Ciné Off, le cinéma itinérant

Ciné Off fête en 2014 ses 30 ans. Chaque année, de 70 à 80 000 spectateurs voient un film grâce à cette association, qui navigue entre le cinéma itinérant, les salles fixes et les scolaires. Ciné Off a la particularité d'aller là où il n'y a pas (ou il n'y a plus) de salles de cinéma, souvent en milieu rural et circule sur tout le territoire de l'Indre-et-Loire.

.À l'occasion de ses 30 ans, Jean-Claude JOULIN, son vice-président, nous détaille ses actions.

Aurélie Dunouau : Quel était l'objectif de Ciné Off à sa naissance ?

Jean-Claude Joulin : On a repris, comme au début du XXème siècle, le principe du cinéma itinérant.

L'objectif, c'était de faire revivre le cinéma. C'était en 1983, en pleine période de fermeture des salles dans le milieu rural surtout, et même en milieu urbain, puisque des salles de quartier ont fermé à cette époque.

Et puis il y avait aussi une disparition des cinés-clubs qui fonctionnaient dans les petits villages, notamment dans les collèges et les lycées où chacun avait son ciné-club, en format 16 mm à l'époque. Mais c'était une période de chute de fréquentation des cinémas considérable.

A.D. : Quelles ont été vos premières actions pour faire revivre ce type de cinéma en voie de disparition dans les années 80 ?

J-C.J. : J'ai retrouvé la première lettre que j'avais envoyée à plusieurs communes, en demandant aux maires s'ils étaient d'accord pour relancer une activité cinéma dans leur commune. La seule condition était de disposer gratuitement d'une salle dans leur commune. On ne demandait pas de participation financière donc c'était juste l'accès gratuit à la salle et on fournissait tout, le projecteur, le projectionniste, la billetterie, les autorisations et le film bien sûr.

A.D. : Vous menez aussi une action importante d'éducation au cinéma dans les écoles, collèges, lycées...

J-C.J. : Oui parce que dès que ces dispositifs ont été installés, il y a une vingtaine d'années, "Collège au cinéma", "École au cinéma" puis "Lycéens au cinéma", on a considéré que c'était un des objectifs de notre association de former le jeune public et qu'il y ait une éducation à l'image très tôt.

On touche surtout les enfants qui n'ont pas accès au cinéma. Quand on va à Château-la-Vallière, à Preuilly-sur-Claise, ou dans des secteurs éloignés, voire même à Yzeures-sur-Creuse, ce sont des enfants qui n'ont pas la proximité d'une salle de cinéma. Je me souviens de la réflexion d'un enfant de 6ème quand il a vu la dimension de l'écran, il a dit: "Oh, mais je n'arriverai jamais à tout voir ! " Certes, c'était il y a une quinzaine d'années mais les enfants en milieu rural sont plutôt habitués à voir des images dans le cadre de la télé. Il y a encore des enfants qui ne sont jamais allés au cinéma, et parfois "École au Cinéma "représente leur première expérience avec le cinéma.

A.D. : Aujourd'hui l'association a trente ans. Comment se porte Ciné Off, quel bilan dressez-vous ?

J-C.J. : L'association peine toujours financièrement, nous avons toujours fonctionné avec des emplois aidés ; nous avons démarré à l'époque avec des objecteurs de conscience, puis des emplois jeunes, TUC... Actuellement, nous avons 10 salariés dont 4 emplois aidés par la région, des ''Capasso''. Mais on arrive à s'autofinancer à 75 %, grâce aux emplois aidés et aux entrées apportées.

Depuis une dizaine d'années, nous avons l'objectif de rouvrir des anciennes salles de cinémas. On a commencé par Château-du-Loir, et puis il y a deux ans Langeais, qui avait une belle salle de cinéma qui demandait à être rénovée. On a ouvert une salle d'excellente qualité. On a rouvert des salles, soit en lien avec des municipalités, soit comme à l'Île-Bouchard récemment, la communauté de communes a créé une salle qui a la capacité d'accueillir des projections. C'est une évolution par rapport au circuit itinérant qu'on a maintenu dans les petites communes, mais on a bien amélioré le confort et les projections dans des salles fixes, comme à Sainte-Maure aussi, et puis dans la banlieue, à Saint-Pierre- des-Corps, Joué-les-Tours, et Saint-Cyr, c'est plus axé sur un public de troisième âge. À Saint-Cyr, on accueille 150 à 200 personnes chaque jeudi. Il y un besoin important. À Joué-les-Tours, il y aussi une volonté d'aller chercher les gens dans les ''maisons de retraite''. Je me souviens de la réflexion d'une grand-mère qui n'était pas allée au cinéma depuis 30 ans. Ça fait plaisir !

A.D. : Comment se passent les projections dans les lieux dans lesquels vous vous adaptez? Comme les projections en plein air ?

J-C.J. : Dans les lieux itinérants, on est obligés d'amener le projecteur, tout le matériel son...c'est un travail supplémentaire pour les projectionnistes.

Le cinéma en plein air, ça marche bien. Une cinquantaine de projections sont organisées durant les trois mois d'été, nous allons jusqu'en Eure-et-Loire. C'est lié à un côté un peu plus festif, avec pique-nique, musique en 1ère partie... Les projections sont gratuites et achetées par des collectivités ou associations.

A.D. : Ciné Off au final concerne toutes les communes du département ?

J-C.J. : On est lié à la réglementation : on ne peut pas projeter dans une commune qui est à moins de 15 km d'une salle fixe de cinéma.

Et puis, on ne va que dans les communes où on ressent une demande et où on a l'appui, le support, d'une association locale. Dès le début, on a souhaité que les gens qui faisaient l'accueil du public soient les gens de la même commune, on voulait une relation cordiale avec les spectateurs et non pas assurer nous-mêmes la billetterie car cela aurait été perçu comme une prestation extérieure. Les associations relais peuvent être un foyer rural, le comité des fêtes,...

A.D. : Comment sont choisis les films projetés ?

J-C.J. : Les films sont sélectionnés par une commission de programmation, qui comprend des représentants de plusieurs communes et notre directrice. On est classé "Art et Essai" sur trois salles, Langeais, Buzançais et Sainte-Maure, ainsi que le circuit itinérant. Mais il est bien évident qu'on ne diffuse pas pour une élite, on prend tous les films grands publics, mais sans tomber sur les films trop faciles ou vulgaires. Il faut qu'ils correspondent à nos objectifs.

A.D. : Comment vous situez-vous face aux défis actuels, le numérique comme le projet de multiplex à Tours-Nord ?

J-C.J. : On est plutôt inquiets. Pour le numérique en salle, il n'y a pas de problème, mais pour le circuit itinérant, on s'aperçoit que le matériel proposé par les fabricants n'était pas prévu pour. Cela a posé des difficultés pour certaines projections.

On craint aussi le multiplex de Tours-Nord, parce qu'il est dans un secteur proche dans lequel on diffuse, comme Notre-Dame-d'Oé. On ne peut plus lutter, l'autorisation est donnée. Maintenant, on va rencontrer les mairies des communes concernées et voir quels sont leurs objectifs vis-à-vis de nous, du maintien de ce type de cinéma, et puis, le Conseil Général pour lui demander s'il peut augmenter sa subvention, compte tenu du fait qu'on aura obligatoirement une perte de public dans ces secteurs.

Propos recueillis par Aurélie Dunouau