L'un des grands problèmes du cinéma indien aux 2500 salles, drainant un public vaste, divers et passionné, est celui de la langue, chacune d'elle étant propre à une région précise et demeurant incompréhensible pour les autres. On recense en Inde 17 langues officielles dont les plus courantes sont l'hindi, le Tegoulou, le Tamoul, le Kannada, l'Ourdou et le Bengali.

Si Bombay, sur la côte ouest, produisait essentiellement en hindi, il pouvait aussi utiliser l'ourdou. La langue utilisée pouvait aussi générer les thèmes choisis pour satisfaire, au-delà du langage, les traditions culturelles de chacune des populations.

À Calcutta, au Nord-ouest, les films se tournaient en Bengali et à Madras dans le sud, en Tamoul, en Malayalam et en Tegoulou. Parfois, pour trouver un plus vaste public, certains films connaissaient deux versions (ou plus) comme ce fut le cas de Chandralekha (1948) réalisé par SS. Vasan – pseudonyme de Subramanian Srivasan , tourné en deux versions hindi et tamoul. Il utilisait pour cela les mêmes schémas narratifs que les films tournés à Bombay, et connaîtra ainsi un très grand succès sur l'ensemble du sous-continent.

Dans les années 1960/70, la production va poursuivre sa progression, le nombre de films réalisés annuellement tournant alors autour de 900.

Cette production provient essentiellement de trois métropoles : Bombay, Calcutta et Madras.

Bombay, comme nous l'avons souligné plus avant, est la capitale du film dansé et chanté. Une sorte de règle s'est imposée quant à la conception de ces films qui, le plus souvent, s'articule autour de 2 ou 3 acteurs ''méga stars'', d'une demi-douzaine de chansons (parfois beaucoup plus), et d'un minimum de 3 danses. C'est ce qu'on a appelé la ''sauce masala'' synonyme de cinéma ''à l'eau de rose ''commercial et populaire. Les budgets sont conséquents et les films durent parfois 5 heures. Les thèmes choisis n'ont guère varié depuis les années 30 : mélodrames, mythologies et religions.

Les grands succès d'alors sont Awara de Raj Kapoor, Shree 420 de Bimal Roy ou Yaadein de Sunnil Dutt. Les stars, toujours aussi adulées, ont noms Rajesh Khanna, Dharmendra pour les hommes, Shamila Tagore et Saira Bano pour les femmes.

Soulignons que ces réalisateurs et ces acteurs, qui nous sont quasi inconnus, faisaient partie du quotidien de plus d'un milliard de spectateurs.

Bien évidemment cette veine populaire s'agrémente volontiers de comédies, de films de gangsters ou du fantastique, tous ces genres pouvant d'ailleurs s'entremêler avec plus ou moins de bonheur. Un certain érotisme apparaît pour plaire à la jeune clientèle.

Des records de recettes y sont régulièrement battus par les immenses succès publics de Andaz (1970) de Ramesh Sippy, Cœur pur (1971) de Kamal Amrohi, Flammes du soleil (1975) de Ramesh Sippy, Le mur (1975) de Yash Chopra, etc. L'une des plus grandes stars est Amitabh Bachchan qui se lancera dans la politique aux côtés de Rajiv Gandhi et reviendra au cinéma dans les années 2000.

Un cinéma plus réaliste va cependant émerger, surtout depuis le renom international de Ray et de Ghatak, influencé par les réalisations européennes qui arrivent en Inde et tout particulièrement par le réalisme poétique français et le néo-réalisme italien. Dans les années 60, la nouvelle vague française provoquera également quelques émulations.

On distingue des films de grande qualité, aux sujets ambitieux tel que Le pain quotidien de Mani Kaul en 1960, Bobby (1971), Sangam (1971) et Mera Naam Joker (1972) de Räj Kapoor, Sahib Biwi aur Ghulam (1962) de Abrar Alvi, Sujata (1960) Parakh (1960) et Bandini (1964) Son of India (1962) de Mehboob Khan.

Aux studios de Tollygunge (Calcutta) le cinéma bengali est lui aussi en pleine croissance. Les films y sont tournés en Bengali (et également en Tegoulou) mais les budgets sont plus modestes et la production se développe autour de réalisateurs, dont une bonne partie arrive de la FTII (Film and Television Institute of India) dont la première création date de 1960, et qui sont plus soucieux du contenu artistique de leurs œuvres.

Les scénarios sont plus évolués, traitant de sujets contemporains avec des prises de positions politiques et sociales - l'engagement idéologique est évident - ainsi que des adaptations d'œuvres littéraires plus intellectuelles. Ils traitent toutes les nuances de la mentalité indienne, la vie et les préoccupations du monde rural, les difficultés de la vie dans les grandes villes, les grands problèmes sociaux.

C'est sans doute une conséquence de l'influence toujours exercée par la première personnalité artistique du Bengale : Rabindranah Tagore, Prix Nobel en 1913, dont l'œuvre imprègne de son aura les jeunes réalisateurs.

Bien entendu, compte tenu du support linguistique des films tournés à Calcutta (le bengali n'est parlé que par à peine 10% de la population indienne) leur diffusion est beaucoup plus confidentielle.

Outre Satyatjit Ray et Ritwik Ghatak qui poursuivent leur œuvre, de nombreux jeunes réalisateurs marquent le cinéma de ces années-là d'une empreinte sociale sans concession dont le style est souvent inspiré de la Nouvelle vague française, du Cinéma Novo brésilien et du Troisième cinéma de Solanas et Gitino. Se font particulièrement remarquer Mrinal Sen : Monsieur Shome en 1969, Calcutta en 1972 et Les marginaux en 1977, Un jour comme les autres en 1979, Gautam Ghose, peintre de la condition rurale avec New Earth en 1973, Hungry Autumn en 1974 et Notre terre en 1979, sans oublier Buddhadev Dasgupta pour Samayer Koche en 1968. Tous ces cinéastes contribuèrent à faire reconnaître la qualité du cinéma bengali dans le monde entier.

À Madras (Chennai), dans le sud du pays, on fait du sous-Bollywood en se servant des mêmes recettes commerciales. Toujours pour des problèmes de langue, les premières bandes tournées en Tamoul et en Malayalam, qui datent de 1917, restèrent uniquement exploitées localement et il faudra attendre 1947 pour que le film Chandralekna réalisé à Calcutta par S.S. Vasan connaisse une diffusion et un vrai succès dans la plus grande partie du sous-continent.

En 1949, le cinéma tamoul connaîtra une grande révolution. C'est en effet un dramaturge : C.N. Annadurai, adversaire de Nehru, qui dirige le premier parti de cette région le D.M.K. parti politique qui sera également producteur de films de propagande. Mais, au-delà de cette contrainte, de nouvelles opportunités s'ouvrent ainsi aux jeunes cinéastes qui en profiteront.

D'autres écoles de cinéma seront crées à partir de 1960 d'où sortiront plusieurs réalisateurs remarquables comme Pattabhi Rama Reddy avec Rites funéraires (1970), Girish Katnad avec La forêt (1973), B.V. Karanth avec Le tambour de Chomana (1975) ou M.S. Sathyu avec Vents chauds (1973).

Ce cinéma-là, éloigné des grandes machineries musicales, se singularisera par des positions ''antibrahmaniques'' prenant en référence quelques grands penseurs occidentaux (Freud, Camus, Sartre...) dans un mouvement artistique appelé le Navya Mouvement.

Notons également que c'est en 1957 que naîtra le cinéma du Kerala qui, cependant, ne prendra réellement son essor qu'en 1972 avec l'arrivée de réalisateurs tels que Vasudevan Nair (L'offrande en 1972) Adoor Gopalakrishnan (Un choix personnel de 1972) ou Govindan Aravindan (Le trône du Capricorne en 1974).

Dans la seconde moitié des années 80 jusqu'à la fin des années 90, une crise va frapper le cinéma indien en touchant tous les centres de production. La cause n'en est pas spécifiquement indienne puisqu'elle réside, comme dans de nombreux autres pays, dans la concurrence des télévisions et la démocratisation des procédés Vidéo puis DVD.

Mais il faut relativiser le phénomène qui restera assez limité compte tenu du volume de spectateurs inconditionnels (800 films seront encore produits en 1983).

Cependant certains réalisateurs s'expatrieront comme Mira Nair (Salaam Bombay 1988, Kamasutra 1997) Deepa Mehta (Sam and me 1990 et Fire 1996), Shekhar Kapur (Mr India 1987 et Elisabeth 1999).

Depuis l'an 2000, cette mini crise endiguée, le cinéma indien a retrouvé sa pleine croissance trouvant sur les marchés occidentaux une nouvelle source de spectateurs séduits et fascinés par l'exotisme de Bollywood. Lagaan et Devdas, dans leur dernière version ont été des succès commerciaux. À titre d'exemple c'est une production de 1255 films qui a été recensée en 2003.

Le grand fleuve du cinéma indien n'est pas près d'être tari.

Alain Jacques Bonnet

N. B. Les films dont les titres sont cités en français ou en Anglais ont fait l'objet d'une diffusion dans ces pays. Ceux restés en version originale ne sont connus, pour la plupart, que par leur passage dans les festivals ou les rétrospectives.