Souvent poules, coqs ou dindons sont associés à l'enfance, toujours présente dans le paysage de la ruralité, éléments pourtant très éloignés des désirs d'un héros de Peckinpah, trop individualiste pour espérer ne serait-ce même que le sourire d'un enfant. Ceux-ci sont des témoins, observateurs et parfois victimes (New Mexico, La horde sauvage) des agissements des fous qui peuplent la terre. Mais l'innocence est terriblement ambiguë et l'enfant est aussi le primitif qui torture les créatures plus faibles (poules ou scorpion dans Coups de feu dans la Sierra, La horde sauvage) et reste indifférent aux rituels de mort (la balançoire avec la corde de la pendaison dans Pat Garrett et Billy le Kid, les jeux dans le cimetière dans Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia). Les enfants n'ont pas de frontières avec la mort, ils sont le cœur antique. Comme les femmes, ils ne peuvent être aimés que dans une utopie lointaine que les perdants n'atteindront jamais.

D'autres signes existent aussi dans la nature ! Ils servent à marquer les limites du monde, les frontières franchies ou espérées derrière lesquelles se dessinent paradis ou enfer. La rivière – le Rio Grande ? – est présente dans de nombreux films, comme une barrière qu'on saute et qui sépare la vie et la mort. L'eau qui sert à la toilette est source d'espoir et de régénérescence mais le relâchement est porteur de danger.

C'est aussi la montagne qu'il faut franchir et qui se dresse entre les hommes, autre frontière naturelle, et quand ce n'est pas une montagne c'est un désert, toujours une ligne physique constituant la démarcation. Mais que ce soit une rivière, une montagne ou un désert, les franchir est une libération, car ces espaces sont toujours synonymes de renouveau, d'espoirs de chasse ou de fuite, donc de vie ! Leur absence clôt le territoire dans lequel les affrontements sont inévitables et la fin inéluctable.

Une fois de plus, l'analogie entre l'univers artistique de Peckinpah et l'inconscient collectif américain est terriblement flagrante.

C'est que, dans cette nostalgie de la vie rustique et du territoire élémentaire, il retrouve, sans aucun doute de façon inconsciente, les éléments dramatiques des grandes tragédies primitives, lorsque furent fondées les diverses formes de civilisation, fresques qui mettaient en scène les difficultés de la sédentarisation face à la rude organisation libertaire du nomade. Comme chez John Ford, ses personnages contraints de vivre et de survivre ensemble dans le retour obligé aux vertus fondamentales de l'errance, sorte d'école humaniste (voir Jack Kerouac) qui est chez Peckinpah la seule méthode permettant de trouver la force suffisante pour continuer à exister. Ses héros sont tous des nomades qui tentent plus ou moins de se fixer, avec la quasi-certitude de vivre leurs derniers moments. Certains tourneront le dos à leur ancien état (Pat Garrett et Billy le Kid) d'autres retrouverons leurs vieux réflexes primaires (Chiens de paille), d'autres partiront dans des croisades sans espoir pour mourir dignement (Coups de feu dans la sierra, La horde sauvage, Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia, Croix de fer, Osterman Week-end) quelques-uns poursuivront leur errance devenue inutile à travers un monde hostile (Junior Bonner, Le convoi), les derniers iront peut-être, mais nous avons du mal à y croire, vers le Mexique, ultime Eldorado mythique (Guet-apens, Tueur d'élite).

Le paradis de la piste n'existait pas, la liberté de s'y mouvoir restait utopique, mais il servait de sas interdisant aux médiocres de subsister en laissant le champ libre aux hommes forts, ceux qui s'accommodaient de la mort. « Ce qui prouve une chose prouve aussi son contraire, ce qui donne la vie donne aussi la mort ». D'une quête naïve et ''baba cool'', il ne garda que les bornes extrêmes, vaines et profondément pessimistes. A contre-courant, une fois de plus !

Dans son dernier film, Osterman week-end, Peckinpah usé, malade, tentant de ressouder les éléments épars de sa vie, décrit un univers métallique, déshumanisé où chaque personnage est l'objet de voyeurisme manipulateur, où la médiatisation placée sous l'égide d'une technocratie castratrice, impitoyable et corrompue ne sert qu'à brouiller les cartes et à éliminer le corporel et le sensuel (dans la première scène, la femme qui vient de faire l'amour avec son mari est froidement supprimée). Fidèle à la thématique récurrente : maison assiégée, groupe d'où jaillit le danger, retour à la sauvagerie, le film est très brillant sur le plan formel, utilisant toutes les formes de cinéma, jouant des astuces techniques comme jouent les protagonistes. Il est l'aboutissement de toutes ses craintes précédemment exprimées, comme s'il fallait démontrer par l'absurde la justesse de l'analyse du cinéaste et justifier son désespoir. C'est aussi un sujet d'une actualité brûlante.

On peut ne pas apprécier cette vision du monde, on peut même la rejeter avec une violence aussi forte que celle dont il abusa, refuser cette vision nihiliste et ne pas se laisser fasciner par un tel savoir-faire cinématographique, mais on ne peut nier la force de la représentation, la cohérence de son désespoir et la rigueur de sa démonstration. Sam Peckinpah, en peignant ses barbares nomades fut à l'image de cette Amérique déboussolée et belliqueuse qui engendra Ronald Reagan et ''The Bush Family ''. Les vieux brigands de La Horde Sauvage n'ont plus que des barouds d'honneur à mener pour ne pas être fichés, enregistrés et contrôlés.

Il a sa place dans l'histoire du cinéma car il fut le père de bien des cinéastes modernes, de John Woo à Martin Scorsese en passant par les frères Coen et les Watchowski, Michael Mann et de nombreux Japonais ou Coréens, qui, avec plus ou moins d'adresse, utilisèrent les éléments épars de la grammaire cinématographique qu'il avait su remettre à l'honneur.

Alain Jacques Bonnet

David Samuel Peckinpah est né à la Peckinpah Montain à Madera County (Californie) le 21 février 1925, mort à Inglewood (Californie) le 28 décembre1984.

D'origine allemande par sa famille (Peckinpah vient de Peckinpaugh) il est le petit-fils de Charles qui posséda une scierie et acheta, pour l'exploiter, la montagne qui portera son nom. C'est lui qui adopta deux indiennes de la tribu des Sierras Mono que Sam, qui sans aucun doute les connut, transforma en ancêtres directs pour soigner sa légende. Son grand-père maternel : Denver S. Church était un éleveur, qui devint ''congressman'' puis juge de haute instance. Son père, David. E. Peckinpah, fut aussi juge dans le même Comté californien.