« Le théâtre, c'est du présent. Le cinéma, c'est du passé. Au théâtre, les acteurs jouent. Au cinéma, ils ont joué »
Sacha Guitry, Le cinéma et moi, Paris, Ramsay, 1977, p. 87.

Sacha Guitry, écrivain, dramaturge, cinéaste, avait déjà porté à l'écran plusieurs de ses pièces de théâtre comme Pasteur, monté au Vaudeville pour la première fois le 23 janvier 1919 et adapté au cinéma en 1935 – avant de se lancer, en 1936, dans l'adaptation cinématographique de son unique roman, Mémoires d'un tricheur, publié un an plus tôt.

Soulignant le passage d'un médium à un autre, Guitry a toujours choisi la mise en abyme de la technique cinématographique pour forger son style, notamment par le recours à la voix-off, commentant les actions des personnages à l'écran. Cette distanciation avait déjà été opérée dans Bonne chance ! (1935), dans lequel les protagonistes analysaient la structure du film. Dans Le Roman d'un tricheur, c'est dès l'ouverture que le cinéaste désigne la mécanique cinématographique, en citant le générique artistique et technique, tandis que chacun des collaborateurs s'exécute devant la caméra, en commençant par lui.

Le Roman d'un tricheur est ainsi une fiction commentée, la voix-off du narrateur-personnage interprété par Guitry étant omniprésente. Comme à l'âge du cinéma muet, Guitry reprend le rôle du bonimenteur, qu'il avait déjà campé pendant les projections de Ceux de chez nous (1915), - documentaire dans lequel il présentait les grands hommes de son temps, filmés dans leur activité -, pour commenter chacune des scènes du film. Les acteurs sont muets et exécutent les scènes décrites par Guitry dans son livre et rappelées en voix-off dans le film.

Cette technique lui permit de conserver la structure romanesque initiale de son livre, puisqu'il n'eût pas à le découper en scènes dialoguées. Une seule fois dans le film ce principe du récit à la première personne est interrompu pour laisser place à un dialogue avec Marguerite Moreno.

Pour ce film comme pour les autres, Guitry s'est entouré de sa troupe d'acteurs fidèles, dont Pauline Carton, Marguerite Moreno, et son épouse d'alors Jacqueline De Lubac. L'histoire raconte le malheur d'un enfant se retrouvant orphelin suite à une intoxication alimentaire ayant touché toute la famille. Lors d'un repas de famille, le narrateur fut privé de champignons, qui s'avéreront mortels, pour avoir volé huit sous. Se retrouvant seul survivant, il releva ce paradoxe : tout lui réussit quand il triche, tandis que son honnêteté est mal récompensée. Sa vie sera alors entraînée par la triche et le mensonge. Il devient joueur à Monte-Carlo, trichant pour gagner de l'argent. C'est finalement la rencontre avec un homme lui ayant sauvé la vie pendant la guerre, qui le poussera, dans un élan moral, à redevenir honnête. Malheureusement, toute sa fortune y passera.

Cette histoire, aux élans dramatiques, est en fait traitée, comme toujours chez Guitry, avec humour. La voix-off, équivalent du « je » en littérature, procédé narratif consistant à faire commenter l'action d'un film par le narrateur, produit ici un fort effet d'ironie, par le décalage subtil entre l'action et le commentaire. C'est ce que Michel Chion appelle la « parole-texte », « c'est-à-dire une parole qui commande entièrement l'enchaînement des images, et prive le montage de toute autonomie ». Elle est employée ici de manière systématique et permet à Guitry de promener le spectateur à travers les différentes strates temporelles de l'histoire sans qu'il ne soit perdu. Tout le film est en effet construit sur le principe du flash-back.

Comme dans Pickpocket, de Robert Bresson, (1959), le récit s'ouvre sur le personnage principal, qui, assis à la terrasse d'un café, écrit ses mémoires. C'est cette écriture, semblable à un acte de rédemption, qui sera le fil conducteur du récit. Les cinéastes de la Nouvelle vague firent également abondamment référence à cette narration en voix-off, notamment François Truffaut dans Jules et Jim (1961), et Jean-Luc Godard dans Le Petit Soldat (1961), sans l'employer pour autant tout au long du film comme Guitry.

Aussitôt reconnu comme un chef-d'œuvre, Le Roman d'un tricheur ne permit pourtant pas à Sacha Guitry de s'affirmer en tant que cinéaste. Il fut en effet longtemps sous-estimé au cinéma, sa carrière théâtrale jetant l'ombre sur cet autre aspect de son art. Ce sont justement ces cinéastes de la Nouvelle Vague cités précédemment, qui, juste avant sa mort, permirent sa réhabilitation, en le considérant comme un des auteurs les plus importants du cinéma français.

Manon Billaut