Revanche de l'argentique ? Sauvegarde et restauration des films à l'ère du numérique

Si dans les premières décennies qui ont suivi la naissance du cinéma, le problème de la conservation des films ne s'est pas posé, c'est devenu progressivement un impératif pour les amoureux du cinéma comme Henri Langlois qui sont à l'origine de la création des premières cinémathèques dans le monde, lieux destinés à la préservation de ces nouveaux biens culturels que sont devenus les films.

La conservation a d'abord consisté à récupérer une copie des films produits, à rechercher une copie des films plus anciens, et à les stocker dans des conditions et des lieux souvent inadaptés. Les destructions accidentelles et les dégradations constatées dans les lieux de stockage ont bouleversé les modalités de conservation et de sauvegarde en un premier temps et donné naissance à ce que l'on a appelé les opérations de restauration.

Un film sur pellicule est constitué d'un support en plastique (nitrate de cellulose jusqu'aux années 50, triacétate de cellulose jusqu'aux années 90, et polyester ensuite) et d'une couche d'éléments chimiques à base de cristaux d'argent (d'où le qualificatif d'argentique pour ce type de films).

Mais les supports des films sont fragiles et demandent des conditions de conservation spécifiques qui seules permettent d'allonger considérablement leur durée de vie.

Lorsqu'ils se détériorent, la sauvegarde du film nécessite son transfert sur un nouveau support pellicule stable. Ce transfert consiste à reproduire fidèlement le film originel avec éventuellement les premiers défauts résultant de l'ancienneté du film et de sa manipulation.

Lorsque les éléments chimiques se dégradent avec le support, il est nécessaire d'engager un processus de restauration qui consiste à corriger les défauts de façon à rétablir toutes les qualités visuelles et sonores du film tel qu'il fut à sa sortie. Ces travaux difficiles à réaliser sur support pellicule ont été facilités avec l'apparition du numérique, qui semble être arrivé à point pour sauver de la destruction des stocks très importants de films de toutes sortes (supports d'origine et formats différents, muets ou sonores, en noir et blanc ou en couleurs...).

Cette nouvelle technologie qui s'est développée rapidement et permet d'obtenir aujourd'hui une qualité d'image et de son égale ou supérieure au 35 mm sonne-t-elle pour autant le glas des films sur pellicule ? Ce n'est pas certain.

Si le numérique permet de restaurer plus facilement les films, il convient de veiller à ne pas dénaturer l'œuvre originelle, certaines restaurations ayant été fortement critiquées. La copie argentique est transférée sur support numérique et ensuite les travaux de restauration peuvent être engagés : nettoyage pour enlèvement des salissures et moisissures, étalonnage, travail sur le son et la couleur...

Aujourd'hui, de nombreux acteurs préoccupés par la préservation du patrimoine se sont impliqués dans la restauration des films ; mais les enjeux financiers sont importants car les coûts des restaurations très élevés impliquent des choix de priorité (quels films restaurer ?) :

- La société Lobster Films de Serge Bromberg, « chasseur d'images » à la recherche de films anciens, comme la version en couleur du film de Méliès, Le voyage dans la lune. Son objectif vise à restaurer les films pour les montrer au public.

- Les Archives françaises du film au sein du CNC (Centre National de la Cinématographie) ont engagé depuis de nombreuses années, un programme ambitieux d'inventaire des collections, de sauvegarde, de restauration et de numérisation de leurs stocks.

- La Cinémathèque Royale de Belgique, qui respecte un certains nombre de critères afin de ne pas trahir l'œuvre conçue à l'origine, mais reconnaît qu'il existe une tendance à vouloir « donner à un film des années 30 l'air d'un film des années 70 ».

- The Film Foundation créée par Martin Scorsese, à qui nous devons la restauration de La servante (film coréen de 1960), Les Chaussons rouges, Le Guépard ...

- La Cinémathèque de Bologne, avec son laboratoire « Immagine ritrovata » créé en 1992 qui a restauré plusieurs milliers de films, dont les plus célèbres, comme Rome ville ouverte, ont été présentés au Festival du film restauré en juillet 2013. Pour Gianluca Farinelli, directeur de la Cinémathèque de Bologne (que nous verrons lors de la séance de clôture des Journées du film italien), il est impératif de sauver ce patrimoine face « au projet conscient et concerté de tuer ce cinéma trop critique, trop en avance sur la société ».

Mais à côté de la restauration des films, le développement du numérique au niveau de la prise de vue et de la projection en salle a entraîné en parallèle un vaste mouvement de numérisation des films, facilitant par ailleurs leur commercialisation sous forme de DVD auprès du public.

Aujourd'hui, la quasi-totalité des salles de cinéma sont équipées en numérique, les projections de films 35 mm se faisant dans des salles spécialisées... mais jusqu'à quand ?

Conséquences de la révolution numérique, c'est toute la filière argentique qui est menacée, de la fabrication de la pellicule, son traitement, la postproduction, y compris le matériel avec les caméras et projecteurs. En France c'est la fermeture du laboratoire de développement LTC et aux États-Unis, en 2012, le dépôt de bilan de la société Eastman Kodak, l'arrêt complet de la fabrication de caméra 35 mm Panavision et Arriflex et la cessation prévue pour 2013 de toute distribution sur support pellicule. « Le déclin du 35 mm est donc maintenant devenu une réalité, une réalité pure et dure » (in La Fin du cinéma de André Gaudreault et Philippe Marion).

Et pourtant, la conservation du numérique est incertaine, à côté de la pellicule argentique, qui sauvegardée de façon correcte, peut être conservée une centaine d'année. C'est ce qui explique que les copies numérisées et restaurées sont « reconverties » en pellicule argentique, ce qui n'est pas le cas actuellement de la production réalisée directement en numérique. Le risque de perdre à terme les créations contemporaines est grand. Comme le résume Serge Toubiana (Cinémathèque Française), « on est à un moment paradoxal de l'histoire du cinéma ».

L'argentique peut éventuellement connaître ainsi une seconde vie !

Paul Neilz