La critique "Classe"

Le 13 janvier dernier, la Cinémathèque recevait pour la présentation des Amours d'une blonde de Milos Forman, la critique de cinéma Charlotte Garson. Fine, élégante et analytique plume, elle fait figure de référence dans le milieu, passée par les ''Cahiers du Cinéma'', aujourd'hui publiée dans la revue '' Études '' et diffusée sur France Culture dans l'émission ''La dispute'' d'Arnaud Laporte.

Visiblement toujours aussi ravie de venir à Tours, ''terreau cinéphile'', elle se dit impressionnée, à chaque fois, par la cinéphilie du public. Et nous avons été impressionnés par la qualité, la clarté et l'intérêt de son discours autour de la critique de cinéma, de la transmission et du cinéma en général.

Aurélie Dunouau : Être critique de cinéma, c'est être très exposée à la critique. Avoir une place plutôt inconfortable. Comment voyez-vous votre métier et en quoi vous paraît-il utile ?

Charlotte Garson : Il est inconfortable parce que c'est presque une non-place, puisqu'elle est non seulement marginale mais jugée, par certains, parasitaire par rapport à l'art : à quoi sert cette médiation ?

Si on la prend dans l'hypothèse basse, ce serait un guide de consommation. D'où le fait que j'estime que les tableaux avec les étoiles dans les revues, c'est anti-critique dans le sens où il n'y a aucun développement possible dans l'art. Mais quand même dans la critique, il y a une partie d'évaluation, de jugement et je trouve que c'est à la fois l'aspect le plus périssable et à la fois ce sur ce quoi les gens vous attendent le plus. C'est un paradoxe. On voit les films dans des conditions très circonstancielles, par exemple en festival ou en projection de presse où on ne sait rien de ce qu'on va voir... ou bien qu'on soit mal disposé au moment de l'écriture.

Donc cet aspect d'évaluation est le plus périssable et le moins intéressant même si j'accorde beaucoup de place au jugement de goût. Par exemple, la tradition critique des Cahiers du Cinéma, à laquelle je suis attachée même si je n'y écris plus depuis deux ans, elle a été marquée par des jugements de goûts et des choix parfois très tranchés. Mais la dimension de goût n'est pas la même chose exactement qu'un jugement, c'est une interaction entre sa propre subjectivité de spectateur plus attentif que les autres, et des composantes presque objectives, quasi descriptives, de l'œuvre.

A. D. : Vous consacrez une part importante de votre activité à la pédagogie, l'analyse objective des films, à travers vos interventions dans les cinémathèques ou à destination d'enseignants. Comment construit-on une analyse critique ?

C. G. : Il y a plusieurs choses. L'activité pédagogique est un prolongement de la transmission qu'il y a dans l'activité critique. Ce n'est pas pour rien qu'on parle du critique comme d'un passeur.

Dans mon activité, je parle plutôt aux enseignants plutôt que directement aux classes. C'est venu un peu comme ça, parce que j'aime bien parler aux adultes, à des gens qui sont eux-mêmes des pédagogues et qui transforment ce que je leur dis pour un tiers, en l'occurrence une classe. C'est une activité pédagogique pas très connue, la formation des enseignants, mais elle est très développée en France, c'est d'ailleurs un des seuls pays où ça existe de former des enseignants du secondaire, alors que, eux, ne sont pas des spécialistes, mais juste des cinéphiles cultivés.

On est face à des gens qui ont des degrés de cinéphilie différents et qui sont en situation d'apprentissage. Ils pensent à la façon dont ce peut être reçu par leurs élèves et souvent ils se trompent. En fait, ils préjugent de la réception d'un film par leurs élèves et souvent c'est faux. Ils ont peur que les films choquent ou déplaisent ou paraissent poussiéreux surtout les films de patrimoine. Notre travail c'est de leur apporter des éléments qui font le pont entre cette peur qu'ils ont de parler des films en noir et blanc, classiques, et le fait qu'ils en soient tout à fait capables. En réfléchissant sur le film, ils trouvent des éléments.
Bref pour moi, l'activité pédagogique est vraiment un prolongement de l'activité critique qui, contient la présentation des films, comme ce soir devant un public cinéphile. Pour moi, il n'y a pas tant de différence entre analyser un film par écrit et dire quelque chose face à des gens qui viennent le voir.

A. D. : Justement, vous intervenez dans des médias différents, écrits comme dans la revue '' Études '' ou oraux comme sur France Culture. Y'a-t-il un media qui vous apparaîtrait plus adapté à l'analyse critique des films ?

C. G. : Forcément, à la radio, on est presque poussé au bavardage. Mais finalement, dans la pédagogie aussi, puisqu'on répète les choses pour qu'elles s'impriment. Et donc peut-être que la radio c'est une forme plus parlée, apparemment plus nonchalante, plus subjective, puisqu'on entend la voix de celui qui parle, mais aussi plus ouverte au dialogue. La radio telle que je la pratique c'est des débats, avec le côté éphémère que ça peut avoir, et puis parfois au contraire le coté productif de voir son opinion sur un film contredite. Donc ça vous oblige à creuser certains arguments.

Du point de vue de la rigueur de l'analyse, je pense que l'écrit reste indépassable, peut-être parce que c'est aussi une forme dans laquelle on se confronte à un processus de création, modeste bien sûr. On est bien obligé d'avoir un début, un milieu, une fin, de savoir quelle place donner au résumé du film, au scénario, et donc c'est quand même des questions de création. L'écriture reste pour moi le plus important mais ce n'est pas le plus lu, les revues spécialisées ne sont lues que par des gens déjà convaincus voire qui écrivent eux-mêmes. C'est pour cela que la radio c'est appréciable et plus accessible, comme venir ici dans les cinémas.

A. D. : Quels sont les réalisateurs que vous affectionnez ?

C. G. : Je n'ai pas une approche encyclopédique du cinéma. Je ne retiens pas toutes les dates historiques. Je ne voulais pas être spécialiste de quelqu'un ou de quelque chose, je n'ai donc ni d'auteurs ni de thèmes de spécialité mais c'est volontaire. En revanche, il faut reconnaître que le cinéma classique m'attire plus que celui des années post 70. Et Renoir, et le cinéma hollywoodien, ce qu'on appelle le classicisme, m'intéressent.

Outre Renoir, j'ai aussi écrit un livre sur la rencontre amoureuse au cinéma, Amoureux, que j'avais d'ailleurs présenté ici, destiné à des lecteurs de 15 ans et plus, autant dire à tous (collection initiée par la Cinémathèque Française). Ca va de Lubitsch à Murnau en passant par Bonnie and Clyde.

Même si ma cinéphilie est plutôt française et américaine, depuis quelques années, je programme, pour le Festival des Trois Continents à Nantes, des films d'Asie et d'Amérique latine et quelques films d'Afrique.

A. D. : Vous présentez ce soir Les Amours d'une blonde de Milos Forman. Quelle lecture pouvez-vous nous donner de ce film?

C. G. : Je l'aime beaucoup. Sans être spécialiste de Forman ni du cinéma tchèque, je pense que c'est un film qui est un condensé de tellement de choses ! À la fois de l'approche singulière de Forman lui-même qui mêle un regard presque sarcastique et distancié, avec de l'empathie, et la façon dont il construit son film, fait de blocs documentaires. Au-delà de son aspect historique, je pense que le film est encore vivant, palpitant pour nous, notamment par son travail avec les acteurs, non professionnels, et aussi son sens du rythme, du montage, de l'utilisation de la musique. Après il y a une dimension politique importante.

J'aime bien ce côté mélangé dans les styles et la sensibilité, plus qu'au Au feu, les pompiers ! son film de l'année suivante en couleurs, plus politique, allégorique et drôle mais où on perd la captation d'une jeunesse et le côté sarcastique.

Propos recueillis par Aurélie DUNOUAU