pays pour transmettre les valeurs de la Chine centrale, ce sont les troupes qui amenèrent en terre étrangère leurs croyances et leurs cultures notamment l'opéra et l'écriture.

    A l'intérieur des provinces ce sont en effet les caractères écrits qui servaient de liens (par exemple entre Canton ou Hong Kong, qui sont d'autres mondes, et le Nord) mais peu de Chinois les connaissaient faute d'avoir été à l'école. Bien que de culture écrite, la Chine était en fait un pays de l'oralité.

La peinture chinoise :

    Les gens croient que la peinture chinoise est de la peinture à l'eau. Mais ce n'est pas cela ! La peinture à l'eau se fait avec un pinceau droit et sur du canson qui est un papier dur sur lequel on peint en biais. La peinture chinoise se fait sur un ''papier de mûrier'' qui est un papier qui boit l'eau ; l'encrier est en pente avec une pierre à encre qui sert à broyer l'encre dans l'eau. On imbibe d'encre le pinceau en poils fins, et, selon que l'on désire un trait plus ou moins épais, un noir plus ou moins sombre, une couleur plus ou moins vive, on va prendre l'encre dans différents endroits de l'encrier, en choisir la densité, appuyer le pinceau droit sur la feuille, plus ou moins fort, pour obtenir un trait écrasé, fin ou épais.

    Ce sont surtout des paysages qui sont représentés, particulièrement dans ce qu'on appelle '' La peinture du sud du fleuve'', paysages dont les montagnes et l'eau constituent les bases. C'est toujours une peinture rapide.

La fonction du cinéma :

    Je me suis intéressée au cinéma d'animation chinois parce qu'en 1965, fut projeté à Paris la première partie du Roi des Singes (créé en 1963). Postérieurement les deux parties qui composent le film furent remises ensemble pour son exploitation en France en 1983. J'ai trouvé ce film tellement beau que je fus impressionnée et que je suis devenue passionnée par cet art. Dès lors j'ai voulu le connaître davantage, Mais l'année suivante c'était la révolution culturelle.

    Dès le début du XXème siècle, puis après la guerre, les intellectuels chinois ont pensé que le cinéma était un outil propice à répandre leurs idées car il était possible d'effectuer de nombreuses copies des films réalisés et donc de les diffuser largement. Cela permettait de répandre oralement la langue classique pour les gens du peuple qui s'exprimaient dans des dialectes très divers (un peu comme en France au Moyen-Age).

    Le cinéma permettait de répandre la culture officielle à travers l'oralité.

    C'était aussi le rôle du théâtre chanté, qu'on appelle nous, l'opéra. Mais ses acteurs n'avaient pas été à l'école, qui servait à former les fonctionnaires, et leur savoir se transmettait oralement de maître à élève avec toutes les disparités qu'on imagine. Le cinéma permettait de fixer cette culture.

    Même encore aujourd'hui d'anciennes pièces du répertoire sont adaptées au cinéma dans le même but.

Le cinéma d'animation :

    En fait le cinéma d'animation chinois ce n'est pas du cinéma : c'est de la photographie animée image par image entièrement mise au point par les maîtres chinois.

    Pour différentes raisons techniques on ne peut pas utiliser des ''cellulos'' (comme dans la technique américaine ou dans la majorité de l'animation en occident) entre autres parce que la reproduction des images est différente, que le support plastique ne boit pas l'eau, ce qui est fondamental comme nous l'avons vu tout à l'heure.

    De plus le cinéma d'animation chinois est né d'un rêve. Celui de gens passionnés qui après la guerre furent des supporters inconditionnels d'un grand peintre, qui était déjà un vieux monsieur à l'époque, mort à la fin des années 50, et s'appelait Qi Baishi. Celui-ci, homme simple et d'origine modeste avait l'aval des autorités communistes et bénéficiait d'une très grande notoriété. Il peignait surtout des animaux, des paysages, des représentations apparemment simples mais qui relevaient en fait d'une très grande maîtrise technique.

    Un rêve est venu chez certains: ne pourrait-on pas animer la peinture de Qi Baishi ?

    La grande valeur des films d'animation chinois des années 50 et 60 est sans doute née de cette ambition. Dans ces années, celles du ''grand bond'', les créateurs travaillaient en équipe. Comme ils ne pouvaient utiliser les techniques traditionnelles, ils en inventèrent d'autres, avec une passion, une patience et un savoir faire qui leur apporta ce style magnifique, d'une poésie unique et reconnaissable. Ce travail s'effectua dans les studios de Shanghai où, regroupés, les dessinateurs et les animateurs vivaient une telle aventure, dans un état d'esprit si enthousiasmant qu'il leur arrivait fréquemment de travailler 24h
sur 24, dormant sur place même si leur appartement se trouvait tout près du studio (dans la cour de derrière).

    Là aussi était la passion.

Les maîtres :

    Les frères Wan, principalement Wan Laiming (Le roi des singes) et Wan Guchan (le découpage animé) furent les grands précurseurs de cet art moderne qui s'appuyait pourtant sur les richesses de la
tradition.

    A l'œuvre à Shanghai dès les années 1920, ils partirent travailler à Hong Kong en 1945 après les vicissitudes de la guerre. Puis ils revinrent à Shanghai au début des années 50 où ils retrouvèrent immédiatement du travail grâce au chef des studios qui connaissait leur valeur. Il permit à Wan Laiming de réaliser son rêve : Le Roi des singes qui bouleverse le palais céleste dont le projet initial date de 1940.

    Son frère Guchan, l'inventeur de l'animation de papiers découpés, connu pour avoir réalisé en 1954 Zhu Bajie mange la Pastèque, ne put, quant à lui, réaliser son rêve qui était de transposer le ''théâtre d'ombre'' au cinéma. Wan Chaochen, le frère cadet, travailla, lui, sur l'animation de poupées.

    S'ils furent reconnus et considérés comme des Maîtres jusqu'à la révolution culturelle, celle-ci les priva de leurs outils de travail et les envoya se ''rééduquer'' à la campagne dans des fermes d'état. Ils n'avaient plus le droit de dessiner !

    On ne savait d'ailleurs pas ce qu'ils étaient devenus !

    A partir de 1966, tout était critiqué, Le Roi des singes lui-même fut interdit.

    Ce n'est qu'à la mort de Mao, en 1976, que le cinéma s'est remis à fonctionner. ''Nezha'' (Le prince Nezha triomphe du Roi Dragon), réalisé par Wang Suchen, date de 1979.

    Te Wei, qui fut directeur des studios de Shanghai jusqu'en 1985, est une autre grande figure du cinéma d'animation chinois (La flûte du Bouvier, 1963).

    Beaucoup de films des années 50 et 80 étaient adaptés de récits tirés du roman Voyage en Occident.

La situation actuelle du cinéma d'animation chinois et la place de votre film :

    A partir des années 1990, le cinéma d'animation a perdu le soutien financier de l'état. En Europe les aides des états ont pu sauver les cinémas nationaux, mais rien de tel en Chine. Les films qui alimentent la propagande passent à la télévision et eux seuls. La plupart des salles de cinéma ont été détruites, surtout à la campagne ; les courts-métrages d'avant films, le plus gros marché de l'animation, ne sont donc plus programmés.

    Par ailleurs la concurrence japonaise et ses mangas bas de gamme occupèrent très vite les marchés occidentaux (Ils surent très bien créer ce marché en donnant quasi-gratuitement leurs productions).
Les animateurs chinois ont donc commencé à travailler pour l'étranger car si le cinéma chinois qui vient du ''Tout contrôlé par l'état'' semble être aujourd'hui soumis aux lois du marché pures et dures, il est, en réalité, resté contrôlé par le régime. Restent les films d'écoles.

    Comme le Japon, Taiwan est aussi un producteur de films de qualité.

    Rêves de singe n'est pas un film destiné à enrichir qui que ce soit car personne ne connaît le cinéma d'animation chinois.

    Un document comme celui-là est précieux car ce sont les créateurs eux-même qui s'y expriment directement.

    Le producteur Point du Jour, a mis trois ans pour le distribuer. Par ailleurs ARTE nous avait commandé un film d'une ½ heure qui est passé lors d'une soirée sur le cinéma d'animation... japonais !

    Aujourd'hui le cinéma d'animation chinois, et les productions du Studio d'Art de Shanghai font l'objet de quelques rétrospectives, comme celle du festival d'Annecy en 1985, celle de Paris en 2007 et celle du cinéma Le Denfert à Paris en 2010.

    Il est prévu une programmation de plusieurs films lors du prochain festival d'Angers.

Propos recueillis par Alain-Jacques Bonnet