LA FLÛTE DE ROSEAU (1989) de Emek SHINARBAEV

Sorti en France pour le festival de Cannes 2010

Avec Aleksandr Pan, Valentina Te, Kasym Zhakibayev

    Sauvé par la ''Word Cinema Foundation'' de Martin Scorsese, le film de Shinarbaev est une nouvelle pépite d'or du cinéma mondial, un film venu du Kazakhstan, qui offre au spectateur un conte mystérieux, une nouvelle fantastique venue d'un lointain passé.

    Il présente des qualités visuelles exceptionnelles dues à un éclairage frontal tamisé dont les sources lumineuses sont obtenues, avec une grande maîtrise, par l'utilisation des rayons du soleil. Cette lumière si particulière apporte au film une dimension supplémentaire, d'une grande portée philosophique, dans lequel l'esprit et la matière vivent en harmonie dans l'univers et que l'œil saisit sans nécessairement comprendre et en s'affranchissant de tout rationalisme.

    Partagé en sept chapitres, le film est d'abord situé dans une Corée médiévale où il conte l'histoire d'un prince devenu roi, bien imbu de son autorité, qui place la force au-dessus de toute valeur. Alors qu'il est prêt à faire exécuter l'un de ses hommes, son ami d'enfance, un poète lui conseille de suspendre cette exécution. Mais déçu, le poète va choisir l'exil d'autant que, dans ce royaume, son inspiration s'est progressivement tarie. Ainsi se dessine l'un des thèmes principaux du film : l'opposition entre le pouvoir et la poésie, l'impossibilité d'enfermer la poésie dans un carcan, la liberté que l'homme doit conquérir pour s'affranchir de toute forme d'aliénation.

    Construit comme un conte à tiroir proche des ''Mille et une nuits'', le film se déroule en sept périodes, allant du passé au contemporain. Là, il raconte la transmission d'une vengeance d'un père vers son fils où ce dernier, frappé par cette malédiction culturelle, est condamné à une existence tournée vers une tâche sordide qui le prive de sa liberté de choix. Mais les rebondissements de l'histoire, de la vie même, font en sorte que, jusqu'à un certain point, rien n'est écrit, bien qu'il faille accepter que nous ne soyons pas maître du destin.

    De plus, ici, c'est la nature même qui participe pleinement au déroulement de cette histoire imprégnée de la pensée bouddhiste.

    L'écriture de La flûte de roseau est surprenante, faite de ruptures, d'ellipses, de flash-back, de cycles, dans de belles compositions picturales qui tracent les lignes obliques de la terre vers le ciel. À des moments déterminés, des gros plans de visages permettent de saisir subrepticement l'âme des personnages. La poésie envahit cette œuvre splendide en peignant l'ensemble des sentiments contradictoires, positifs ou négatifs, qui agissent sur l'homme.

    On pense aussi à Rûmi lorsqu'un personnage dit : « l'homme est comme une flûte sur laquelle on joue une mélodie ».

    Sur le plan historique, le film nous apprend aussi qu'une diaspora de plusieurs milliers de Coréens, en plein territoire de l'ex-URSS, juste avant la seconde guerre mondiale, fut expulsée par Staline qui les considérait comme une race inférieure, au Kazakhstan. C'est chez ces hommes-là que Shinarbaev capta certaines légendes.

Lionel Tardif